Nombreux sont les ennemis de la Torah, car aussi bien les libertins qui voient dans l'hédonisme le sens de leur existence que ceux qui prétendent rédempter l'humanité en s'imposant comme censeurs pour exercer leur dictature, sont incapables de se soumettre à la volonté de D.ieu exprimée par la Torah.

Les lumières de 'Hanouka qui parent nos fenêtres depuis le 25 Kislev proclament haut et fort : "Quant aux enfants d'Israël, la clarté résidait en leurs demeures" (Chémot 10, 23). Ces flammes légères qui rappellent la victoire de la lumière sur les ténèbres célèbrent la restauration du Temple souillé par les Grecs et purifié par les Makabim. Elles proclament non point les haut-faits militaires ni les succès politiques, mais bien la reprise du service du Beth Hamikdach et la garantie de sa pérennité. C'est pourquoi nous les appelons "lumières de 'Hanouka" ('Hanouka signifiant littéralement "inauguration").

Hellénisme et judaïsme : deux conceptions

Voici donc deux philosophies qui s'affrontent pour la première fois au temps des Makabim et qui ne cesseront plus, par la suite, de se heurter pour s’imposer à l'Humanité. Les luttes qui opposent ces deux civilisations et les péripéties de leurs diverses démarches sont le miroir de l'Histoire.

Noa'h, lorsqu'il se réveille de son ivresse, prononce la première prophétie de la Torah : "Que D.ieu agrandisse Yéfet ! Qu'Il réside dans les tentes de Chem ; et que Canaan soit leur esclave" (Béréchit 9, 27). Le nom de Yéfet peut être mis en relation avec la racine Pé Tav Hé (Pata), qui signifie "séduire". Le pouvoir de séduction sera accordé à Yéfet ; mais c'est dans les tentes de Chem que réside la Gloire de D.ieu.

La culture grecque domine toutes les civilisations issues de Yéfet. Ce sont les Grecs qui ont rendu les hommes sensibles à la beauté et enseigné que ce qui est beau est forcément bon. De l'autre côté, à la tête des descendants de Chem, nous trouvons le peuple hébreu qui construit, lui, des sanctuaires de justice et d'amour, en accord avec la volonté du Tout-puissant, afin d'y glorifier Son Nom.

Ces deux civilisations ont une mission identique : apprendre à couvrir la nudité bestiale de l'homme. Toutes deux cherchent à élever l'homme vers le Divin et lui enseigner à dompter la fougue brûlante de ses passions, le feu - 'Ham - de son instinct brutal. 

Ces trois ancêtres de l'humanité - Chem, 'Ham et Yéfet - se présentent ainsi à nous : 'Ham, voyant la nudité de son père s'empresse d'aller le raconter ; Chem et Yéfet en revanche le couvrent en détournant leur face pour ne point la voir ; Noa'h, alors, prédit ce que sera l'avenir. Les péripéties de la lutte ininterrompue née de cette prophétie nous content l'épopée de l'humanité. Sur la scène de l'Histoire, deux conceptions vont se succéder ou s'affronter pour éduquer les hommes, affiner leur esprit, ouvrir pour eux des horizons plus nobles et plus élevés. Mais la réussite, dans cette prophétie, ne sera promise qu'à Chem : lui seul verra la Chékhina, la Présence de D.ieu, dans ses tabernacles.

La confusion entre le Beau et le Bon

Nous devrions, apparemment, nous réjouir de ce pouvoir de séduction accordé à Yéfet. La civilisation grecque, en effet, a réellement su donner une noblesse nouvelle à l'humanité, éveiller son goût et faire vibrer les cordes délicates de sa sensibilité. L'homme, sous le charme de la culture hellène, apprend à dépasser la banalité et à mépriser le vulgaire, et ses sens s'affinent pour lui permettre d'apprécier plus justement et plus délicatement la Création. Car ce n'est pas en vain que D.ieu a créé un monde d'une beauté aussi saisissante. L'harmonie prodigieuse qui régit l'Univers et la perfection du moindre de ses détails ne sont certes pas une œuvre gratuite, et si le cœur de l'homme est fait pour savourer toutes les merveilles du monde, si son être s'épanouit lorsque son ouïe, sa vue ou son odorat lui apportent les messages subtils et sublimes de la Nature, et qu'une ivresse le gagne lorsqu'il parvient à apprécier la majesté et la splendeur du spectacle que D.ieu a préparé pour le réjouir, c'est précisément parce qu'il est destiné à rechercher l'harmonie et la perfection que les valeurs de l'éthique et de la morale pourront lui garantir.

Il est donc bon que l'homme soit à même d'apprécier le beau pour être à même de vouloir et de pouvoir accéder à la beauté la plus parfaite, la Torah. Mais le programme hellénistique ne contient qu'une parcelle de vérité, il ne constitue qu'une formation, qu'une sensibilisation de l'être vers la véritable noblesse de l'âme. Privé de ce but, il est comme une enveloppe vidée de son contenu, destiné à disparaître.

