La paracha Yitro comporte un élément surprenant : il s’agit de la juxtaposition du conseil qu’Yitro donna à Moché Rabbénou et la section relative au don de la Thora. Rabbi Tsadok HaCohen rapporte un commentaire intéressant au nom de son rav[1]. Il évoque tout d’abord la section dans laquelle Yitro suggéra à Moché de modifier le système judiciaire et note que Moché écouta et suivit son conseil.

Ceci semble plutôt anodin, mais après réflexion, on découvre dans la réaction de Moché Rabbénou, l’une de ses qualités exceptionnelles. Yitro était peut-être un homme sage, mais il restait toutefois à un niveau bien moindre que celui de son illustre gendre, d’autant plus qu’il n’était aucunement lié à la sagesse de la Thora. Moché aurait très bien pu l’écouter jusqu’au bout et repousser ensuite, poliment, sa proposition, sans véritablement la prendre en considération. Mais, il écouta attentivement et réfléchit sérieusement à ce conseil pour finalement décider de le mettre en application.

Le rav de Rabbi Tsadok affirme que nous apprenons de Moché qu’une personne doit écouter ce que dit son prochain, quand bien même il s’agirait d’un homme simple ; c’est une façon d’apprendre de chaque individu. Il explique ensuite le lien avec le don de la Thora ; l’un des aspects essentiels de l’étude de la Thora est la capacité d’apprendre de tout homme.

La question suivante se pose. Il est vrai que cette disposition à apprendre des autres est nécessaire dans l’étude de la Thora, mais comment comprendre que ce soit un enseignement si primordial, au point d’en faire l’introduction au don de la Thora ?

Le rav Eliahou Lopian zatsal répond à cette interrogation. Il écrit : « Certains hommes sont matmidim (étudiants particulièrement assidus) et s’investissent dans l’étude de la Thora, mais ils ne sont pas capables d’écouter les autres et de considérer leurs camarades d’étude, ils sont absorbés par leurs réflexions et ne s’intéressent pas aux autres. Ces personnes ne sont pas seulement sévèrement punies, mais elles ne réussiront même pas à avancer et persévérer dans leur étude. » Il poursuit en expliquant pourquoi le fait de ne pas être à l’écoute entrave l’étude personnelle si sérieusement. « L’individu est, par nature, centré sur son ego et reste aveugle à tout ce qui va à l’encontre de son opinion. Il ne pourra rien clarifier correctement sans écouter ce qu’un autre pense. »[2]

Il semble que l’incapacité naturelle d’écouter des points de vue qui vont à l’encontre du sien peut même empêcher un élève d’écouter correctement ceux qui sont plus érudits que lui. Il aura tendance à vouloir débattre avec tout ce qu’ils disent. Par conséquent, ce talmid ne pourra jamais vraiment comprendre et intérioriser ce que son maître lui dit. En revanche, la capacité d’écouter sincèrement et de comprendre ce que les autres pensent est l’une des clés pour atteindre la gadlout (la grandeur).

Le Alter de Novardok zatsal exprimait cette idée quand il chantait les louanges du rav ‘Haïm Ozer Grodzinsky zatsal. « Sa sagesse et son génie sont profonds et vastes, parce qu’étant jeune, il restait toujours aux côtés des guedolé hador (dirigeants spirituels de la génération). Jamais, il n’essaya de leur imposer son opinion, mais il se considérait comme un réceptacle ; il écoutait et absorbait toutes les opinions et les explications des guedolim de son époque. Il intériorisa profondément tout ce qu’il entendit d’eux et cette proximité aux sages de plusieurs générations a élevé et purifié sa connaissance.[3] » Quand on parle de la grandeur de rav ‘Haïm Ozer, on pense généralement à son génie naturel et à sa capacité à réfléchir à plusieurs choses à la fois. Le Alter nous apprend que la clé de sa grandeur fut sa soif, son désir d’écouter attentivement et de comprendre tout ce qu’il entendait.

Il n’est pas évident d’accorder toute notre attention à ce que disent nos rabbanim, mais il est bien plus difficile d’écouter nos camarades, nos pairs. Souvent, quand nous entendons que quelqu’un va transmettre un dvar Thora, nous « décrochons », nous réfléchissons plutôt à ce que nous allons dire par la suite. Outre le manque de derekh erets (respect, conduite appropriée), une telle attitude empêche grandement la personne de grandir et d’acquérir plus de sagesse.

La capacité d’accepter l’opinion d’autrui, en particulier quand elle contredit la nôtre, est une qualité bien rare.

Lors d’une séoudat préda (repas d’adieu), l’un des intervenants faisait l’éloge des vertus de son ami – il raconta qu’un jour, ils menèrent un vif débat, qu’ils conclurent en acceptant que chacun reste sur ses positions. Plus tard, l’ami alla chez l’orateur en question en lui disant qu’il avait compris son point de vue et qu’il avait changé d’avis sur la question, grâce à leur discussion. Deux points sont remarquables dans cette histoire – tout d’abord la grandeur de la personne qui a su écouter un avis contradictoire au sien et l’accepter, en comprenant sa logique. De plus, on constate que cette mida est si rare qu’elle fut choisie pour décrire la vertu de cette personne.

En réalité, les choses ne devraient pas être ainsi — ce devrait être un automatisme d’écouter ce que l’autre dit, quand nous sommes impliqués dans une discussion, et d’essayer d’apprendre de notre prochain, même si son opinion va à l’encontre de notre point de vue initial.

Passons à un niveau plus difficile encore que celui d’écouter nos égaux ; c’est la disposition à être à l’écoute de ceux qui sont à un niveau inférieur au nôtre.

L’un des élèves les plus âgés d’une yéchiva était perturbé par la michna dans Avot[4] qui définit l’homme sage comme celui qui apprend de tout un chacun, et pas seulement des Guedolim – il en parla à un possek (décisionnaire en halakha) célèbre. Que peut-on apprendre de ceux qui ont un niveau d’étude inférieur ? Le possek lui répondit qu’il avait enseigné le Michna Beroura à des baalé techouva (pénitents) qui avaient commencé à étudier la Thora environ un an auparavant. Il raconta qu’ils abordaient les halakhot d’un angle qu’il n’avait jamais vu précédemment, ce qui lui a fait remettre en cause certains principes qu’il croyait bien fondés.

Nous apprenons de la paracha de cette semaine que le fait d’écouter les autres est l’un des fondements de la sagesse. Plusieurs commentateurs affirment que c’est ce à quoi fait référence la deuxième des quarante-huit façons d’acquérir la Thora : « chemiat haozen » (l’écoute).

Puissions-nous tous mériter d’être à l’écoute de ce que nos enseignants, nos amis ou nos disciples nous disent et que cela nous aide à étudier et à comprendre la Thora.



[1] Rapporté dans Béchem Amroo, séfer Chemot, p. 281.

[2] Lev Eliahou, parachat Emor, rapporté dans Michel Avot, 3ème partie, Ch. 6, michna 6.

[3] Haméoroth Haguedolim, rapporté dans Michel Avot, ibid.

[4] Pirké Avot, 4:1.