Devant cette monstrueuse spirale qui engloutit l’entendement et nous aspire avec elle, devant les chiffres inconcevables et l’interminable liste des outils de torture employés entre 1933 (montée d’Hitler au pouvoir) et 1945, pour éradiquer un peuple de la planète, le sol se dérobe sous nos pieds.

Et comme devant un gouffre béant sur lequel on ose à peine se pencher de crainte d’y laisser son équilibre mental, notre raison vacille.

Certains tentent pourtant obstinément, de caser la Shoah dans les classiques des grands drames de l'Humanité, (encore un, parmi tant d’autres…) et de l’expliquer comme l’aboutissement d’un ressentiment violent né dans le cœur d’une population allemande humiliée et écrasée par le Traité de Versailles de 1919, après la Grande Guerre, alors que les vainqueurs firent peser sur elle, un très (trop ?) lourd tribut moral et économique.  

L’extermination des Juifs d’Europe serait pour ces théoriciens de l’Histoire, la fin d’un long processus de germination morbide, où rancœur, désir de revanche, amour-propre blessé, allaient mener à un nationalisme exacerbé permettant l’accession d’Hitler au pouvoir ; ce dernier ouvrira alors les vannes de haine sur l’éternel bouc émissaire, coupable des malheurs de l’Allemagne et du monde : le Juif. 

Unser Unglück !!

Yom Hashoah: vers où ?


Mais la Shoah, quantitativement et “qualitativement”, reste un événement surnaturel qui nous échappe même si dans les académies des Sciences Humaines, on essaye de la jauger dans le même microscope que d’autres événements dramatiques survenus au cours des siècles. 

D’ailleurs, cette volonté d’aligner le meurtre de 6 millions de Juifs, en plein milieu du 20ème siècle, perpétré sous les “auspices” du pays philosophiquement le plus éclairé d’Europe qui décide de “débarrasser” le monde d’une ethnie nocive, comme on le ferait d’une vermine (et en employant les même moyens…), ne rentre dans aucun registre d’étude historique ; d’autant plus lorsque cette “ethnie nocive” s’avère être hautement patriote, remplissant ses devoirs civiques à la perfection, cultivée, et totalement dévouée à sa “Liebes Deutschland.”

Sans pour autant jamais vouloir minimiser l’horreur de tout meurtre, la tentative de destruction totale des Juifs d’Europe est unique, et essayer d’effacer sa particularité et de la fondre (ou de la comparer) avec d’autres tragédies, n’est pas toujours innocent…

Le “cas” de la Hongrie 

Jusqu’au début du printemps 1944, les Juifs hongrois furent saufs. Mais l’entrée des troupes nazies à Budapest le 19 mars 1944, mit fin à cette apparente sécurité. 

Du 15 mai au 9 juillet 1944, en moins de 2 mois, plus de 434 000 Juifs d'Hongrie seront déportés dans 147 convois ; 80 % seront gazés dès leur arrivée, à Auschwitz principalement, au rythme de 12 000 par jour.

Deux hommes, l’un non juif, Carl Lutz, diplomate à l'ambassade suisse de Budapest, et Moshe Kraus, en poste également dans la capitale, au Bureau pour la Palestine, vont travailler main dans la main et utiliser une faille dans la législature hongroise, qui voit comme tout porteur de certificat de Alyah, un résidants anglais (donc protégé).

Yom Hashoah: vers où ?Yom Hashoah: vers où ?

Ils vont ingénieusement transformer 1500 de ces documents qui a priori étaient destinés à n’être valides que pour leurs porteurs, en laissez-passer familiaux, incluant encore 5 personnes, ce qui permettra de multiplier le nombre de protégés à 7800 individus. 

De même, ils vont annexer au Consulat suisse des immeubles et appartements disséminés dans Budapest, comme refuges pour les Juifs, en les rendant “ex-territoria helvétique”, c’est-à-dire des petits îlots sous immunité consulaire ; le drapeau rouge et blanc y flottera, et l'accès sera strictement interdit à quiconque tenterait d’inquiéter ses habitants.

La “Maison de Verre”, ainsi surnommée car elle abritait une usine de verrerie et ses bureaux, qui appartenait à l’entrepreneur juif Arthur Weisz, fut le plus célèbre de ces abris, ou 3000 personnes trouveront refuge, dont son propriétaire et sa famille, attendant ainsi en sécurité la fin de la guerre. 76 autres appartements, sur le même principe, seront utilisés pour reloger des familles, et les sauver de la déportation. 

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L’action de ces deux hommes constituera la plus grande opération de sauvetage de cette période, et on estime le nombre de Juifs sauvés par leurs efforts combinés, à plus de 50 000, certains chiffres parlant même de 100 000. 

