À Pessa’h, nous célébrons la sortie d’Égypte et nous exprimons notre gratitude infinie envers Hachem qui nous libéra de ce terrible esclavage. Mais l’essence même de cette fête met en avant une difficulté.

Imaginons qu’un homme que l’on appellera Réouven marche dans la rue et qu’il se fasse soudainement rouer de coups, au point d’avoir la jambe cassée. Tandis que Réouven git au sol, son agresseur s’approche de lui et l’informe calmement qu’il n’a aucun souci à se faire puisqu’il est chirurgien et qu’il pourra donc l’aider à se rétablir. Il opère la jambe de Réouven qui guérit effectivement. Que doit ressentir Réouven à l’égard de cet individu ?

Beaucoup de reconnaissance parce qu’il l’a remis sur pied ? Bien sûr que non ! Il aurait préféré ne jamais être battu et ainsi, ne pas avoir besoin d’opération chirurgicale.

Pendant Pessa’h, nous exprimons notre gratitude à Hachem Qui nous a fait sortir d’Égypte, mais qui donc nous a envoyés dans cet exil ? C’est Hachem – alors pourquoi doit-on Le remercier avec effusion pour un ’Hessed qui aurait pu ne pas être nécessaire du tout ?

En réalité, il était primordial pour l’avenir du peuple juif qu’il soit libéré d’Égypte et l’esclavage était également important. Pourquoi ? Nous savons que les prémices d’une chose sont déterminantes pour son évolution. Par exemple, l’ADN d’une cellule contient toutes les informations génétiques du futur être humain. La manière dont il est formé aura donc de grandes conséquences sur son développement.[1]

La Sortie d’Égypte correspond à la naissance de notre peuple, au début d’un processus qui nous mena jusqu’au Don de la Torah et jusqu’à l’entrée en Erets Israël. La formation du Klal Israël allait avoir un impact majeur sur son avenir.

Notre peuple est régi par des lois complètement différentes des autres peuples. Une nation se forme généralement lorsqu’un grand nombre de personnes s’installe dans un territoire ou conquiert un autre pays, prend possession de son terrain, qui devient alors son propre espace. La naissance du Klal Israël fut très différente : nous sommes nés dans une terre étrangère, phénomène assez unique. En outre, les autres sociétés naissent et se développent de façon naturelle, tandis que notre constitution fut totalement miraculeuse – les dix Plaies étaient complètement au-delà du Dérekh Hatéva (des lois de la nature), tout comme l’ouverture de la mer des Joncs. C’est un point essentiel quant à la manière dont les « lois de la nature » vont – ou non – affecter les Bné Israël.

Nous avons demandé pourquoi il fallait être si reconnaissant envers Hachem qui nous a délivrés de l’esclavage. En réalité, nous Lui savons gré de nous avoir placés dans cette Égypte hostile puis de nous en avoir fait sortir. Ce n’est que parce que nous étions tellement faibles et impuissants que notre formation a pu être entièrement entre les mains d’Hachem ; il était alors impossible d’attribuer la sortie d’Égypte à notre force personnelle. Si nous avions été des hommes libres vivants en Égypte, sans y être asservis, et que nous avions quitté ce pays pour nous diriger vers Erets Israël, il aurait été très facile d’attribuer notre gloire (ou au moins une partie) à nos talents, à notre puissance. La servitude montra plus clairement le caractère miraculeux de la sortie d’Égypte, qui n’impliqua aucune participation humaine[2].

Ainsi, l’essence même du Klal Israël est définie par d’autres « lois » que les autres peuples. D’où le voit-on ?

Tout d’abord, du simple fait que nous soyons toujours là, malgré les différents exils que nous avons subis, malgré notre dispersion à travers le monde, malgré l’antisémitisme virulent que nous devons affronter… Une nation qui est forcée de quitter sa terre à plusieurs reprises et qui subit tant de cruelles persécutions est destinée, d’après les « lois de la nature », à être détruite ou bien assimilée aux autres peuples.

Notre mode de vie prouve aussi que nous vivons au-delà du Dérekh Hatéva. Nous agissions souvent différemment de ce que dicterait le « bon sens ». Par exemple, de nombreux commerces maximisent leurs bénéfices principalement le Chabbat ; la logique voudrait donc que l’on travaille précisément en ce jour. Mais les Juifs savent que les lois de la Torah supplantent cette conception pragmatique. Nous sommes conscients que notre situation financière n’est pas déterminée par le nombre d’heures de travail et que toute activité exercée pendant Chabbat ne sera source d’aucun profit.

Rav Its’hak Berkovits précise que c’est l’enseignement principal qu’il faut avoir à l’esprit durant le Séder. Nous lisons dans la Haggada que nous devons nous considérer comme si nous avions personnellement été libérés d’Égypte – cela ne signifie pas simplement qu’il nous faut revivre l’histoire de l’Exode. Certes, c’est une chose louable, mais ce n’est pas l’objectif premier. Nous faisons partie du peuple ayant quitté l’Égypte de façon prodigieuse, du peuple qui fut créé pour être le Am Hachem. Noblesse oblige, notre vie doit être vécue selon les préceptes qui s’appliquent au Am Hachem ; la spiritualité doit être l’une de nos priorités. Et si nous vivons avec une telle attitude, Hachem nous dirigera en fonction – sans que nous soyons limités par les « lois de la nature » ; Il nous permettra d’atteindre nos objectifs spirituels d’une manière qui transcende la nature.

Pessa’h Cacher Véssaméa’h.



[1] Rav Akiva Tatz développe longuement ce sujet.

[2] Cela explique également pourquoi on ne fait presque aucune mention de Moché Rabbénou dans la Haggada. Même lui ne joua pas de véritable rôle dans la sortie d’Égypte – tout provenait d’Hachem.