Alors que la lecture de la Torah tient en haleine le lecteur depuis plusieurs semaines avec le récit exaltant de la sortie d’Égypte et des miracles qui l’ont entourée, la Paracha de cette semaine interrompt cette narration pour évoquer des détails juridiques précis et techniques. Ce sera le cas également de plusieurs Parachiot qui suivront ces prochaines semaines.

Quel sens peut-on donc donner à ces détails qui font irruption au milieu de la « grande histoire » des enfants d’Israël ?

Comme chacun sait, l’enjeu de la Torah n’est pas de faire le récit d’une simple histoire ancienne. Son objet n’est pas de consigner pour « la mémoire » l’histoire du peuple juif, mais bien davantage de parvenir à « créer un peuple », lui donner une identité collective fidèle à la Parole divine, et le guider vers un destin commun qui lui permettra de traverser l’histoire en restant uni.

Cette entreprise n’a pas d’équivalent dans l’histoire des nations. Aucun autre peuple n’est parvenu sur une durée aussi longue, en dépit des exils, des oppressions, des persécutions, à continuer à former un peuple uni, attaché aux mêmes traditions et conservant un attachement commun.

Ce constat redouble donc l’intérêt de comprendre comment notre récit originel s’est structuré, et comment le peuple Juif a trouvé les ressources de cette unité inébranlable.

Revenons donc au texte de la Torah. Comme nous le mentionnions, il est vrai que depuis plusieurs semaines, des évènements extraordinaires étaient narrés et nous relataient comment les enfants d’Israël étaient d’Égypte pour devenir libres, recevoir la Torah, et devenir ainsi le peuple de D.ieu.

Ces éléments posent, pourrait-on dire, le principe général, la vision et l’ambition qui justifiaient la sortie d’Égypte et la naissance du peuple juif. Toutefois, ces principes ne sont pas suffisants pour créer un collectif, lui transmettre un sentiment d’appartenance, et lui donner une feuille de route à suivre pour l’Histoire. Pour y parvenir, il fallait ajouter au récit historique une sorte de « contrat social » qui lie les individus les uns aux autres à travers un système précis de valeurs, de lois, de décrets qui structurent cette vie en société.

C’est précisément cet objectif que vient remplir notre Paracha et les suivantes : donner aux enfants d’Israël un « modus operandi » concret et applicable immédiatement, à suivre pour donner corps à l’idéal de civilisation proposé par la Torah.

Les principes seuls ne suffisent pas à assurer leur mise en œuvre s’ils ne sont pas accompagnés de prescriptions concrètes et détaillées. C’est ainsi que Thomas Edison aimait à dire « le génie, 1% d’inspiration, et 99% de transpiration ». Inversement, les détails pratiques deviennent vite ennuyeux et aliénants lorsqu’ils ne sont pas sous-tendus par une vision exaltante. Le Rav J. Sacks rapporte cette anecdote à propos de trois ouvriers qui taillent des pierres et à qui l'on demande d’expliquer leur travail. Le premier répond « On casse des pierres » ; le second « on gagne sa vie » et le troisième « on construit un palais ». Plus un homme est habité par l’objectif général de son travail, plus il mettra de cœur à l’ouvrage, et plus il ressentira un sentiment d’appartenance à un projet commun.

Cette approche que la Torah met en œuvre à l’échelle du peuple juif est un principe universel du « leadership » qui vaut aussi bien dans le cadre de professionnel que dans l’éducation des enfants. A côté de l’énoncé des principes généraux, il convient de s’assurer que les modalités pratiques de mise en œuvre de ces principes soient suffisamment détaillées et claires pour être comprises et appliquées.

Il est important que le cœur et l’esprit comprennent où l'on souhaite les mener, mais il est tout aussi important que « les mains » agissent concrètement dans la même direction pour atteindre l’objectif recherché.

C’est là le sens de l’exclamation des Hébreux « Na’assé vénichma’ » « Nous ferons et nous comprendrons ». La Torah nous enseigne ainsi qu’il faut bien souvent commencer par agir, par appliquer des règles, des lois, des principes, pour pouvoir comprendre les principes généraux qui les sous-tendent et les faire entrer dans nos vies.

Voilà pourquoi, la Torah ne pouvait se contenter de proclamer les principes de « liberté », « d’égale dignité des hommes » sans les accompagner d’une législation précise qui encadre le statut de l’esclave, de l’étranger, des dommages faits à autrui…

C’est précisément grâce à toutes ces dispositions précises que l’idéal de civilisation porté par la Torah peut prendre forme.

Puissions-nous, avec l’aide d’Hachem, nous en inspirer pour nous élever et élever ceux qui nous entourent en leur proposant non seulement une vision, mais aussi tous les détails qui permettront au rêve de devenir réalité.