Moshe Kraus va également mettre la main sur un précieux compte-rendu de 32 pages écrit par deux évadés d’Auschwitz, Rudolf Vrba et Alfred Wetzler, et nommé “Rapport Vrba-Wetzler”, qui détaillera pour la première fois et par des témoins oculaires directs, ce qui se passait dans les camps de la mort, ainsi que les proportions du génocide.

Ce document parviendra aux agences de presse internationales et aux dirigeants du monde libre (Roosevelt, le Pape Pie XII, le roi de Suède Gustave V, les autorités suisses) qui feront pression sur Miklos Horthy, le régent de Hongrie, pour stopper les transports. 

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On peut dire que Kraus aura indirectement réussi à stopper la machine d'extermination nazie sur le sol magyar.

Les intentions du Diable

Mais le cas hongrois vient nous apprendre quelque chose de capital sur les conceptions nazies et leurs desseins.

L’été 1944, les Allemands savent que la guerre est perdue pour eux. Les USA ont débarqué en Normandie le 6 juin, sortis de leur politique isolationniste après l’attaque de Pearl Harbour, et prenant conscience de la nature tentaculaire et vorace de l’Allemagne ; les forces alliées anglaises de Churchill et de De Gaulle se sont ressaisies et avancent sur tous les fronts ; quant aux Russes, leur gigantesque Armée Rouge se déploie sans plus rencontrer de résistance.

Les chefs nazis, à ce stade, sont parfaitement conscients de leur situation militaire et pourtant, leur priorité reste l’extermination des Juifs, dans une stratégie complètement hystérique et déraisonnable.

Car la véritable guerre à gagner pour eux est celle contre l’ennemi juif, et son extermination reste LA priorité du Reich.

Cet élément, à savoir l’assassinat du peuple juif, prévalant même sur l’effort de guerre (et on sait combien les Allemands aiment guerroyer et vaincre) n’est absolument plus du domaine de la logique mais plutôt de celle d’une joute idéologique où les forces du Mal bientôt terrassées et voyant leur fin approcher, cherchent, avant l’agonie finale, à tirer vers la mort leur ennemi juré.


Mais qui, dans les honorables académies universitaires, peut reconnaître que les enjeux de la Deuxième Guerre mondiale furent en fait de nature cosmique…

Yad Vashem

La visite du Musée de la Shoah, Yad Vashem, situé dans les merveilleuses collines entourant Jérusalem, se termine, après un crescendo qui mène le visiteur de la montée du nazisme aux pelleteuses soulevant des montagnes de corps, dans les camps libérés de Dachau et Bergen-Belsen, par l’arrivée de bateaux de survivants en Terre Promise.

Les Nations, horrifiées de découvrir ce qu’elles avaient perpétré (ou laissé perpétrer), et concernées uniquement par leur image, vont, pour parer au reflet peu flatteur de leur “humanisme” révélé au grand jour, accorder aux Juifs, un pays. 

(Par Nations, n’entendons jamais “individus particuliers”, qui eux, auront toujours, en tant qu'êtres créés à l’image de D.ieu, la liberté de faire le Bien, comme Carl Lutz, Raoul Wallenberg, Aristides de Sousa Mendes, Oskar Schindler, Chiune Sugihara et tous les Justes de la planète, sans aucune distinction de religion, ethnie ou niveau social.)

Cette Terre, pour tout Juif, éveille attachement, amour et apaisement : “Nous avons enfin un abri, un refuge, une maison, un 'chez soi'.” 

D’ailleurs, le calendrier des fêtes de l’État hébreu commence par Yom Hashoah (aujourd’hui même), pour terminer en apothéose avec Yom Ha'atsmaout dans 8 jours. 

Mais cette année, il y a une ombre au tableau. 

Les discours sur une Indépendance à toute épreuve, une force militaire et des Services de Renseignements infaillibles, une logistique, des cerveaux, des barrières électroniques infranchissables, devront, c’est sûr, avec tout l’amour que nous avons pour ce pays, être repensés. 

Quelqu’un osera-t-il, dans les sphères politiques, sur les estrades officielles, dire que la ligne droite qu'on avait voulu tirer entre la noirceur de l’Exil et la rédemption du peuple juif par le seul État hébreu, doit être retracée et redéfinie ? 

Que tout ne peut se résumer, en Israël, par la force du bras et des stratèges militaires brillants.

Alors peut-être, cette année, sans rien rejeter ou renier des acquis phénoménaux de ce pays aimé, il serait peut être temps, lors de la minute de silence consacrée aux victimes de la Shoah et des guerres d'Israël, de se demander, d'où vient et vers où marche ce Peuple éternel qui n’appartient qu’à l'Éternel…

Yom Hashoah: vers où ?