La Paracha de cette semaine, Vaéra, poursuit le récit des étapes qui précédèrent la libération d’Égypte. Il semble que deux processus soient à l’œuvre : le premier dans la négociation entre Moché, Aharon et Pharaon ; et le second, dans la préparation psychologique des enfants d’Israël à accéder à la liberté.

Notre tradition nous enseigne que l’esclavage égyptien avait notamment vocation à purifier totalement les Bné Israël de toutes les scories, de toutes les imperfections dans leurs traits de caractère qu’ils avaient pu hériter du passé. L’enjeu principal était de créer une solidarité indéfectible au sein du peuple Juif, mais aussi de leur donner une sensibilité naturelle à la souffrance de l’autre.

C’est ainsi que nos Sages nous enseignent, à propos du verset « Alors l'Éternel parla à Moché et à Aharon; Il leur donna des ordres pour les enfants d'Israël et pour Pharaon » (Chémot, 6;13), que c’est précisément en ces heures de d’oppression que Moché va transmettre au peuple une Mitsva spécifique qu’ils devront observer lorsqu’ils s’installeront sur leur terre : la libération des esclaves (Talmud de Jérusalem, Roch Hachana 3.5)

En effet, le Maître du monde a tenu à ce que ce commandement soit transmis aux enfants d’Israël tant qu’ils étaient encore esclaves afin que l’importance de cette loi trouve un écho tout particulier en eux et s’ancre définitivement dans leur cœur. C’est là, une règle éternelle : nul ne peut mieux comprendre ce qu’est l’esclavage que l’esclave lui-même ; nul ne peut mieux comprendre ce que signifie « avoir faim » que celui qui est affamé.

C’est ainsi qu’un rabbin avisé attendait une heure avant la fin de Yom Kippour, au moment où la faim est la plus forte, pour exhorter ses fidèles à être généreux envers les pauvres. Il les exhortait alors à mesurer ce que souffrir de la faim signifie, surtout lorsqu’on n’a pas la perspective de pouvoir manger une heure plus tard.

C’est précisément à partir de la sensibilité à autrui, à sa souffrance, à ses besoins, que l’homme peut trouver la force et l’inspiration pour développer son 'Hessed, ses actes de bonté et de générosité, qui sont les piliers centraux de la Torah et de l’existence du monde.

Par ailleurs, il est une autre vertu mise en lumière par la Paracha Vaéra : la gratitude, la reconnaissance du bien qui nous a été fait, que l’on nomme également « Hakarat Hatov ».

En effet, nos Maîtres nous font remarquer que les trois premières plaies : l’eau transformée en sang, la dissémination des grenouilles, et la vermine répandue sur la terre, n’ont pas été accomplies par Moché Rabbénou mais par Aharon. La raison est la suivante : Moché ne pouvait pas « taper » l’eau et la terre avec son bâton pour provoquer à travers elles des plaies, car il avait une « dette » envers elles. En effet, il avait été miraculeusement sauvé alors que son berceau flottait sur le Nil, et, lorsqu’il tue un Égyptien au début du livre de Chémot, les commentaires nous disent que le corps de l’Égyptien fut miraculeusement enseveli par la terre afin que le meurtre ne soit pas exposé devant tout le peuple, ce qui aurait mis en danger Moché.

Aussi, fort de ces deux expériences, à l’instar du proverbe « ne jette pas une pierre dans la source qui t’a abreuvé », Moché Rabbénou estimait qu’il ne pouvait pas être « ingrat » et provoquer des calamités sur l’Égypte à travers l’eau et la terre. Nos Sages soulignent que si déjà la Torah est attentive à l’ingratitude vis-à-vis des choses inanimées comme l’eau et la terre, à fortiori devons-nous être attentifs à ne pas être ingrats à l’égard des êtres humains qui ont un cœur, et ressentent des sentiments. Par ailleurs, à l’image de Moché Rabbénou qui se souvient du bien que ces éléments lui ont fait plusieurs dizaines d’années plus tard, la Torah nous rappelle que la gratitude n’est pas limitée dans le temps, que le devoir de reconnaissance n’expire pas au bout d’un certain temps, mais qu’il s’impose à l’homme tout au long de sa vie.

C’est en vertu également de ce principe de ne pas être ingrat à l’égard de ceux qui nous ont fait du bien que l’on peut comprendre la démarche de Moché Rabbénou qui s’enquiert d’obtenir l’autorisation de Yitro avant de le quitter pour accomplir sa mission sacrée de libérer le peuple. Il ne veut pas manquer de gratitude, en s’en allant sans rien dire, à l’égard de celui qui lui avait ouvert sa porte alors qu’il était seul et fuyait l’Égypte.

Enfin, nous retrouverons plus tard cette même vertu lors de la guerre que Hachem ordonne à Moché de déclarer aux Midyanim qui avaient fait fauter Israël et provoqué la mort de 24.000 d’entre eux. Moché délégua des soldats mais n’y prit pas part, en souvenir de l’accueil dont il avait bénéficié à Midyan, dans la maison de Yitro.

On rapporte de nombreuses histoires au sujet des Grands maîtres de l’époque contemporaine qui ne manquaient pas de témoigner leur reconnaissance vis-à-vis de chaque personne qui leur avait procuré du bien. C’est ainsi qu’une fois, le 'Hafets 'Haïm fut secouru alors qu’il faisait un malaise par une personne qui se trouvait miraculeusement près de lui. Par la suite, et durant toute sa vie, le ‘Hafets 'Haïm lui manifesta une très grande gratitude, le faisait s’asseoir près de lui à la synagogue, allait lui rendre visite pour les fêtes et boire un Lé’hayim avec lui pour le réjouir. Il le quittait en l’embrassant sur le front et le bénissait d’une longue vie. (Rapporté par R. S. Baroukh, Ben Adam la’havero)

En réalité, cette qualité de « Hakarat Hatov » « reconnaître le bien » est un vecteur qui permet à l’homme de se relier à l’Éternel. Plus un homme sera attentif à reconnaître le bien qu’autrui lui fait dans les grands comme dans les petits moments de son existence, plus il sera capable de lever les yeux vers le Ciel pour remercier le Maître du monde des innombrables bontés dont Il le comble à chaque instant.

Puissions-nous, avec l’aide de D.ieu, nous renforcer dans cette belle Mitsva d’être reconnaissants à l’égard de notre prochain, afin de renforcer notre amour mutuel, consolider les liens qui nous unissent, et hâter ainsi l’avènement du Machia'h.