Au chapitre 549 du Choul’han 'Aroukh (Ora’h ‘Haïm), on peut lire : « C’est une obligation de jeûner (…) le 10 Tévet ». C’est en en effet ce jour-là que le roi de Babylone, Nabuchodonosor l’impie, encercla Jérusalem, et c’est à partir de cette date qu’allait commencer le siège de la ville qui allait aboutir à la destruction du 1er Temple, comme il est dit : « Dans la neuvième année de son règne [il s’agit du roi Tsidkiahou], le dixième mois, le dixième jour du mois, Nabuchodonosor, roi de Babylone, marcha avec toute son armée contre Jérusalem. Il campa sous ses murailles et on éleva des retranchements tout autour. La ville subit le siège jusqu’à la onzième année du règne de Tsidkiahou » (Rois 2 ; 25, 1-2).

Trois jours d’obscurité

Un peu plus loin (chap. 580, alinéa 2), le Choul’han 'Aroukh ajoute pourtant : « Voici les jours qui furent pour nos ancêtres des jours de détresse et pour lesquels il convient de jeûner (…) Le 8 Tévèt, à l’époque du roi Talmaï, la Torah fut traduite en grec et le monde fut plongé dans l’obscurité pendant trois jours. Le 9 du mois, on ne nous a pas fait connaître de quelle catastrophe il s’agit [le Michna Beroura souligne que cette date correspond à la disparition d’Ezra Hasofer. Et, dans le commentaire que le rav Ménaché Grossberg donne de ce passage de la Méguilat Ta'anit, il montre en quoi elle correspond à la naissance « chel oto haIch »] ».

Ainsi, bien que les dates du 8 et 9 Tévet soient considérées comme des « Ta'anit Tsadikim », c’est-à-dire des dates pour lesquelles nous n’avons pas l’obligation de jeûner, et que seul le 10 Tévet ait été retenu comme jeûne public (Ta'anit Tsibour), force est de reconnaître que ces trois évènements forment un tout unifié. Et, dans les Séli’hot du 10 Tévet, nous disons : « J’ai été frappée de trois coups pendant ce mois », trois coups auxquels fait référence le Choul’han 'Aroukh précité lorsque, reprenant l’expression utilisée par la Méguilat Ta'anit à propos de la traduction de la Torah en grec, il enseigne qu’à partir du 8 Tévèt « le monde fut plongé dans l’obscurité pendant trois jours ».

Certes, l’encerclement de Jérusalem sous le règne de Nabuchodonosor (en 3336) a eu lieu près de deux siècles avant la traduction de la Torah en grec (3515), mais ces deux évènements avaient déjà une réalité commune, celle-là même qui ressurgit tous les ans à l’occasion de la première décade du mois de Tévet...

Le solstice d’hiver

Dans le Traité Avoda Zara (p.8/a), on peut lire : « Constatant, [après la faute] que la durée des jours allait en diminuant, Adam Harichon s’exclama : ‘Malheur à moi ! Peut-être qu’ayant apporté l’obscurité au monde, ce dernier retourne-t-il au chaos primordial ?! Voilà donc le décret de mort qui fut arrêté par le Ciel à mon encontre…’. Il arrêta toute activité, jeûna et pria pendant 8 jours. Puis, apercevant le solstice d’hiver (Tekoufat Tévet), et voyant les journées s’allonger, il dit : ‘Tel est donc l’usage du monde (minhago chel 'olam)’. Il fit alors 8 jours de fêtes. L’année suivante, il célébra ces deux périodes comme des jours de festivités. Certes, lui, il les institua au nom du Ciel (Léchem Chamaïm), tandis qu’elles [les nations] le célèbrent au nom de l’idolâtrie… ».

Le solstice d’hiver (dont la date est fixée dans le calendrier grégorien le 20 ou 21 décembre) désigne le fait que le mouvement apparent du soleil vers le nord sur la sphère céleste semble s'arrêter avant de changer de direction, d’où le terme de solstice : littéralement sol (le soleil) sistere (s'arrête). Il correspond à cette date à laquelle (dans l’hémisphère nord) la durée du rayonnement solaire, et donc de la journée, a atteint le terme de son decrescendo avant de reprendre à nouveau ses droits sur la nuit et ses ténèbres. Une période qui, à travers les âges, a toujours été le prétexte à une multitude de fêtes païennes rendant un culte au renouveau du soleil au cœur de l’obscurité hivernale. Date charnière entre ces deux périodes célébrant le renouveau de la lumière, le solstice d’hiver (Tekoufat Tévet) constitue donc le lieu même d’une Havdala (distinction) entre Israël et les nations, séparant la Kédoucha (la sainteté) de l’'Avoda Zara (l’idolâtrie) – cf. la troisième Michna du Traité 'Avoda Zara.

Ce n’est donc pas « par hasard » si le mois de Tévet est synonyme, pour Israël, d’incertitudes et de dangers. Car, dans ces trois évènements relatés par la Méguilat Ta'anit, c’est ni plus ni moins la forme spirituelle du monde, sa dimension divine – en un mot : sa lumière – qui est en le jeu. Ainsi, lorsque le 8 Tévet, la Torah fut traduite en grec, nos Sages enseignent que cette date fut « pour Israël comme le jour où fut confectionné le veau d’or, car la Torah ne pouvait être traduite dans son intégrité » (Traité Soferim 1, Michna 7). Et pour cause : avec cette traduction, apparaît cette terrible possibilité d’aborder la Torah, de l’étudier, comme on étudierait n’importe quelle autre science ! Car voilà bien la réduction de la Torah, le retrait de sa dimension divine, le fait que sa signification se donne à nous sous la forme de la seule rationalité, provocant de ce fait l’effacement de sa dimension transcendante. Le décès d’Ezra Hasofer, le 9 Tévet, correspond par ailleurs à la fin de la prophétie, à la disparition de l’expression de la Parole divine dans le monde. Car, l’Éternel est désormais silencieux, absent, du moins en apparence, de notre quotidien, comme il est dit : « Mi Kamokha Baelim – Qui est comme Toi parmi les puissants » (Chémot 15, 11), une expression que nos Sages interprètent ainsi « Mi Kamokha Béilim – Qui est comme Toi parmi les muets » (Yalkout sur le verset).

Quant au 10 Tévet, cette troisième et dernière date qui fut retenue par notre tradition comme celle du jeûne public, elle nous rappelle que le siège de Jérusalem, la ville du Temple, la maison de l’Éternel, provoqua l’arrêt de Son dévoilement dans le monde, Nabuchodonosor ayant mis fin à la hauteur spirituelle de Jérusalem (béMatsor oubéMatsok) - (cf. Rambam, Hilkhot Taanit, chap.5, alinéa 2), à sa lumière.

Or, dans la continuité de ‘Hanouka, la Tekoufat Tévet devrait nous rappeler que « le renouveau de la lumière convient en propre au Temple, comme cela est enseigné dans le Midrach (Béréchit Raba 3, 4) : ‘Rabbi Berakhia a dit au nom de rabbi Its’hak que c’est à cet emplacement que la lumière fut créée, comme il est dit : ‘Et voici que la gloire du D.ieu d’Israël vint du chemin de l’orient’ (Ezéchiel 43, 2). Or, il ne saurait être question de gloire – Kavod – en dehors du Temple, ainsi qu’il est dit : ‘Il est un trône glorieux, sublime de toute éternité, le lieu de notre Sanctuaire’ (Jérémie 17, 12) » (Nèr mitsva).