Dans la paracha de Ekev, la Thora nous enjoint d’emprunter les voies d’Hachem et de s’ « attacher à Lui » [1]. Le Sifri [2], rapporté par Rachi, demande comment une telle chose est faisable, sachant qu’Hachem est décrit, dans un autre endroit de la Thora, comme « un feu qui consume tout » [3].

Le Sifri répond que la Thora nous ordonne de nous lier aux talmidé ‘hakhamim [4] et à leurs disciples ; c’est comme si l'on s’attache à Hachem Lui-même.

Les Richonim [5] en déduisent l’obligation d’apprendre des talmidé ‘hakhamim et d’essayer de se lier à eux, afin d’étudier la Thora et d’en acquérir une compréhension juste [6]. Il ne s’agit pas seulement d’une bonne anhaga (comportement, attitude), c’est un véritable commandement de la Thora.

Le Séfer Ha’Hinoukh se montre très ferme quant à l’importance du respect de cette mitsva. Il écrit : « Celui qui y déroge et qui ne s’attache pas à eux [aux ‘hakhamim]… transgresse ce commandement positif et sa punition est très grande, parce qu’ils sont [la base de] l’existence de la Thora, et la base du salut de l’âme ; et celui qui est souvent avec eux n’en viendra pas à fauter… » [7]

Le Ram’hal, dans Messilat Yécharim parle également de l’importance d’apprendre des talmidé ‘hakhamim, surtout en ce qui concerne notre élévation personnelle. Il affirme que l’un des stratagèmes du yétser hara est d’embrouiller les gens et de les empêcher de différencier le bien du mal. Par conséquent, ils pensent agir correctement alors qu’en réalité, ils sont escroqués par leur mauvais penchant.

Comment éviter ce piège ? Il répond à travers une analogie.

Quelqu’un se trouve dans un labyrinthe tortueux et seul un chemin le conduit vers la sortie ; la plupart des sentiers ne mènent nulle part, parfois, ils l’éloignent même de sa destination. La personne n’a aucun moyen de trouver le bon chemin, parce qu’ils se ressemblent tous. La seule façon de s’en sortir est de prendre conseil auprès de quelqu’un qui est déjà passé par là et qui a réussi à trouver la sortie. C’est lui qui pourra la conseiller correctement pour sortir de ce dédale.

De même, celui qui n’a pas encore maîtrisé son yétser hara ne parviendra pas à le surmonter sans l’aide et les conseils des talmidé ‘hakhamim qui ne cessent de se perfectionner [8].

Il est donc essentiel, pour notre bien-être spirituel, de prendre leçon des ‘hakhamim. On peut arguer que cette mitsva est trop difficile à accomplir, du fait des efforts et de la persévérance qu’elle demande. En effet, leur emploi du temps et très chargé et de nombreuses autres personnes sont attroupées autour d’eux. Pour résoudre ce problème, analysons les paroles de Moché Rabbénou.

Dans la paracha de Devarim, il relate l’épisode où Yitro proposa que Moché ne soit pas le seul à guider les Bné Israël et à trancher la loi, mais que d’autres hommes soient nommés pour diriger le peuple sur certains sujets [9]. Ceci, pour alléger le poids de Moché et pour que les gens n’aient pas besoin d’attendre trop longtemps avant qu’il ne soit disponible [10]. Moché accepta la proposition et demanda au peuple de nommer des ‘hakhamim.

Celui-ci consentit volontiers. Rachi note que dans le rappel de cet incident, Moché réprimanda le peuple de son enthousiasme envers l’idée de Yitro. Moché dit : « Vous auriez dû répondre : "Notre maître Moché, de qui est-il mieux d’apprendre ? De toi ou de tes disciples ?! N’est-ce pas de toi [qu’il est préférable d’apprendre la Thora], car tu as souffert pour elle ?!" » [11] Moché leur reprocha de n’avoir pas voulu apprendre du plus grand ‘hakham, malgré les difficultés que cela leur aurait occasionnées. D’où l’importance d’être mosser néfech [12] pour apprendre des ‘hakhamim.

Cette réflexion est corroborée par un enseignement de ‘Hazal, selon lequel un homme qui étudie beaucoup de Torah, mais qui ne s’attache pas aux talmidé ‘hakhamim est considéré comme un am haarets (un ignorant) [13].

Rav ‘Haïm Chmouelewitz zatsal explique que celui qui étudie seul ne se fie qu’à sa propre compréhension et ne se tourne pas vers d’autres personnes savantes pour être guidé. De ce fait, il va inévitablement commettre des erreurs dans son étude [14]. En revanche, celui qui « se cramponne » aux ‘hakhamim peut atteindre de hauts niveaux de sagesse.

