La Paracha de cette semaine s’ouvre sur une description des relations prévalant au sein de la famille du patriarche Ya'acov. La Torah relate tout d’abord la grande affection que Ya'akov Avinou éprouvait à l’endroit de Yossef. Cette proximité trouvait sa source non seulement dans le fait que Yossef était le « fils de la vieillesse » de Ya'akov, mais aussi, et surtout, car il percevait son très grand potentiel spirituel. Il avait l’intuition que Yossef était promis à un très grand avenir, et qu’il incarnerait l’héritage spirituel des Avot, des patriarches. Ce penchant de Ya'akov pour Yossef s’est manifesté par le cadeau symbolique d’une splendide robe bigarrée, à l’image de celle portée par les chefs de tribus de l’époque (Sforno, rapporté par R.E. Munk, la voix de la Torah).

Toutefois, cet amour spécifique, différent de celui éprouvé pour le reste de la fratrie, provoqua un puissant sentiment de jalousie chez les frères de Yossef. Ceux-ci le prirent en haine pour différentes raisons : la préférence perçue chez leur père, le sentiment que Yossef aspirait à les dominer, ou encore, en raison du jugement négatif que Yossef semblait éprouver à l’égard de leur mode de vie et dont il faisait part à leur père.

Les Sages du Talmud ont tiré de cet épisode un enseignement fondamental en matière d’éducation : « Un père ne doit jamais distinguer un de ses enfants parmi les autres. Car ce fut à cause d’une robe du poids de deux Sélaïm que Ya'acov donna à Yossef et non à ses autres fils que ceux-ci furent jaloux de lui et la conséquence en fut la descente de nos ancêtres en Égypte. » (Talmud de Babylone, Traité Shabat 10 b). Et Rav E. Munk d’observer que le projet de faire descendre les enfants d’Israël en Égypte préexistait à l’épisode de Yossef, puisqu’il avait été annoncé déjà à Avraham Avinou. Toutefois, précisent les Tossafistes, la dureté de l’oppression a été intensifiée par cette haine qui régnait alors entre les frères.

C’est ainsi que Maïmonide, également, a statué dans le même sens dans son code de lois, le Michné Torah, dans les lois sur l’héritage : « Nos Sages ont ordonné que l’homme ne doit faire de son vivant aucune distinction entre ses enfants, aussi insignifiante fut-elle, afin qu’il n’y ait entre eux ni querelle ni jalousie, comme ce fut le cas de Yossef et ses frères ».

En effet, l’éducation des enfants dès leur plus jeune âge plante les graines de la sensibilité, des croyances et des émotions qui façonneront le futur adulte. Aussi, les parents ont la lourde responsabilité d’offrir à leurs enfants la meilleure éducation possible, afin d’éviter les nombreux écueils qui peuvent menacer un homme : un complexe d’infériorité, le sentiment d’être « mal aimé », ou un manque de confiance en soi.

C’est ainsi que dans son commentaire sur Béréchit (25. 8), Rav Chimchon Raphaël Hirsh note : « Lorsque les parents ne manifestent pas les mêmes sentiments vis-à-vis de leurs enfants, les conséquences sont malheureusement néfastes. Les conditions essentielles d’une éducation réussie sont les suivantes : les parents doivent être du même avis concernant l’éducation de leurs enfants, et ils doivent porter le même amour à tous leurs enfants, même à ceux qui ont un caractère difficile : en effet, ces derniers ont encore plus besoin d’attention que ceux qui souffrent d’une maladie physique. »

Les parents commettent parfois l’erreur de comparer leurs enfants entre eux, et d’aspirer à une forme d’homogénéité entre leurs différents enfants. Toutefois, notre tradition nous invite à distinguer « l’objectif » qui peut être similaire pour tous les enfants « servir Hachem de la meilleure manière possible », et « le chemin » qui doit être personnalisé selon la nature de l’enfant afin de faire émerger les qualités qui lui sont propres. Nos maîtres nous rappellent ainsi que chacun à un rôle unique et irremplaçable à jouer sur terre, qui est le reflet de sa nature profonde. 

Rav Chimchon Raphaël Hirsh précise ainsi : « Le but de cette alliance est de construire une vie nationale composée de tous les membres du peuple, tout cela en vue de d’un objectif ultime : « Suivre la voie d’Hachem, pratiquer la bonté et la justice ». Pour cela, il faut des hommes dotés de force et de courage, aussi bien que des individus intellectuels et émotifs. Chacun, avec sa personnalité, doit servir D.ieu et mener à bien cette mission commune à tous. » (Béréchit, 25. 27)

C’est en ce sens qu’il est vain de vouloir se singulariser au sein du peuple Juif, se hisser les uns au-dessus des autres. Les hommes ne sont pas en concurrence, ils sont « frères », dans le sens où ils appartiennent à une même « fratrie », à un « même orchestre ». Au sein de cette philharmonie, où chacun est appelé à jouer sa mélodie personnelle irremplaçable qui permettra d’atteindre la symphonie finale. Si le violon veut prendre la place de la clarinette, la batterie celle de la guitare, ou le soprano celle du ténor, aucune harmonie ne sera atteinte, et une cacophonie pénible se fera entendre.

Voilà pourquoi, il importe que chacun se livre à une profonde introspection, en faisant abstraction du monde extérieur, pour identifier ses forces, et essayer de les sublimer autant que possible. Cet exercice ne doit pas s’abîmer dans un narcissisme qui isolerait l’homme de ses contemporains. Chacun est invité, au contraire, à faire rayonner sa lumière autour de lui afin de permettre aux autres de révéler leur lumière avec plus d’intensité.

C’est ainsi que nous pouvons comprendre cette exclamation de Yossef seul en chemin, égaré, et qui s’écrie : « ce sont mes frères que je cherche ! » À chaque génération, chaque Ben Israël doit se mettre en quête de ses frères, de « tous » ses frères afin de pouvoir participer ensemble à la symphonie que le peuple Juif a vocation à jouer pour l’humanité.

Puisse l’Éternel nous aider à voir dans l’autre, notre « frère », et nous permettre de révéler individuellement et collectivement  la lumière que nous devons apporter au monde.