Un an s’est déjà écoulé depuis la disparition du Rav Choumel Errera. Ne laissons pas le temps engendrer l'oubli, mais bien au contraire, tentons au mieux de se remémorer de cette personnalité si grande qui nous a tous tant marqués.

Rav ‘Haïm Chmoulévits, Roch-Yéchiva de Mir, déclare une phrase forte de sens dans son livre Si’hot Moussar : « La grandeur d’un homme ne s’évalue pas par la mesure de ses actions, c’est la dimension de ses actions qui s’évalue d’après sa grandeur ». Autrement dit, l’impact d’une même action accomplie par un grand personnage et une personne ordinaire variera en fonction de sa grandeur. Ainsi, même derrière la plus petite action d’un homme important, se cachent de grandes choses.

Tel est véritablement notre sentiment face au Tsadik Rav Errera. En effet, nous l’avons côtoyé durant des années. Quelques fois, nous l’apercevions réaliser des actions a priori communes à chaque juif, mais en vérité, derrières celles-ci, se cachaient des montagnes de réflexions, de sacrifices et de consécration pour Hakadoch Baroukh Hou.

C’est donc bien la raison pour laquelle il est tellement difficile de devoir décrire et raconter la vie d’un Rav tel que le Rav Errera tant il essaya lui-même, tout au long de sa vie, de rester discret et aussi effacé que possible. Cependant, nous avons le devoir saint de raconter au moins ce que nous avons pu voir ou entendre sur le Rav tout au long de ces années. En priant pour que le souvenir des actions de ce grand Tsadik nous incite à avancer dans la Avodat Hachem.

Essayons de retenir quelques points importants à apprendre du Rav, accompagnés de quelques récits vécus pour marquer davantage ces leçons de la vie qu’il nous a enseignés (nous tenterons de respecter un aspect concis pour laisser place au livre écrit par la famille Errera, qui sortira dans les mois à venir avec l’aide d’Hachem).
 

Le travail des Midot

On ne peut parler du Rav sans mentionner le travail des Midot qui était l’une des principales devises de sa vie. Il avait formé un groupe d’élèves qui aspiraient à travailler sur leurs Midot. Le Rav insistait sur le fait qu’il ne fallait travailler que sur une Mida à la fois, et que par ce mérite, les autres se corrigeraient.

Un ordre bien clair était donné à ses élèves : travailler tout d'abord sur la colère, puis sur l’orgueil etc. Il leur distribua un carnet dans lequel il fallait noter à quelle heure, quel jour et avec quelle personne il nous arrivait de s'emporter, afin de déceler quel était le facteur majeur qui provoquait la colère. Ainsi, il devenait plus facile de s’en débarrasser.

Lors d’un de ses cours, il raconta qu'une jeune fille très coléreuse qui s'emportait prés de 90 fois (!) par jour avait réussit à retrouver son calme par ce procédé. Le Rav avait une telle force qu’il pouvait littéralement transformer le caractère d'une personne !

Un jeune élève lui demanda un jour quel livre de Moussar il devait étudier pour avancer. La réponse du Rav fut on ne peut plus claire : « Peu importe, l'essentiel est le travail sur soi ».

Le Rav était lui-même un exemple vivant de ses leçons : une fois, on raconte que lors d’un discours qu'il prononça en public, un enfant s'amusait à frapper sur la table avec un jouet en plastique, ce qui faisait entendre un bruit très contraignant tout au long de son discours. Mais le Rav ne broncha pas et ne montra aucun signe extérieur d’agacement.

Le travail qu'a effectué le Rav sur lui-même pendant plusieurs décennies l'a élevé à un niveau très haut. Il savait parfaitement contrôler ses émotions afin de les mettre au service du Créateur.

Une fois, je suis entré dans la maison du Rav sans qu’il s’y attende. On m'avait en effet donné la clé de sa maison afin qu’il ne se fatigue pas à descendre m'ouvrir la porte d'entrée. Je savais très bien que le Rav n’entendait pas lorsque je tapais à la porte. J’avançais donc lentement dans le couloir lorsque je me retrouvai soudainement en face du Rav. Il leva la tête sans le moindre sursaut ni une quelconque exclamation, tout en me posant très calmement la question : « Comment es-tu entré ? »

Quelle sérénité !
 

Le don de soi

Le Rav ne ménageait aucun effort pour son Créateur. Il nous a montrés ce que signifiait être un véritable serviteur d’Hachem. On a beaucoup raconté que tous les matins jusqu’à l’âge de 95 ans (et parfois même deux fois dans la journée pendant Chabbath), le Rav gravissait la colline de Tresserve pour arriver à la Yéchiva une heure avant la prière du matin.

