Avec la lecture de la Paracha de Vayikra, nous ouvrons cette semaine, avec l’aide d’Hachem, le troisième livre de la Torah, lui-même appelé « Vayikra » ou Lévitique. Le récit de la Torah se poursuit ainsi, après avoir assisté à la naissance du peuple hébreu dans Béréchit avec la filiation des patriarches, puis à la constitution du peuple Juif dans Chémot, à l’issue de l’exil et grâce au don de la Torah, avec l’exposé des lois particulières spécifiques aux sacrifices et aux règles de pureté et d’impureté.

Le livre de Vayikra s’inscrit dans la continuité de la fin du livre Chémot. En effet, la Présence divine repose, à présent, au cœur du camp des Bné Israël dans le désert, à travers le Michkan recouvert des nuées divines. Cette sainteté éminente oblige donc chaque membre du peuple Juif à la vertu et à une conduite exemplaire, toutefois la nature humaine étant ce qu’elle est, il était nécessaire de prévoir des procédures en cas de fautes d’un des membres du peuple, voire de l’ensemble du peuple. À travers les sacrifices, le livre de Vayikra nous indique comment expier les fautes afin de ne pas rompre la relation avec Hachem et permettre à la Chékhina (Présence divine) de demeurer au cœur du peuple.

Ce livre s’ouvre donc sur l’appel que D.ieu lance à Moïse « Vayikra », « D.ieu appela Moïse », et qui suscitera de nombreux commentaires. Rappelons ici le commentaire de Rachi à ce sujet :

Il appela Moché : Toutes les fois que Hachem s’est adressé à Moché en lui « parlant », en lui « disant » et en lui « ordonnant », Il a commencé par « appeler », expression d’affection (Yoma 4b, Wayiqra raba), identique à celle employée par les anges de service, comme il est écrit : « Il “appela” l’un l’autre… » (Yécha’yah 6, 3). Tandis que c’est de manière fortuite et impure qu’Il Se révèle aux prophètes des nations du monde, comme il est écrit : « Éloqim “survint” vers Bil'am, Il lui dit… » (Bamidbar 23, 4).

Ce commentaire peut se lire à deux niveaux.

Tout d’abord, ce commentaire de Rachi peut être analysé comme un conseil de savoir-vivre particulièrement précieux : lorsque l’on souhaite s’adresser à une personne que l’on aime et que l’on estime, on commence par l’appeler par son nom. On ne l’interpelle pas à la volée, on ne l’apostrophe pas, on commence par le nommer pour lui témoigner notre affection.

Ensuite, l’analyse de Rachi nous rappelle l’affection que l’Éternel portait à Moché Rabbénou, et la sollicitude qu’Il lui témoignait. Voilà pourquoi, D.ieu prend le soin d’appeler Moché vant de lui parler. Le commentaire de Rachi nous fait remarquer également un contraste avec la manière dont D.ieu s’adresse aux prophètes des nations du monde qui ne disposent pas de la même proximité et de la même sainteté que Moché. Lorsque D.ieu leur adresse la parole, Il ne commence pas par les appeler, mais Il leur donne Son message directement, de manière “fortuite” ou “impure”. C’est ainsi que D.ieu « survient » devant Bil'am sans l’avoir averti qu’il allait lui parler, le texte emploie alors le terme « Vayiker ».

On pourra être frappé de la ressemblance entre ces deux termes « Vayikra » « Il l’appela » et « Vayiker » « Il survint ». Ils ne se distinguent l’un de l’autre qu’à l’aide d’une seule lettre, la première de l’alphabet, le « aleph » et pourtant ces deux termes désignent des réalités diamétralement opposées : l’affection d’une part, l’indifférence d’autre part.

Aussi, la présence discrète de cette lettre nous invite à faire attention aux détails dans notre relation à autrui, aux marques d’affection, aux témoignages de reconnaissance, aux sourires, aux regards qui animent notre relation à autrui et transmettent la considération que nous lui portons.

Nos Sages nous enseignent ainsi que si nous ne pouvons pas répondre positivement à une sollicitation pour de la Tsédaka, le sourire et la bienveillance avec lesquelles nous répondrons ont une valeur inestimable pour celui qui nous sollicite.

Alors que nous sommes portés parfois à n’accorder d’importance qu’à l’aide matérielle et concrète que nous apportons à autrui, la Torah vient nous rappeler que le respect, la délicatesse, l’élégance, la gentillesse avec lesquelles nous nous comportons ont également une très grande importance. Elles témoignent de notre respect pour sa dignité.

En outre, la lettre « aleph » a pour valeur numérique « 1 » ; elle est le symbole de l’unité, et évoque bien souvent dans notre tradition le « aloufo chel 'olam », le Maître du monde, l’Unique par excellence. À l’aune de ce commentaire sur le terme « Vayikra », et l’accent mis sur la présence de ce « aleph », nous pourrions dire que, lors que l’homme s’adresse à son prochain, lorsqu’il l’appelle « Vayikra », il doit garder en tête que la personne à laquelle il s’adresse porte en elle le reflet de la Présence divine.

Rav Wolbe, un grand maître contemporain du Moussar, rapporte qu’il a rencontré un jour un homme très âgé, témoin des générations précédentes, qui lui avait dit qu’autrefois, lorsqu’on rencontrait un autre Juif, c’était une occasion de remercier D.ieu de nous avoir donné la possibilité d’aimer un autre membre de notre peuple. C’était notamment là, la grandeur des Juifs du passé. (rapporté par R. Shimon Baroukh, Ben Adam La’havero).

De même, le Ba’al Chem Tov soulignait que lorsqu’un Juif prend le temps de parler à son prochain, d’écouter ses difficultés, de le conseiller, de l’encourager, HaChem proclame « Moi aussi, Je vais écouter les prières du ‘Am Israël et résoudre ses problèmes ». Ainsi, la sollicitude vis-à-vis d’autrui, s’adresser à lui avec respect, l’écouter, le soutenir permet à l’homme de voir ses propres prières écoutées par Hachem.

Puisse l’Éternel nous permettre de progresser dans ce travail intérieur, de développer en nous cette Midda d’« amour du prochain » « Ahavat Israël », et de pouvoir ainsi hâter la délivrance ou le « Aleph », le « Aloufo chel 'olam » « Le Maître du monde » « sera un et unique sera Son Nom” (Zaccharie).