Nos Sages enseignent qu’entre les pauvres de sa ville et les pauvres d’une autre ville, on doit accorder la priorité aux pauvres de sa ville.

Rabbi Ya’akov Abi’hssira se souciait beaucoup des pauvres de sa ville.

La région du Tafilalet, au Maroc, était alors gouvernée par le prince El Islam, qui ne chérissait guère les Juifs. 

Le prince El Islam avait coutume de chevaucher dans les rues et les marchés de la ville. Dès qu’ils apercevaient au loin son cheval, les gens se levaient pour se prosterner devant lui. Mais les Juifs, qui ne désiraient guère rendre ces honneurs à un être de chair et de sang, s’efforçaient de rester chez eux aux moments où le prince apparaissait.

Or un jour que Rabbi Ya’akov se trouvait assis devant la boutique d’un de ses disciples, il aperçut au loin le cheval du prince et son escorte. Il se leva rapidement et entra à l’intérieur de la boutique. Quand le prince fut parvenu au niveau de la boutique, ses chevaux refusèrent d’avancer et s’agenouillèrent. Les coups redoublés du prince ne furent d’aucune utilité. Cependant les Juifs de la rue, qui s’étaient cloîtrés chez eux, jetaient furtivement un regard par les interstices des volets. Lorsqu’ils comprirent ce qui se passait, ils commencèrent peu à peu à sortir, et ce fut bientôt une foule qui emplit la rue. Le prince était fort en colère. C’est alors qu’un jeune enfant juif s’approcha de lui et dit au despote : « C’est pour notre saint maître, la couronne de notre tête, Rabbi Yaakov Abih’ssira, que les chevaux se sont mis à genoux. Il se trouve à présent dans la boutique. »

Le prince pénétra dans le petit magasin. Il lança sur Rabbi Ya’akov un regard menaçant, et lui demanda pourquoi il était allé se réfugier là, plutôt que de se prosterner devant lui comme tout le monde. Mais notre maître n’avait qu’une crainte au monde : celle de son Créateur. Il répondit calmement : « Je ne me prosterne que devant le Roi du monde, non devant un homme de chair et de sang, car seul le Très Saint règne sur tous les rois, et à Lui appartient la royauté ! »

Le prince, constatant la bravoure et la sainteté de l’homme qui se tenait devant lui, ravala sa colère et autorisa notre maître à ne point se prosterner à son passage, à partir de ce jour. Puis il demanda au saint homme de libérer ses chevaux ! Rabbi Ya’akov en profita pour demander que les Juifs du Tafilalet fussent respectés par les habitants de la ville, dont le prince lui-même. Le prince le lui promit, et notre maître s’en retourna dans la boutique. D’un bond, les chevaux se redressèrent et continuèrent leur chemin. 

Le prince n’était pas prêt d’oublier ce qui s’était passé dans la rue des Juifs. Il tint promesse, et la ville connut une période de sérénité, sans décrets iniques, ni incidents pour les Juifs du Tafilalet. 

Les chefs musulmans se rendaient bien compte de la popularité croissante du Rav, et de la protection spéciale que lui accordait le prince. Dévorés par la jalousie, ils décidèrent d’utiliser la calomnie contre les Juifs et leur maître.

Les dignitaires firent courir le bruit que Rabbi Ya’akov avait diffamé le Coran et son auteur, Mahomet. Ils écrivirent à cet effet une lettre au sultan, qu’ils lui firent remettre par trois messagers, partis à cheval pour la ville de Fez. Les Juifs du Tafilalet, effrayés, vinrent s’attrouper autour de la maison de leur maître. Celui-ci les réconforta du mieux qu’il le pouvait.

Quelques jours plus tard, les coursiers étaient sur le chemin du retour, portant entre leurs mains une lettre au sceau du sultan, ordonnant l’exécution capitale du Tsadik. De nouveau, les Juifs s’attroupèrent autour de la maison du Rav, élevant leur plainte jusqu’au ciel. Notre maître, qui était plongé dans son étude, envoya son fils aîné, Rabbi Massoud, leur dire que les coursiers étaient encore à trois heures de l’entrée de la ville et qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter. La foule se dissipa, et nombreux furent ceux qui se dirigèrent vers les synagogues de la ville, où ils déversèrent leur prière.

Soudain, on entendit le galop rapide des coursiers. Voici qu’un étonnant spectacle s’offrait aux yeux de tous. Un des messagers chevauchait à toute allure, bouleversé, tandis que deux chevaux déchaînés le suivaient. Que s’était-il passé ? Le messager raconta son histoire : « De retour au Tafilalet, dit-il, alors que nous tenions précieusement la missive signée par notre vénéré sultan, nous passâmes les portes de la ville, quand tout à coup d’énormes pierres se détachèrent de la muraille et fracassèrent le crâne des deux messagers qui m’accompagnaient. Je suis resté seul survivant de la catastrophe. »

Lorsque les Juifs apprirent quel miracle s’était produit, ils se vêtirent d’habits de fête et montèrent allègrement vers la maison de leur maître. Celui-ci, dans sa profonde modestie, leur dit : « Voyez, mes frères, comme vos prières et vos plaintes se sont élevées vers le Ciel. Voyez comme la prière et la Tsédaka que vous avez donnée ces derniers temps ont agi, en ces moments critiques ! »

Depuis ce jour, les dignitaires musulmans se joignirent au prince El Islam pour soutenir notre maître. Certes, ils ne tenaient pas les Juifs en affection ; mais ils les craignaient à présent, et ils n’osèrent plus les tourmenter par leurs affabulations.