Il est à noter que le vendredi matin, le Rav arrivait encore plus tôt pour pouvoir s’immerger dans le Mikvé de la Yéchiva avant que le responsable n’y verse de la javel. Lors de l’un de ses cours de Moussar, il raconta que la direction avait demandé de prendre une douche avant de s’immerger au Mikvé. Mais un vendredi matin, alors qu’il arrivait très tôt comme à l’accoutumée, il se rappela qu’il n’avait pas encore pris de douche au préalable. Il redescendit aussitôt toute la colline, monta les marches de sa maison, prit une douche, et se remit en route en gravissant à nouveau toute la pente avec ses béquilles. Tout ceci car il se souciait constamment du respect que l’on doit à son prochain.

Il y a deux ans, le Rav s’exclama devant son fils dévoué (il s’agissait de l’époque où le Rav se déplaçait encore avec ses béquilles pour se rendre à la synagogue de façon totalement indépendante) : « Méir, as-tu vu ce miracle ? Le grand professeur en médecine de Paris a examiné les radios de mes jambes, et il affirmé qu’avec de tels résultats, il est normalement impossible de marcher ! Te rends-tu compte de ce miracle incroyable ? Je marche toujours ! »

En quittant sa maison sur le chemin du retour, je m’émerveillais encore de ce miracle devant mon beau- père, qui me rétorqua aussitôt : « A mon humble avis, je ne suis pas convaincu qu’il ne s’agisse que d’un miracle ! » Lorsque je manifestai mon étonnement, il m’expliqua en effet que même si le professeur disait qu’avec de telles radios, personne ne surmonterait la douleur et ne pourrait marcher, la volonté de son père était tellement puissante qu’en dépit des terribles douleurs, il trouvait malgré tout la force de marcher.

Le Rav Errera avait une telle force de caractère qu’il était prêt à tout faire pour son Père dans le Ciel. Je tirai la conclusion que si sa marche quotidienne n’était pas totalement surnaturelle, sa volonté quant à elle, l’était véritablement !

Ces dernières années, le Rav ne pouvait plus monter la colline à pied. C’est pourquoi des Avrékhim dévoués venaient le chercher en voiture. Une fois, il m’est arrivé d’accompagner son fils, le Rav Méir Errera, pour aller le chercher. Le Rav avait demandé qu’on vienne le chercher à 7 h (sans doute pour ne pas nous déranger).

A très exactement 7 h, nous voici devant la porte du Rav. Nous eûmes à peine le temps d’ouvrir cette vielle porte marron en bois que ce grand Tsadik se tenait déjà devant nous. Il était debout, appuyé sur ses béquilles et emmitouflé de son manteau, attendant patiemment notre arrivée.

Combien de temps avait-il attendu à l’avance dans cette position statique, supportant le froid hivernal des Préalpes, simplement pour ne pas risquer de nous faire attendre ? Personne ne le sait, mais cette image d’un homme si âgé attendant debout dans le froid derrière la porte, prêt à partir pour la prière, peut véritablement marquer chaque esprit.

Concluons ce paragraphe avec ce souvenir émouvant du Rav qui, malgré l’immense fatigue du jeûne de son dernier Yom Kippour (que le Rav ne manque pas de respecter en dépit de son âge à trois chiffres), demanda tout de même à être conduit à la Yéchiva le lendemain matin afin de prier Cha’harit. Voyant arriver la voiture de sa ‘Havrouta si dévouée, le Rav Ouaknine , je me tins prêt à prendre en charge le Rav pour l’aider à rejoindre sa place. Le tenant par ses mains, je marchais à reculons face à lui doucement.

Pendant ce court trajet, je l’entendais émettre de brefs gémissements car il souffrait beaucoup, mais je constatai avec surprise que son visage affichait malgré tout un sourire ! Sans doute était-ce la joie de se trouver au Beth Hamidrach de la Yéchiva qu’il chérissait tellement, ou bien le bonheur de se surpasser pour donner de la satisfaction à Hakadoch Baroukh Hou. Il était l'exemple vivant de celui qui ne reculait devant rien afin d’honorer son Créateur.
 

Le souci d'autrui et l'amour du prochain

Le Rav nous a démontrés que pour être appelé un serviteur d'Hachem, il fallait bien sûr accomplir comme il se doit les Mitsvot « Ben Adam La-Makom » (les Mitsvot envers Hachem), mais aussi s'investir littéralement dans les Mitsvot « Ben Adam La’havéro » (les Mitsvot envers son prochain).