La civilisation grecque enseigne donc la culture et les arts afin de permettre à l'homme de mieux jouir de la création et elle considère la beauté comme un idéal en soi. Mais c'est à cette seule échelle de valeurs que se mesure, pour elle, le progrès. Cette confusion entre le Beau et le Bon ne peut qu'exposer l'homme à tous les écarts et à toutes les faiblesses. En exaltant la force, la puissance et l'intellect, elle exacerbe les ambitions et entretient les passions ; en mettant l'individu en valeur, elle néglige la collectivité. Ce qu'elle cultive avant tout, c'est l'égoïsme de l’homme et son désir de domination. Son  programme n'a d'estime que pour des êtres d'élite - une classe privilégiée – dont la supériorité ne confère que des droits et aucun devoir.

Comment le judaïsme distingue le Bien du Mal

Contre ces thèses fallacieuses, la Torah nous propose ses vérités éternelles. Chem fut le seul de ses contemporains à affirmer qu'un D.ieu, unique et tout-puissant, a créé l'Univers. Il fut le premier à contraindre les hommes à prendre conscience de cette vérité inéluctable qui leur impose ses corollaires et les force à admettre qu'ils font partie d'un ensemble et qu'ils ont des devoirs envers les autres, leurs frères.

La Torah de Chem, Torah de vérité, ne propose pas simplement une satisfaction de la pensée et un mode de vie plus élaboré. Faire de l'homme un être plus raffiné et plus réceptif aux sciences et aux arts ne suffit pas à ses exigences. La Torah, avant tout, doit être enracinée dans les "tentes de Chem" ; elle ne peut être seul jeu de l'esprit mais doit au contraire être ancrée dans les foyers dont elle va diriger la marche et régir les mouvements jusque dans leurs moindres détails. Elle doit faire comprendre à l'homme que l'unique possibilité pour lui de s'élever, c'est d'accomplir la Volonté de son Créateur. En soumettant son esprit et ses instincts aux impératifs que la Torah lui impose, il apprendra à distinguer le Bien du Mal, à naviguer sereinement entre les forces contraires qui l'animent et à maîtriser la fougue de son corps et de ses idées.

Nombreux sont les ennemis de la Torah, car aussi bien les libertins qui voient dans l'hédonisme le sens de leur existence que ceux qui prétendent rédempter l'humanité en s'imposant comme censeurs pour exercer leur dictature, sont incapables de se soumettre à la volonté de D.ieu exprimée par la Torah. La loi de D.ieu, seule, est apte à réaliser cet équilibre entre le devoir et la liberté que nous propose la Michna : "Ne lis point 'HaroutAl Halou’hot (gravés sur les Tables) mais 'Hérout ‘Al Halou’hot (liberté sur les Tables)". Liberté grâce aux Tables de la Loi ! Voilà l'idéal qu'Israël se doit d'enseigner aux nations.

Lorsque, pour la première fois, la civilisation grecque va se trouver confrontée au judaïsme à l'époque hasmonéenne, ce ne sera pas tant la culture juive qui l'importunera que cette soumission à la loi. Ce sont bien les Mitsvot pratiques qui provoquent la fureur des Grecs et c'est à celles-ci qu'ils déclarent la guerre.

Comment les forces du conquérant se sont brisées

Les expéditions d'Alexandre le Grand lui font remporter d'éblouissantes conquêtes. Cependant, plus encore que les succès militaires, c'est une victoire culturelle que la Grèce tient à s'assurer et ce sont les mœurs et la civilisation hellénique que ses troupes vont porter vers l'Ouest. Leur séduisant programme, partout, est accueilli dans l'enthousiasme. Seule la Judée réagit avec dédain et n'accorde que mépris aux excès que les autres nations considèrent comme l'humanisme le plus raffiné. Il n'est donc pas surprenant de constater que les mesures prises par les Grecs visent toutes à affaiblir la fidélité des Juifs à la pratique des Mitsvot et à briser leur obstination à observer une Loi imposée par D.ieu.

Ni l'attrait de l'hellénisme, pourtant, ni la puissance de la machine de guerre gréco-syrienne ne viendront à bout de la détermination de Matityahou. Face au double danger qui menace son peuple, il mobilise les siens et leur transmet la ferveur qui l'anime. La foi et la crainte de D.ieu qu'il sait communiquer à son entourage opposent à l'envahisseur une résistance inébranlable contre lesquelles les forces pourtant légendaires de ce conquérant vont se briser.

Le premier souci de Matityahou, au lendemain de la victoire, c'est de purifier le Beth Hamikdach et de restaurer le service du Temple. Car la poignée de résistants réalise pleinement que ce ne sont ni leur force, ni leur bravoure qui leur ont assuré le succès. La victoire qu'ils viennent de remporter, c'est la victoire de l'esprit sur la force. Les superbes idoles de la Grèce se sont effondrées devant l'identité vivante du Juif et les charmes de sa beauté se sont évanouis face à la flamme juive, face à la lumière éternelle de la Torah.

Israël, tout au long des siècles, a toujours dû opposer son obstination et sa ténacité face à la séduction - ou aux attaques - de la "civilisation". Sachons, lorsque nous allumons les petites lumières de ‘Hanouka, nous souvenir que même lorsque la culture, ce culte de valeurs étrangères, envahit nos propres terres et pénètre jusque dans nos Temples, nous devons nous inspirer de l'exemple donné par les Makabim et affirmer notre fidélité à la loi de D.ieu.

Rav David Breisacher (adaptation d'un chapitre du Ma’aglé Hachana de Rav Chimchon Réfaël Hirsch)