Découvrez la course-poursuite palpitante de Sophie en quête de son héritage, au cœur d'une enquête qui lui fera découvrir la beauté du judaïsme. Suspens, humour et sentiments... à suivre chaque mercredi !

Dans l’épisode précédent  : Sophie, revenue à Paris pour mener son enquête sur les tableaux volés de son grand-père, a accepté un travail temporaire au sein d’une association juive. Elle réalise combien Israël lui manque et se renseigne pour mieux comprendre ce que faire la ‘Aliya signifie. En parallèle, elle apprend que Ingrid Florange, la femme qui accompagnait sa tante au moment de l’achat du tableau, n’a jamais été journaliste...

Sophie ne s’était pas trompée à propos de cette journaliste. Quelque chose ne collait pas depuis le début, mais elle ne s’attendait certainement pas à ça !

Le journaliste du magazine ArtPress lui avait confié qu’Ingrid Florange, cette employée du magazine, autrefois l’amie de sa tante Ida au début des années 80, qui l’avait aidée à récupérer le tableau de son père, le peintre-’Hassid Shmulik Grinbaum, n’avait jamais été journaliste ! Mais alors qui était-elle ? Et qu’était-elle devenue ? 

A présent, il n’y avait pas grand-chose qu’elle pouvait faire de plus. Son enquête était au point mort.

Ça tombait bien, depuis ses débuts à l’association, elle était tellement occupée, qu’elle n’avait pas le temps de penser à quoi que ce soit d’autre que son travail. Myriam Uzan, la responsable, préparait le voyage annuel du souvenir en Pologne. Et il ne restait que quelques jours pour tout préparer. 

Sophie était chargée des inscriptions de toutes les participantes… Il y avait tellement de tâches diverses qu’elle ne leva pas la tête de son ordinateur et ne s’aperçut pas qu’il allait bientôt faire nuit.

“En une journée, tu as fait plus qu’en une semaine de travail ! Merci pour ton aide précieuse.” C’était Myriam, qui passait sa tête dans le bureau de Sophie. 

“Merci, c’est très agréable de se sentir vraiment utile. J’ai le sentiment que ce n’est pas un voyage comme les autres.

- Tu as raison, cela fait plusieurs années maintenant qu’on l’organise pour les jeunes filles de la communauté et c’est à chaque fois un séjour bouleversant à plus d’un titre. As-tu déjà été en Pologne ? 

- Non, ma mère est née là-bas, c’était une survivante de la Shoah. Moi, je n’y suis jamais allée. 

- Justement, j’étais venue te proposer de faire le voyage avec nous. Je suis sûre que cela t’apportera beaucoup et je ne te cache pas que j’aurais aussi besoin d’aide sur place.”

Sophie était perplexe. Elle savait que le voyage conduirait inexorablement à la visite du camps d’Auschwitz et elle n’était pas sûre d’être de taille à affronter cela. Même si elle avait une idée de ce que sa famille avait vécu, se rendre sur le lieu même de l’horreur la terrifiait. 

Le soir, de retour à la maison, elle appela sa fille Léa. Mère et fille se racontèrent leur journée, comme elles le faisaient quotidiennement depuis que Sophie était rentrée à Paris et que Léa étudiait à Jérusalem, dans le séminaire d’été. Quand elle lui parla du voyage en Pologne, Léa réfléchit puis lui dit : “Maman, je pense que ce serait une bonne chose que tu y ailles, en effet. C’est sûr que ce sera dur, mais je crois que ça en vaut la peine.

- Pourquoi tu penses ça ? 

- Parce que la Shoah fait partie de notre histoire. Et quand je t’entends te démener pour retrouver les tableaux de mon arrière grand-père, je me dis que ce voyage ne peut être qu’une étape de plus pour te rapprocher du but. 

