La Paracha Bo poursuit le récit de la sortie d’Égypte et, notamment, des dix plaies qui se sont abattues sur les Égyptiens. Les commentateurs se sont, à cet égard, intéressés notamment au mystère de l’entêtement de Pharaon qui, en dépit, des catastrophes auxquelles il assiste, persiste dans son refus de libérer les enfants d’Israël.

À cet égard, les premiers versets de notre Paracha nous invitent à revenir sur le processus à l’œuvre dans le cœur de Pharaon et qui avait déjà été abordé dans la Paracha précédente. Ainsi, nous voyons se poursuivre « l’endurcissement » du cœur du Pharaon. En dépit des plaies plus terribles les unes que les autres, Pharaon se mure dans un aveuglement et une surdité incompréhensibles.

Il est intéressant de noter l’évolution des termes employés par la Torah. En effet, durant les cinq premières plaies, c’est Pharaon lui-même qui refuse de laisser partir les Hébreux ; « il endurcit son cœur » volontairement nous disent les versets afin de ne pas se laisser impressionner par la Puissance de l’Éternel.

Or, cette insensibilité va finir par se retourner contre lui. À force de vouloir endurcir son cœur, il va perdre tout contrôle sur ce dernier au cours des 5 dernières plaies durant lesquelles c’est l’Éternel Lui-même Qui endurcit son cœur, lui donnant la force de supporter les dix plaies.

L’entêtement, la multiplication des 'Avérot, le bain d’impureté dans lequel est plongé Pharaon ont, en quelque sorte, désensibilisé son cœur.

Réputé être le siège des émotions, le cœur est, dans la tradition juive, le canal privilégié qui permet de se relier au Créateur. Un cœur pur rapproche de l’Éternel, un cœur dur, D.ieu nous en préserve, éloigne.

La Torah nous livre ici un enseignement précieux : le cœur est un organe qui s’éduque, qui apprend, qui peut s’élargir comme s’atrophier selon la volonté de l’homme. On peut apprendre à aimer, comme on peut apprendre à haïr. On peut apprendre à ressentir les émotions des hommes, comme on peut apprendre à y être insensible. Il s’agit précisément de la responsabilité fondamentale de l’homme que d’apprendre à orienter son cœur dans les bonnes directions, d’éveiller sa sensibilité aux besoins d’autrui, à ses émotions.

Nos Sages nous disent précisément que « l’Éternel désire le cœur » « Ra’hamana liba baei ». Il désire que l’homme Le serve avec son cœur, c’est-à-dire avec authenticité, avec un désir sincère.

Le cœur révèle l’intériorité la plus intime de l’homme, elle témoigne de ce qui anime l’homme au plus profond de son être, ce qui le fait vibrer, ce qui compte le plus pour lui. Aussi, le Maître du monde désire que l’homme porte en lui le désir de la Torah, le désir des Mitsvot et une aspiration profonde et sincère à se relier à Lui.

Il s’agit en fait de faire échec à un écueil bien connu qui menace la pratique religieuse : s’en tenir à la lettre de la loi et non à son esprit, se contenter d’une pratique formelle des Mitsvot sans en rechercher le fond.

Afin d’éviter un tel écueil, Rabban Gamliel avait décrété que seuls les étudiants qui étaient cohérents dans leurs aspirations intérieures et leur pratique extérieure « Tokho Kebaro » seraient autorisés à venir étudier dans son Beth Hamidrach (Berakhot 28 a). Il témoignait ainsi que la Torah n’est pas uniquement affaire de pratique formelle, elle ne se contente pas uniquement d’évaluer la performance d’actes extérieurs prescrits dans le corpus de la Halakha, ou bien le respect des interdits qui y sont consignés. La pratique est certes nécessaire mais elle n’est pas suffisante. Elle doit être accompagnée par une quête du cœur, une volonté profonde de servir l’Éternel, d’accomplir Sa volonté en transformant nos êtres. Il s’agit de former des êtres bons, intègres, généreux, cléments avec leur prochain.

Cette place centrale accordée au cœur dans notre tradition a même des incidences Halakhiques. En effet, le Traité Bérakhot (30 a) nous indique que si un homme ne peut pas s’orienter vers la direction de Jérusalem lorsqu’il prie sa 'Amida, il devra tout au moins « orienter son cœur vers Jérusalem, ou vers le Beth Hamikdach ».
Cette disposition ne signifie pas simplement, au sens propre, que le fidèle doit imaginer se trouver face à Jérusalem ou au Beth Hamikdach, il s’agit également d’une métaphore afin d’inviter l’homme qui s’apprête à prier à faire de son cœur un « Temple », un sanctuaire, et même le « Saint des saints » (Rabbi 'Haïm de Volozhin). Le fidèle doit ainsi travailler son cœur afin de le purifier, en faire un lieu de sainteté qui aspire ardemment accomplir la volonté de Son Créateur.

Par ailleurs, en demandant symboliquement à l’homme « d’orienter son cœur vers Jérusalem ou le Beth Hamikdach », la Torah demande symboliquement au fidèle d’orienter les intentions de son cœur vers des sujets de sainteté, de s’assurer que toutes les aspirations de son cœur soient spirituelles, saintes, à l’image du Beth Hamikdach (Mé Hachiloa'h, rapporté par Rav Rozenberg).

La qualité de « Ahavat Israël » « l’amour du prochain » si chère à notre tradition, nous demande de travailler la sensibilité, la réceptivité, la pureté de nos cœurs. C’est ainsi que nous pourrons, avec l’aide d’Hachem, percevoir avec finesse les besoins de nos prochains, ne pas y rester insensibles, et contribuer ainsi à renforcer l’unité et la bienveillance parmi nous.

Puisse l’Éternel nous permettre de nous mettre dans une dynamique inverse à celle de Pharaon : l’adoucissement de nos cœurs, et le raffinement toujours plus grand de notre sensibilité.