« Hachem parla à Avraham après que Loth se fut séparé de lui… » (Béréchit 13,14)

Rachi explique que tant que le méchant [Loth] était avec lui [Avraham], la prophétie lui était retirée.

Quand Avraham entreprit son voyage pour Erets Israël, il fut rejoint par son neveu, Loth. Or, celui-ci connaissait un sérieux déclin spirituel, au point que sa présence auprès d’Avraham empêchât ce dernier d’avoir accès à la prophétie. Dès lors, il ne put bénéficier de vision prophétique qu’après sa séparation de Loth (à la suite de la discorde entre leurs bergers).

Les commentateurs soulignent que la prophétie est une chose incroyable, un véritable cadeau divin. Avraham s’était certainement rendu compte que l’arrêt de ses prophéties était dû à la présence de Loth. Pourtant, il ne se sépara pas de lui, parce qu’il estimait plus important de rester avec lui, dans l’espoir d’influer positivement sur son neveu, même au sacrifice de son inspiration divine. Visiblement, Hachem était d’accord avec cette approche et il semblerait donc que la volonté divine consiste à ce que nous tentions d’influencer positivement notre prochain, même si cela affecte notre proximité avec Hachem.

Un enseignement similaire peut être tiré de la Parachat Vayéra. Avraham interrompit brusquement sa conversation avec Hachem pour recevoir ses hôtes. Nos Sages[1] en déduisent que l’hospitalité a priorité sur le lien avec la Chékhina. Comment est-ce concevable ? En faisant preuve de bienveillance, nous ressemblons à Hachem, Qui agit constamment avec bonté envers les hommes. Cette ressemblance à Hachem montre une plus grande proximité que le fait de Lui parler. De même, le fait de rapprocher notre prochain d’Hachem est plus grand que le fait de bénéficier de prophétie, car cela nous rapproche davantage d’Hachem.

Il est parfois approprié de consacrer du temps pour les autres, même aux dépens de notre propre élévation spirituelle. L’histoire suivante illustre bien cette idée. Le Rabbin Joey Grunfeld est connu en Angleterre, pour son activité de Kirouv ; il fut à la tête de l’organisme « Seed » pendant de très nombreuses années. Il raconte le dilemme auquel il fut confronté quand il était un jeune Avrekh au Collel de Gateshead et qu’on lui demanda de prendre la direction de « Seed ». Cet organisme était situé à Londres – il y passait donc la plus grande partie de la semaine et revenait le jeudi pour passer un peu de temps en famille et étudier quelques heures au Collel. Plusieurs choses le préoccupaient ; entre autres, sa propre élévation spirituelle. En effet, il était constamment en contact avec des Juifs très éloignés de la religion. Il confia ses soucis au Steipeler, qui sortit un livre du Natsiv de sa bibliothèque. Le Natsiv y écrit que Yossef Hatsadik nomma son fils Ménaché, parce que « Hachem m’a fait oublier toute ma peine ». Il aurait dû, pour cela, employer le terme « Anyi » au lieu de « Amali ». Le Midrach explique que le mot « Amali » signifie littéralement « travail, effort » et il fait ici référence à la Torah. Pourquoi Yossef nomme-t-il son fils en rappelant le fait qu’il a oublié son étude de la Torah ? Il semblerait même qu’il remercie Hachem pour cela, ce qui est d’autant plus étonnant !

Le Natsiv répond que Yossef était occupé avec Potiphar ; il étudiait moins et commençait à oublier sa Torah, ce qui le contrariait. Puis, il commença à s’occuper des autres, ce que le Midrach compare à l’étude de la Torah. Yossef put alors nommer son fils d’après cet oubli, car dès lors, il n’était plus tenu responsable de la Torah oubliée, étant donné que c’était pour les besoins du Tsibour. Ce message est réconfortant ; si l’on œuvre pour le Tsibour, pour la communauté, on n’a pas besoin de pleurer le temps d’étude perdu.

Bien évidemment, les conseils du Steipeler s’appliquaient à la situation particulière du rabbin Grunfeld et de son implication personnelle dans le Kirouv. Chacun doit prendre conseil et poser personnellement sa question à une autorité rabbinique compétente sur la façon dont il doit gérer son temps. Mais la leçon du Natsiv et le conseil du Steipeler montrent qu’en délaissant sa propre spiritualité pour se préoccuper des besoins de la communauté, l’individu n’est pas perdant ; il sera même gagnant en termes de proximité avec Hachem.

 

[1] Yalkout Chimoni, Vayéra, Pérek 2.