Un jour, le téléphone sonne dans mon bureau. J’entends une voix de femme.

Allo ?

Je réponds : Chalom.

- Etes-vous le Mohel Abohav ?, me demande-t-elle.

- Oui, je réponds, c’est de la part de qui ?

- Chalom, êtes-vous disponible demain matin pour une Brit-Mila à ‘Holon, à 7h30 ?

- Oui, avec joie.

- Extra ! Alors, nous sommes d’accord pour demain, à l’adresse …, à 7h30 précises. Je suis pointilleuse sur les horaires.

Cette conversation étrange s’acheva ainsi. Je pensais que notre échange avait été bref en raison de l’émotion qu’elle ressentait. J’inscrivis tous les détails et je quittai le bureau pour rentrer chez moi.

Le lendemain, juste après la prière du matin, j’arrêtai un taxi, et vingt minutes plus tard, j’arrivai à l’adresse indiquée la veille par mon interlocutrice. A ma grande surprise, ce n’était pas une salle de fête, ni même une synagogue. C’était une maison particulière dans un quartier huppé. Sur la porte, une pancarte : « Famille Golan ». Je toquai délicatement à la porte qui s’ouvrit immédiatement.

« Bonjour, je m’excuse, je dois partir immédiatement, je suis en retard », m’annonce le maître de maison qui quitta tout de suite les lieux. Sa femme m’adresse alors la parole : « Enchantée, je suis Mme Golan, mon mari est-il parti ? Je dois aussi sortir ! Ne vous inquiétez pas, la nourrice est en route, elle va arriver dans un quart d’heure environ pour vous remplacer auprès de Youvali… Et pendant ce temps, vous pourrez faire la Brit, n’est-ce pas ? »

- Youvali ?!

- Ah… oui, Youvali, c’est le bébé que vous devez circoncire.

- Vous l’avez déjà nommé ?, demandai-je d’un ton étonné.

- Oui, La vérité, c’est que nous ne voulions pas vraiment faire la Brit-Mila, nous ne sommes pas religieux, vous comprenez, nous ne sommes pas du tout attachés aux symboles religieux, mais finalement, Chagaï et moi avons décidé qu’il valait la peine de lui faire la Brit-Mila, pour ne pas qu’il ait honte devant ses copains lorsqu’il grandira…

Je comprends que Chagaï, qui était là il y a quelques minutes, est le père de l’enfant.

Je m’adresse à Mme Golan : « Il n’est pas possible d’effectuer une Brit dans ces conditions ! Qui sera le Sandak ? … Où est le père de l’enfant ?... Et qu’en est-il du quorum de dix hommes ? Désolé, ce n’est pas possible comme ça, il faut un Minyane… »

- Je m’excuse, il est très tard pour moi, je vous demande de commencer cette opération car je dois absolument quitter la maison d’ici une ou deux minutes.

Faute de mieux, j’entre dans la chambre du bébé, je dispose les ustensiles pour la circoncision sur la commode, et je regarde le nourrisson dormir. Au même moment, des larmes brûlantes coulent de mes yeux… Je suis très peiné, j’ai du mal à croire qu’un enfant juif entre de cette façon dans l’alliance d’Avraham Avinou.

Je réveillai le bébé tout doucement et le mis sur mes genoux : je fis office à la fois de Sandak, de Mohel, de père de l’enfant, et de celui qui récite les bénédictions. C’est ainsi que je circoncis Youvali. Ensuite, je m’assis avec le nouveau-né dans mes bras et pleurai comme un bébé.

Je pleurais sur lui, sur la tristesse de l’exil, et en particulier sur cette réalité affligeante due à la Galout : en Erets Israël, des Juifs sont très éloignés de leurs racines et de la foi sainte et pure de leurs ancêtres. Je pensais à l’enfant et je me dis : si ses parents sont comme ça, qui sait ce que deviendra cet enfant… Quelle éducation va-t-il recevoir… J’ai senti à quel point nous ne comprenons pas nos frères juifs et à quel point il nous faut les juger favorablement. Je restai assis ainsi, peiné, pendant une demi-heure, jusqu’à l’entrée soudaine de la nourrice.

