Dans la paracha Massé, il est écrit ainsi : « Parle aux enfants d’Israël et dis-leur : "Comme vous allez traverser le Jourdain en direction de la Terre de Canaan, vous choisirez des villes propres à vous servir de cités d’asile : là se réfugiera le meurtrier, homicide par imprudence." » (Bamidbar, 35:10-11)

« Vous accorderez trois de ces villes en deçà du Jourdain, et les trois autres dans le pays de Canaan ; elles seront villes de refuge. » (Bamidbar, 35:14)

Rachi explique, sur les mots « trois villes » : Bien qu’il y avait neuf tribus en terre de Canaan et que là, il y en avait seulement deux et demi, le nombre de villes de refuge était identique. C’est parce qu’à Guilad [qui était située dans le territoire des deux tribus et demi], on trouvait beaucoup de meurtriers…

Le paracha de cette semaine traite des villes de refuge ; ce sont des endroits réservés aux meurtriers involontaires, qui devaient y séjourner jusqu’à la mort du Cohen Gadol. Hachem enjoint Moché Rabbénou de placer trois des six villes de  refuge sur le rive-est du Jourdain.

Rachi rapporte les propos de ‘Hazal [1], et souligne que la population y était moins nombreuse qu’en Erets Israël, et qu’il est donc difficile de comprendre pourquoi tant d’asiles y étaient nécessaires. Il répond que beaucoup de meurtriers habitaient à cet endroit et qu’il fallait donc un nombre proportionnellement plus grand de villes de refuge.

Les commentateurs notent que cette réponse ne semble pas suffire, parce qu’elle parle d’assassins volontaires ; or ces derniers ne vont pas en ville de refuge – seuls ceux qui ont tué par négligence y étaient envoyés ! [2] Le Maharal répond que vivant à proximité de nombreux meurtriers volontaires, ils étaient devenus moins sensibles à la valeur de la vie.

Par conséquent, ils étaient moins vigilants face aux dangers que pouvaient présenter leurs activités, et finalement les morts accidentelles étaient plus fréquentes. [3]

L’explication du Maharal montre comment considérer les fautes capitales de la Thora. L’individu peut penser que  le meurtre ou l’idolâtrie ne le concernent pas, parce qu’il n’a pas de yétser hara (mauvais penchant) dans ces domaines. C’est peut-être vrai, mais nous apprenons du commentaire du Maharal que même si l’on n’a aucune tendance au meurtre, il peut nous manquer une dose infime de sensibilité quant à la gravité de cette faute. On risque alors d’être moins vigilant lors d’une activité potentiellement dangereuse. Ainsi, lorsque la thora nous interdit de tuer, cela ne se limite pas uniquement à ne pas retirer la vie à d’autres personnes.

Il est également impératif de développer une grande sensibilité à la vie et à sa valeur inestimable.

Plusieurs halakhot montrent la subtilité des mitsvot. Les Richonim (commentateurs anciens du Talmud, 11-15ème siècles) nous enseignent le concept de avizarayhou [4] concernant les fautes capitales. Ce sont les extensions de la mitsva de base, incluant d’autres types de comportement, qui sont des manifestations du défaut présent dans la faute. La guemara nous informe, par exemple, que le fait d’humilier quelqu’un en public équivaut à le tuer [5].

Rabbénou Yona comprend cette guemara au sens premier et statue qu’il est interdit d’offenser son prochain même lorsqu’il s’agit de sauver sa propre vie. Pourtant, les seules avérot que l’on ne doit en aucun cas transgresser sont le meurtre, l’idolâtrie et la débauche. Il vaut mieux se laisser mourir que de les enfreindre. Comment Rabbénou Yona peut-il y ajouter l’humiliation du prochain ? Il répond que c’est un avizarayhou du meurtre ; cela nous indique que l’affliction ressentie par l’individu humilié est en quelque sorte semblable à sa destruction ; cette offense est donc aussi grave que le meurtre [6].

Ce principe s’applique aussi à d’autres prohibitions de la Thora ou instaurées par nos Sages. L’interdit de voler par exemple, implique également le guézel chéna (voler le sommeil de l’autre en le réveillant inopportunément) et à la guenévat daat (tromper par la ruse). [7]

Le Rambam applique cet enseignement à chaque mitsva. Un homme l’aborda, une veille de Kippour, au sujet de la confession de nos fautes que nous récitons en ce jour. Il prétendait ne pas avoir commis la plupart d’entre elles ; il lui paraissait donc mensonger de prononcer le vidouï (confession).

Le Rambam répondit qu’en vérité, l’homme avait commis toutes les fautes mentionnées dans le vidouï ! Il expliqua que ce texte n’évoque pas uniquement la faute en soi, mais également ses nuances diverses qui concernent même les gens les plus vertueux. Par exemple, on peut n’avoir jamais fait d’acte immoral, mais toute pensée impure à ce sujet constitue une transgression dans le domaine de la débauche.

Un travail sur soi constant est donc nécessaire pour améliorer notre avodat Hachem (service divin).

On peut penser que l’interdiction de tuer ne s’applique pas à la plupart d’entre nous ; pourtant, le Maharal montre qu’elle nous apprend à développer notre sensibilité à la vie d’autrui, au point que les morts accidentelles ne surviennent jamais. Il en est de même pour toutes les mitsvot ; elles ne sont pas simplement des règles à respecter, mais comportent plusieurs nuances et s’appliquent à différents niveaux.



[1] Makot, 9 b.

[2] Voir Rambam, 35:14, Tosseot Makot, 9 b, pour les réponses à cette question. Dans cet article, nous nous concentrerons sur l’approche du Maharal.

[3] Gour Arié, Bamidbar, 35:14.

[4] Communément traduit par « subsidiaire ».

[5] Baba Metsia, 59 a.

[6] Chaaré Techouva, 3:139.

[7] Le fait que le guézel chéna ou la guenévat daat constitue une transgression réelle de l’interdit « Tu ne voleras point » est sujet à discussion. Il n’empêche que la cause sous-jacente du vol d’un objet ou d’argent détermine également ces autres formes de vol.