Il est difficile de choisir dans la Paracha de cette semaine, Kédochim, un verset particulier concernant l’amour du prochain, tant notre Sidra est riche dans ce domaine.

Ce n’est d’ailleurs probablement pas un hasard, si elle intitulée « Kédochim » « Soyez saints ! ». Elle vient nous rappeler que la sainteté, dans notre tradition, n’est pas réservée à la relation à l’Éternel, mais elle concerne également nos relations avec nos prochains.

Toutefois, s’il faut s’arrêter sur un verset en particulier, arrêtons-nous sur celui qui est emblématique de l’amour du prochain et qui a dépassé les frontières du judaïsme « Vé ahavta la réakha kamokha » « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lévitique 19.18).

Comme chacun le sait et en fait l’expérience chaque jour, l’homme est, dès sa naissance, un être social, en interaction avec d’autres êtres humains : sa famille, son école, ses amis, ses collègues de travail, son épouse etc… Aussi, la qualité de la relation que nous tissons avec autrui est structurante de notre équilibre et de notre épanouissement. Lorsqu’un homme est en butte régulièrement à des personnalités difficiles, vit des tensions dans ses relations humaines, il peut en concevoir une mélancolie ou une tristesse. Inversement, des relations sociales apaisées et constructives avec son entourage contribuent au bonheur et à l’épanouissement des individus.

Nous ne sommes certes pas maîtres de l’équilibre psychologique d’autrui, mais nous sommes maîtres du regard que nous portons sur lui et qui conditionne notre ressenti. Lorsque notre tradition nous exhorte à « aimer autrui comme soi-même », elle ne prétend pas que l’on puisse chérir authentiquement chaque être humain, comme nous chérissons les êtres les plus proches, ou encore comme nous nous aimons nous-mêmes. Elle vient nous rappeler toutefois que chaque homme est porteur de la même dignité, car il a été créé à l’image de D.ieu Chaque être humain est porteur d’une Néchama, d’une étincelle divine, qui fait de lui un être unique, porteur d’une lumière qui ne demande qu’à être dévoilée.

Il est vrai que les circonstances de la vie, l’éducation, la culture favorisent parfois la diffusion de cette lumière, tout comme elles peuvent, au contraire, l’enfouir et l’ensevelir. Méditons cette belle métaphore, suggérée par le Rav A. Twerski : un diamant à l’état brut est semblable à un vulgaire débris de verre. C’est uniquement au prix d’un travail exigeant de raffinement et d’épuration qu’il pourra briller et dévoiler sa richesse. Il en va de même des hommes qui sont tous dépositaires d’une âme pure et sainte qui appelle à dévoiler sa lumière au prix d’un raffinement de ses qualités morales. La Torah a précisément pour objectif de nous aider à dévoiler ce potentiel à travers le corpus de Mitsvot qui doit rythmer notre vie.

Le moyen le plus sûr de parvenir à l’amour d’autrui est de rechercher dans l’autre son étincelle divine, son âme, ce qui fait de lui un être unique, susceptible d’illuminer le monde. Il n’est pas simple de parvenir à ce résultat avec tous les hommes. Certains suscitent naturellement la sympathie, alors que d’autres ont un abord beaucoup plus aride. Notre tradition ne l’ignore pas, et elle nous donne un précieux conseil pour faire échec à l’animosité qui guette certaines relations humaines : l’action.

En effet, on pourrait penser que l’amitié et l’amour sont des sentiments qui naissent spontanément dans le cœur des hommes, et que l’on ne peut pas les créer si on ne le ressent pas préalablement dans notre cœur. Nos Sages nous enseignent un secret révolutionnaire : le cœur est entrainé par les actes (Séfer Ha'hinoukh). Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les sentiments que nous éprouvons ne sont pas toujours liés uniquement à ce que notre cœur ressent, mais, bien souvent, l’affection que nous avons pour autrui dépend des actes de générosité que l’on accomplit en sa faveur. Plus, je vais être bon, généreux, aimable, poli avec une personne, plus je vais ressentir de l’affection pour elle, et elle-même me renverra des sentiments positifs en retour qui créeront une relation harmonieuse.

À la lumière de cet enseignement, on pourrait utilement relire la Paracha de Kédochim, et nous comprendrions en fait que toutes les Mitsvot que nous devons accomplir par égard pour notre prochain ont en fait vocation à faire naître en nous l’amour de notre prochain.

Comme le remarque Rav Dessler, la Torah a inversé le postulat bien connu « On donne à qui l’on aime » et propose de le lire ainsi « On aime ceux à qui l'on donne ». En s’abstenant de médire de son prochain, en s’efforçant de le juger avec bienveillance, en lui rendant visite, en l’aidant, en l’encourageant et en le soutenant, nous faisons naître en nous l’amour pour autrui. En agissant ainsi, nous percevons beaucoup plus clairement l’étincelle divine dont il est dépositaire, et nous l’aidons lui-même à en être conscient et à dévoiler son potentiel. « Ce qui sort du cœur pénètre dans le cœur » ; lorsque nous considérons dans notre prochain sa dimension divine, cela provoque inévitablement un ébranlement en lui, une fissure de la carapace matérielle qui recouvre parfois sa Néchama. Jour après jour, cette fissure s’élargit et permet à une lumière de plus en plus intense de sortir et d’illuminer le monde.

C’est là précisément, avec l’aide d’Hachem, la vocation de l’homme : illuminer le monde à travers sa propre lumière mais aussi en permettant aux autres hommes de dévoiler leur propre lumière.