Elle arriva en courant, peinant à respirer, tout en s’excusant pour le retard, et entra immédiatement dans la chambre de Youvali. Soudain, elle m’observa. Elle fut surprise de voir un homme ‘Harédi, tentant sans succès de cacher les larmes qui coulaient.

- Qui êtes-vous ?, me demanda la nourrice.

- Je suis le Mohel Abouhav, répondis-je.

- Ah, j’ai complètement oublié, Mme Golan m’a raconté que Youvali subit aujourd’hui une petite opération. Comment va-t-il ? Comment se sent-il ?

-Ça ira. Je dois partir maintenant.

Je partis sans m’attarder.

Le jour-même, je racontai à mes connaissances et à ma famille la Brit-Mila que j’avais vécue ce jour-là, mais au bout d’un certain temps, je finis par l’oublier. Et cela fait plus de trente ans que j’effectue des milliers de circoncisions à Tel-Aviv.

Douze ans s’écoulèrent depuis la Brit-Mila de Youvali…

Un jour, une femme et son fils dont l’apparence indique qu’ils ne respectent pas la Torah et les Mitsvot, entrent dans mon bureau de la Rabbanout de Tel-Aviv. Je suis habitué à ce type de visiteurs dans mon bureau, je n’en suis donc pas surpris. Soudain, la femme me demande : « Etes-vous le Mohel Abouhav ? », « Oui, répondis-je, et qui êtes-vous ? » « Je suis Mme Golan de ‘Holon, vous souvenez-vous de moi ? » « Non », répondis-je. Et elle de poursuivre : « Il y a plus de douze ans, vous avez été invité à effectuer la Brit-Mila de mon Youvali, nous vous avons laissé seul avec lui jusqu’à l’arrivée de la nourrice. »

Je me rappelai soudain de cette histoire étrange. On ne peut oublier une telle circoncision.

- Bien sûr, je m’en souviens.

Je regardais Youvali, c’était un beau garçon de grande taille.

- Mon fils a besoin d’aide, me dit Mme Golan.

- En quoi puis-je vous aider ?

- Cela fait longtemps que Youvali insiste pour rencontrer son Mohel, je ne sais pas quoi faire… C’est pourquoi je vous l’ai amené…

Elle s’adressa alors à son fils : « Voici ton Mohel ! Tu es satisfait maintenant ?! … »

- Je voudrais parler en privé au Rav, me dit-il.

Lorsque la mère de Youval sortit de la pièce, Youval éclata en sanglots et me dit : « Je veux des Téfilines, je veux respecter le Chabbath, et plus que tout, je veux étudier la Torah !!! »

Je me levai, allai vers lui pour l’étreindre, tentant de l’encourager autant que possible. Je lui demandai : « Quel est le problème ? » « Mes parents », me répondit-il avec acharnement.

Je sortis de la pièce et appelai sa mère. Je lui dis : « Votre fils n’a aucun problème et il n’a pas besoin d’aide, il veut tout simplement étudier la Torah. »

- Je sais !, répondit Mme Golan, nous nous sommes déjà adressés à de nombreux psychologues et conseillers et rien n’y a fait… Chacun a donné son avis… ! A nous de faire ce qui est bien pour l’enfant, nous ont-ils dit… D’où notre présence ici, chez vous… Pourriez-vous lui enseigner la Torah ?

Je me retrouvai une nouvelle fois à pleurer comme un bébé… Mais cette fois-ci, c’était des pleurs de joie.

J’ai pensé qu’apparemment, au cours de cette Brit-Mila étrange, je n’avais pas versé des larmes seul, certainement Eliyahou Hanavi avait pleuré avec moi, et le Saint béni soit-Il a entendu notre prière. Béni soit celui qui entend la Téfila.

Et voici qu’à nouveau, en cette période messianique où nous nous trouvons, les paroles de nos prophètes sur le retour aux sources se sont réalisées : « Il ramènera le cœur des pères à leurs enfants et le cœur des enfants à leur père. »