- Justement, je ne me rapproche de rien. Ma piste de la journaliste est tombée à l’eau. Cette femme, pour une raison mystérieuse, n’était pas ce qu’elle prétendait. Et elle a disparu sans laisser de trace, depuis plus de 30 ans. Donc, je ne sais plus où chercher. 

- Tu sais ce qu’on nous apprend à la Midracha ?

- Où ça ? 

- Au séminaire, maman. Faut vraiment que tu te mettes à l’hébreu ! Bref, quand tu as besoin de réponses à tes questions, quand tu te sens bloquée, il faut se tourner vers Hachem et lui demander de l’aide: בְּקָרְאִי עֲנֵנִי “Quand j’appelle, réponds-moi”, c’est dans le Téhilim 4. On a commencé à étudier les Téhilim et c’est incroyable. On se prend la tête à croire qu’on est seules, alors qu’en fait Hachem est tout le temps là et n’attend juste qu’on Lui dise combien on a besoin de Lui”.

A quel moment les rôles s’étaient inversés ? Léa, sa fille autrefois ado rebelle, se mettait maintenant à la conseiller, tout en lui parlant de D.ieu. Si elle avait su sortir de sa zone de confort et en apprendre plus sur son judaïsme, alors sûrement Sophie aurait pu elle aussi faire des efforts et tenter l’expérience. 

Et c’est comme ça que Sophie décida de s’envoler pour la Pologne avec un groupe de 20 jeunes filles... 

Fille de survivants, elle n’avait jamais imaginé se rendre à Auschwitz. Elle voulait inconsciemment rester fidèle à l’injonction parentale : se taire, oublier, un diktat venu tout droit des camps, où le silence était une question de vie ou de mort. Grandir sans rires ni fantaisie. Ne pas poser de questions. Ne pas parler, puisqu’on ne peut parler de ça. Mais depuis son voyage en Israël, Sophie avait pris conscience qu’elle ne pouvait plus vivre de cette façon. Oui, elle avait souffert d’être une enfant de rescapés. Oui, cette visite allait être éprouvante. Mais elle savait au fond d’elle que quelque chose de positif en sortirait. La visite du camp n’eut pas lieu le premier jour. En fine organisatrice, Myriam voulait d’abord préparer le groupe, attendre que chacun s’habitue au séjour. 

Le lendemain, le groupe prit le bus tôt ce matin. Dans l’accueil du musée, Sophie fut étonnée de croiser une foule de personnes de toutes nationalités. Comme elles devaient attendre une visite en français, ce n’est qu’à midi qu’elle firent la rencontre d’une charmante guide polonaise, qui dicta dans les casques audio les règles des deux camps. En effet, par respect pour les personnes mortes ici dans le camp d’Auschwitz et pour les autres visiteurs, les visites se font à voix basse, avec un casque. Cela permet aussi à chacun de choisir de visiter en silence ou de s’isoler du groupe.

Au début de la visite, Sophie crut qu’elle allait se sentir mal. L’air lui manquait et elle sentait un sifflement dans ses oreilles. Elle avait eu beau se préparer pendant une semaine à ce moment, son corps la lâchait d’un coup et elle faisait une crise de panique. Il fallait qu’elle sorte de la pièce et aille respirer de l’air dehors. Mais dehors, le paysage était désolant : la voie ferrée, les portes du camp, les barbelés… Elle se pencha et ne regarda que le sol en respirant très fort, elle paniquait. A présent elle voyait des points noirs, elle sentait qu’elle allait perdre connaissance, quand elle sentit une main sur son épaule. C’était Myriam.

Sans un mot, elle l’aida à se relever et la força à la regarder tout en prenant de longues inspirations. Au bout de plusieurs minutes, Sophie réussit à se calmer… et se mit à pleurer :

“Je me sens si nulle. Je n’arrive pas à tenir face à une visite, quand ma famille a dû affronter toute cette horreur. 

- Tu ne peux pas comparer ta situation aujourd’hui et ce qu’il s’est passé il y a 65 ans. 

