Le lecteur de la Paracha de cette semaine peut être surpris par la longueur du passage décrivant la rencontre entre Ya'acov et les bergers rencontrés près de ‘Haran, et notamment la description minutieuse de la méthode utilisée pour ouvrir le puits.

Rappelons les mots de notre texte :

« II [Ya'acov] vit un puits dans les champs et là, trois troupeaux de menu bétail étaient couchés à l’entour, car ce puits servait à abreuver les troupeaux. Or la pierre, sur la margelle du puits, était grosse. Quand tous les troupeaux y étaient réunis, on faisait glisser la pierre de dessus la margelle du puits et l'on abreuvait le bétail, puis on replaçait la pierre sur la margelle du puits. Ya'acov leur dit : […] "Mais le jour est encore long, il n'est pas l'heure de faire rentrer le bétail : abreuvez les brebis et les menez paître" Ils dirent : "Nous ne saurions, jusqu'à ce que tous les troupeaux soient rassemblés : on déplacera alors la pierre qui couvre l'orifice du puits et nous ferons boire les brebis." […] Lorsque Ya'acov vit Ra'hel, fille de Lavan, frère de sa mère et les brebis de ce dernier, il s'avança, fit glisser la pierre de dessus la margelle du puits et fit boire les brebis de Lavan, frère de sa mère. »

Comme nous l’avons déjà vu, la Torah est généralement économe en mots, chaque mot compte et peut donner lieu à une interprétation. Cela est d’autant plus surprenant lorsqu’il s’agit, a priori, d’un passage narratif sans dimension spirituelle évidente !

Il est également étonnant que Ya'acov se permette d’adresser des reproches aux bergers qu’il ne connaît pas, soulignant indirectement leur oisiveté ou leur paresse. Peut-être avaient-ils essayé auparavant mais sans succès ? Ya'acov, ne voyait-il pas que la pierre était trop grosse ?

À travers cet épisode, la Torah vient nous enseigner probablement la vertu du travail régulier, de la ténacité, et de l’effort. Comme le souligne le Sfat Emet, Ya'acov voulait les encourager à ne pas renoncer, même si les tentatives précédentes avaient été infructueuses.

Les échecs passés qu’un homme peut rencontrer ne l’exonèrent de ses efforts futurs. Lorsqu’il s’attèle à une tâche, il doit essayer, réessayer, et ne pas perdre espoir. Chaque nouvelle tentative est enrichie de l’échec précédent et possède une force nouvelle.

C’est probablement ce que voulait dire Boileau dans son poème, "L’Art poétique" où il écrivait les vers bien connus suivants :

« Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage, 
Vingt fois sur le métier, remettez votre ouvrage, 
Polissez-le sans cesse, et le repolissez, 
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. »

Les créateurs d’entreprise partagent ce constat, et confient bien souvent que leur réussite a connu des hauts et des bas, et qu’il leur a fallu beaucoup de ténacité pour ne pas renoncer mais se relever de leurs échecs et en tirer des leçons constructives.

Cette leçon est universelle, elle vaut aussi bien pour les études intellectuelles, le travail, que pour le « Limoud Hatorah » (l’étude de la Torah). Qui n’a pas éprouvé de difficultés face à une page du Talmud ? Qui n’a pas été pris de vertiges au départ de son étude en ouvrant un livre entièrement écrit en hébreu, sans ponctuation ?

Toutefois, à force de persévérance, d’étude et de révision, nous sommes bien souvent surpris des progrès que nous accomplissons, alors que nous ne les soupçonnions pas et que nous les n’envisagions même pas. Et plus l’homme grandit, plus il mesure l’importance du travail, de la régularité et de l’assiduité.

La satisfaction intérieure que l’on peut alors ressentir est indescriptible, elle récompense les efforts passés, et ouvre de nouvelles perspectives pour l’avenir. L’effort permet à l’homme de mieux se connaître lui-même, de découvrir ses capacités et toutes les potentialités que l’Éternel lui a confiées.

Nos Sages nous disent ainsi que « l’homme est né pour l’effort ». La dignité de l’homme réside précisément dans sa capacité à se hisser au-delà de son état naturel, à se perfectionner et à raffiner son esprit et son cœur.

Les maîtres du Talmud nous disent ainsi que « Celui qui révise son étude 100 fois ne ressemble pas à celui qui la révise 101 fois. Le second est appelé « serviteur de D.ieu » ». Il ne s’agit probablement pas de compter le nombre de fois qu’un homme révise son étude, mais de l’inviter à être dans une démarche de progrès constant tout au long de sa vie, de ne jamais cesser d’étudier et de se parfaire.

Celui qui agit ainsi aura un accès permanent et facilité à la sagesse, à l’image de Ya'acov qui déplace la grosse pierre avec une facilité déconcertante. En effet, nos Sages nous disent que « Ein Maïm Ela Torah » « l’eau est le symbole de la Torah ». Aussi, pouvons-nous lire l’épisode de la rencontre entre Ya'acov et les bergers, comme deux approches de la Sagesse, et de la Torah.

Les bergers se contentaient de puiser l’eau uniquement pour satisfaire un besoin immédiat. Une fois ce besoin satisfait, ils « refermaient » le puits, sous-entendu ils s’éloignaient et oubliaient leur sagesse. Il y avait la vie près du puits, et la vie en dehors du puits.

Tel n’est pas le cas de Ya'acov qui était versé dans l’étude, et vivait à proximité de D.ieu en permanence. Pour lui, accéder à l’eau, à la Torah, à la sagesse est simple, car il ne s’en éloigne jamais. Et d’ailleurs, nous pouvons remarquer que le texte ne mentionne pas qu’il referme le puits. Il ne s’éloigne jamais de la Torah. Voilà pourquoi, il peut y accéder avec facilité.

C’est précisément cette vertu de la persévérance (éclairée bien-sûr), de la ténacité dans l’effort qui, avec cette quête de perfectibilité permanente, donne toute sa dignité à l’homme, et en fait le partenaire de D.ieu dans la création.