L’idée est répandue chez certains que, selon la Torah, la femme ne serait que l’ombre de son mari, elle lui devrait respect et soumission, et se devrait de faire sa volonté avant toute chose. Ce ne serait que ces dernières années et par crainte d’être stigmatisés que les rabbins auraient commencé à parler de la place de la femme dans le couple. Est-ce réellement le cas ? Comment la Torah conçoit-elle la place de la femme dans le couple ?

L’erreur que beaucoup de gens font est qu’ils se suffisent d’observer le comportement de certains religieux pour se faire une idée de ce que la Torah prône mais ne la questionne jamais elle-même. Alors, laissons nos préjugés de côté et ouvrons le livre saint…

Pour ne pas être soupçonné de faire parler les enseignements qui « m’arrangent », nous allons nous cantonner aux enseignements littéraux du livre de la Genèse. Commençons avec le couple Avraham et Sarah, les patriarches.

D.ieu enjoint à Avraham de quitter son pays natal pour une terre encore inconnue (Genèse 12, 1). Avraham a alors soixante-quinze ans (Ibid. 12, 4) et toujours pas de successeur car sa femme Sarah est stérile (11, 30). La chose peina énormément à Avraham qui pria plusieurs fois D.ieu afin qu’Il lui accorde une descendance (15, 2-3) ; pourtant, Avraham ne demanda jamais à avoir une descendance autrement qu’avec Sarah, advienne que pourra ! C’est Sarah qui mit sa servante entre les mains du patriarche dans le but de lui donner un enfant (16, 2). 

Où est donc passé l’égo d’Avraham qui continue d’aimer et de chérir sa femme alors qu’elle ne lui donne pas ce qu’il attend ? Mais ce n’est pas tout : une fois la servante enceinte, un malaise  naît entre les deux femmes, Sarah s’en prend même à Avraham (16, 5) mais lui de répondre qu’il n’a que faire de cette relation avec la servante « fais-lui ce qui te semblera bon » (16, 6). La juvénilité de la servante n’a amenuisé l’amour d’Avraham pour sa femme…

Alors qu’Avraham s’était attaché à son fils Ichmaël de tout son cœur (17, 20), Sarah, qui discerna dans son comportement une menace pour son fils, lui demanda de les renvoyer, lui et sa mère ! (21, 10) Avraham en fut peiné (Ibid. 11) mais réalisa la volonté de sa femme et renvoya son fils. Alors Avraham est-il misogyne ? Et Sarah, femme soumise ? On ne dirait pas… 

(Quant à savoir pourquoi Sarah agit de la sorte, les commentateurs nous rapportent qu’elle vit qu’Ichmaël essayait d’inciter sin fils à l'idolâtrie, ou de le tuer d’après l’autre…)

Si Avraham n’était vraisemblablement pas un misogyne, allons du côté de son fils Its’hak, peut-être que la légende de la phallocratie commence chez lui… ?

Its’hak a deux jumeaux, Yaacov et Essav, et une exceptionnelle capacité à bénir. Vers la fin de sa vie, lorsqu’il décide que le moment est venu d’utiliser son don, il fait appeler Essav son fils afin de lui accorder sa bénédiction (Genèse 27, 1). Mais sa femme Rivka est d’un tout autre avis, elle veut que ce soit Yaacov qui bénéficie du don paternel et non Essav (ibid. 5, 17). Elle arrange tout pour que Yaacov usurpe subrepticement la bénédiction destinée à son frère et y parvient. Lorsque Its’hak l’apprend, « il est épris d’une grande frayeur » (27, 33) mais ne dit pas un mot à sa femme ; bien au contraire, il bénit celui qu’elle a choisi « Aussi sera-t-il béni » (ibid.) Loin de se faire petite après cette histoire, Rivka demanda même à son mari d’envoyer son fils loin de lui, chercher une femme parmi les femmes de Canaan plutôt que d’en choisir une de celle de Heth (Ibid. 46). Là aussi, nous n’avons pas vu Its’hak taper du poing sur la table pour « l’affront » que sa femme lui a fait ? Quant à elle, peut-on la qualifier de femme soumise ?

On commence à entrevoir un début de raisonnement à tout cela : la confiance et le respect. La confiance d’un mari à vis-à-vis de son épouse, savoir que son avis compte même s’il n’est pas identique au sien, pire encore même s’il s’y oppose ! Puis le respect de laisser à l’autre sa liberté de penser et sa capacité d’expression. Ne pas brimer l’autre dans ses idées sous prétexte que nous savons mieux et aimer malgré la différence…

Cette idée est si fondamentale dans la Torah que les Sages disent que c’est l’essence même de l’amour, à tel point que le Roch dit dans son commentaire sur le traité Yébamot (p.14) concernant les interminables désaccords entre Beth Hillel et Beth Chamaï « On ne pourrait parler d’amour et de respect si Beth Chamaï s’était rangé à l’avis de Beth Hillel, car le véritable amour n’est autre que si chacun tient sa position (contraire à l’autre) et que malgré tout, les deux parties se comportent avec respectent et amour » (Rambam, lois de sur la Che’hita chap. 11, halakha 7 dans le Maguid Michné)

C’est cette notion qu’avaient saisi nos maîtres : l’amour va au-delà de la différence et de l’avis contraire, il est intrinsèque à la personne et s’exprime de plus belle vis-à-vis de son épouse…