Le Alter de Novardok zatsal exprimait cette idée quand il chantait les louanges du rav ‘Haïm Ozer Grodzinsky zatsal. « Sa sagesse et son génie sont profonds et vastes, parce qu’étant jeune, il restait toujours aux côtés des guedolé hador (dirigeants spirituels de la génération). Jamais, il n’essaya de leur imposer son opinion, mais il se considérait comme un réceptacle ; il écoutait et absorbait toutes les opinions et les explications des guedolim de son époque. Il intériorisa profondément tout ce qu’il entendit d’eux et cette proximité aux sages de plusieurs générations a élevé et purifié sa connaissance. [15] »

Quand on parle de la grandeur de rav ‘Haïm Ozer, on pense généralement à son génie naturel et à sa capacité à réfléchir à plusieurs choses à la fois. Le Alter nous apprend que la clé de sa grandeur fut sa soif, son désir d’apprendre des talmidé ‘hakhamim.

Le fait d’apprendre des ‘hakhamim est fondamental. Le Séfer Ha’Hinoukh souligne que cette mitsva incombe également aux femmes. Il écrit : « Cette mitsva est en vigueur en tout lieu, en tout temps, pour les hommes, et c’est également une mitsva pour les femmes d’écouter les paroles des ‘hakhamim afin qu’elles "connaissent" Hachem. » [16] Notons que le Séfer Ha’Hinoukh régit que les femmes sont exemptées de la mitsva de Talmoud Thora (d’étudier la Thora). [17] Elles ont toutefois l’obligation de s’adresser aux ‘hakhamim qui les guideront dans leur avodat Hachem (service divin).

Il s’agit donc d’une mitsva que les hommes et les femmes doivent s’efforcer d’accomplir. Cette leçon est particulièrement pertinente pour les gens qui ont grandi dans un milieu laïc.

Dans la société moderne et séculière, le fait de « demander conseil à un sage » n’existe presque pas. Par conséquent, un baal techouva trouvera « anormal » de poser certaines questions personnelles à des Rabbanim.

Rav Noa’h Weinberg zatsal note, à ce propos, que dans le monde laïc, les gens consacrent plusieurs années à leurs études, pour décrocher certains diplômes. Par contre, ils ne passent presque pas de temps à savoir comment maîtriser des notions de base et des situations de la vie quotidienne, telles que le mariage, l’éducation des enfants, le bonheur, etc. Ils prônent l’intelligence et le savoir, mais laissent de côté le bon sens, l’expérience et la raison. Les conséquences de cette faille sont manifestes ; le taux de divorce monte en flèche, les liens familiaux connaissent un échec constant et l’insatisfaction est monnaie courante.

La Thora nous enseigne que dans tous ces domaines, il est essentiel d’apprendre des ‘hakhamim, des personnes qui comprennent l’approche de la Thora et les défis que la vie présente.



[1] Parachat Ekev, Devarim, 11:22.

[2] Sifri, 11:21, rapporté par Rachi, Ekev, 11:22. La guemara dans Ketouvot 111b fait la même remarque.

[3] Parachat Vaét’hanan, Devarim, 4:24. Bien entendu, il ne faut pas le comprendre au sens propre, mais plutôt au deuxième degré.

[4] Littéralement traduit par « sage disciple » — cela fait référence aux érudits qui ont beaucoup étudié la Thora et qui en ont intériorisé les enseignements.

[5] Commentateurs anciens du Talmud, 10-15ème siècles

[6] Voir Séfer Ha’Hinoukh, mitsva 434. Cette mitsva comporte deux aspects : l’obligation d’apprendre des talmidéhakhamim et celle de les servir ou de passer le maximum de temps à leurs côtés. Nous nous concentrerons ici sur la première facette.

[7] Séfer Ha’Hinoukh, ibid.

[8] Messilat Yécharim, Chapitre 3, « Biour ‘hélké hazéhirout ».

[9] Parachat Devarim, 1:12-15.

[10] Parachat Yitro, Chemot 18:18.

[11] Rachi, Parachat Devarim, 1:14.

[12] Messirout néfech est communément traduit par sacrifice, don de soi.

[13] Berakhot 47 b.

[14] Si’hot Moussar, maamar 14, p. 61-62. On y donne un exemple à ce phénomène.

[15] « Haméoroth Haguedolim », rapporté dans Michel Avot, ibid.

[16] Séfer Ha’Hinoukh, mitsva 434.

[17] Ibid., mitsva 419.