- Depuis une semaine, ça tourne en boucle dans ma tête, je n’arrête pas de me demander comment ils ont fait pour tenir dans le camps, comment ils ont réussi à ne pas perdre l’espoir, quand il n’y avait plus rien à attendre. 

- Je ne peux pas répondre pour les 6 millions de personnes qui ne sont plus là. Mais je peux juste te parler de mon grand-père. Tu vois cette voie ferrée. Il nous a confié que dans le train, en route vers ici, il a répété en boucle le Nichmat Kol ‘Haï : c’est une prière de louanges qui remercie Hachem d’être en vie. Aussi fou que cela puisse paraître, il nous a dit n’avoir jamais perdu la Emouna (foi en D.ieu), même dans cet enfer. Il se disait constamment que même s’il ne comprenait pas pourquoi tout cela arrivait, il savait que D.ieu était là. Aujourd’hui, si nous sommes venues c’est pour nous souvenir, pour ne pas oublier et comprendre aussi que la vie n’est pas toujours logique. En tous cas, elle ne respecte pas notre logique à nous. Ces jeunes filles qui sont venues vont approfondir leur relation à Hachem, elles apprendront qu’il faut savoir continuer à y croire, même quand rien n’a de sens.

- Merci Myriam. 

- Tu te sens mieux pour rejoindre le groupe ?”

Sophie fit “oui” de la tête et elles partirent ensemble poursuivre la visite. Le soir, de retour à l’hôtel, le groupe parlait peu, encore secoué de cette visite. Sophie s’était isolée et avait emprunté un livre de prière “Pata’h Eliyahou” et s’était mise à lire la prière de Nichmat Kol ‘Haï. Elle fut bouleversée par ces paroles saintes et par le récit que lui avait fait Myriam au sujet de son grand-père. Le fait de savoir qu’il avait récité une telle louange dans un moment de désespoir, lui faisait monter les larmes aux yeux. Elle se rappela alors ce que lui avait dit Léa au téléphone : Hachem attend qu’on L’appelle pour nous répondre. Elle se laissa alors à parler à D.ieu, lui demandant de l’aider dans ses recherches et de donner un sens à sa vie, priant pour qu’elle puisse retrouver ce sentiment d’accomplir quelque chose d’utile, comme avec ce voyage inattendu.

Trois jours après, Sophie était de retour à Paris, marquée par cette expérience, comme toutes les participantes. Elle reprit lentement le cours de la semaine, en reprenant le travail (de nouveaux projets attendaient) et en appelant sa fille tous les jours à la même heure. Un soir, Léa lui dit au téléphone que même si sa chambre et son appartement lui manquaient, elle se sentait comme à la maison à Jérusalem, comme si en fait elle n’avait pas changé d’adresse. 

Cette dernière phrase laissa Sophie perplexe. Après avoir raccroché avec sa fille, elle alla ouvrir le tiroir de son bureau et contempla une nouvelle fois la vieille lettre écrite par sa tante. D’un coup, une idée la frappa ! Puis elle jeta un rapide coup d’oeil à sa montre et pensa qu’il n’était pas trop tard. Elle passa un rapide coup de fil, posa juste une question, s’excusa pour le dérangement, remercia. Puis passa un second appel, interrogea son interlocuteur, attendit quelques minutes en silence, puis remercia et de nouveau raccrocha.

De nouveau, elle regarda sa montre et se dit : “là, il est vraiment tard”. Mais l’excitation était à son comble et elle ne pouvait pas attendre jusqu’au lendemain.

Elle passa un troisième appel, cette fois à Yoël Kissler. Après s’être assurée qu’elle ne le dérangeait pas et s’être excusée pour l’heure tardive de son appel, elle lui dit dans un même souffle : 

“Mon enquête peut repartir ! Devinez ce que j’ai découvert !...”

La suite la semaine prochaine...