Avec ses élèves, il correspondait régulièrement par le biais de lettres manuscrites qui regorgeaient de conseils personnels et d'encouragements.

Un élève de passage à Aix-les-Bains profita d'accompagner le Rav sur son chemin afin de lui demander quelques conseils. Le Rav, qui était déjà parti, fit demi-tour pour rejoindre un lieu calme afin de s’asseoir et de discuter comme il se devait avec son élève.

Au cours de son cours de Moussar quotidien, le Rav encourageait fréquemment ses élèves à prendre exemple sur tel Avrekh du Collel ou sur tel membre de la communauté. Il racontait alors en détail la bonne Mida qui le caractérisait.

Durant la fête de Pessa’h, alors qu’il était attablé avec ses enfants et petits-enfants venus de l'étranger, on lui demanda de prendre la parole. Il commençant en racontant une histoire, puis une autre et encore une autre, jusqu’à arriver à un total de 10 récits sur le voyage d'un Rav de la Yéchiva au Maroc et du renforcement spirituel incroyable qu'il provoqua. Tous ces récits relatés étaient d'une très grande précision. En effet, il nommait le nom de chaque ville ainsi que tous les détails les plus minutieux relatifs aux différents voyages.

Son attention à chaque fait et geste se fit aussi remarquer lors des fiançailles de l’un de ses élèves : il complimenta alors le ‘Hatan et la Kalla en relatant des anecdotes que les fiancés eux-mêmes étaient surpris d'entendre !

Un membre de sa famille lui demanda un jour s'il pouvait prier pour un certain malade. Le Rav lui répondit : « Je ne peux plus ! » Son interlocuteur, très étonné de cette réaction, demanda au Rav en quoi mentionner un nom dans la prière était difficile. Le Rav expliqua alors qu'on lui avait déjà demandé de prier pour plusieurs malades, et que pour chacun d’entre eux, il passait une demi-heure à lire des Téhilim. En tout, cela faisait deux heures de Téhilim par jour pour les malades, en plus de ceux qu’il lisait personnellement au quotidien.

Quel don de soi incroyable du Rav ! Lorsqu'il fallait prier pour une personne qui souffrait, il ne se contentait pas simplement de citer son nom, cela lui prenait 30 longues minutes de son précieux temps pour implorer sa guérison, et même pour des personnes qu'il ne connaissait pas…

Pendant les vacances de Souccot, un proche lui demanda une bénédiction car il n'était pas satisfait de son cadre d'étude. Quelques jours après, le Rav l'appela et lui dit qu'il s'était renseigné chez plusieurs de ses enfants et de ses gendres en Israël afin de déterminer quel Collel avait un bon niveau, et à quel endroit il y avait une possibilité d'être accepter. Mais ce n’est pas tout : la veille de Kippour, le Rav demanda à voir ce proche et lui demanda pardon car il n’avait pas assez fait pour lui !

Quelle grandeur ! Le Rav avait pris à cœur le problème de son proche alors que celui-ci lui avait tout simplement demandé une bénédiction. De plus, non seulement le Rav s'est largement investi en contactant de nombreuses personnes afin de lui trouver une solution, mais en plus il était convaincu qu'il pouvait en faire davantage…

Par ses actions hors du commun, le Rav nous a réellement enseignés à quel point il fallait se donner pour notre prochain.
 

Conclusion

Il est bien évident que ces quelques lignes ne représentent qu'un bref aperçu de la vie du Rav. Reprenons les paroles de son fils aîné, le Rav David Errera : « Avec tout ce que nous raconterons sur le Rav, nous découvrirons que nous ne le connaissons pas ».

Tel est véritablement mon sentiment profond : ce Rav, celui qui était mon maître depuis que j’ai 14 ans et dont je n’aurai pas l’audace d’affirmer que j’étais son élève dans le vrai sens du terme, était telle l’échelle de Yaakov Avinou : une échelle posée au sol dont le sommet atteignait le Ciel. Celui qui était si grand mais qui se considérait si petit, celui qui était si délicat mais tellement dur avec lui-même, celui qui était avec nous mais en même temps tellement loin de nous, ne nous a montré qu’un brin de sa grandeur. Il était probablement l’un des 36 justes cachés de ce monde.

Notre consolation sera de suivre son chemin si pur qu’il a tracé en nous démontrant à jamais le niveau qu’un être de chair et de sang peut atteindre en se rapprochant du monde des anges.

Lors des derniers mois de sa vie, le Rav était frêle telle une flamme de ‘Hanouka, mais celle-ci a su nous éclairés si fortement dans cet exil d'obscurité. Il nous a quittés le 7ème jour de ‘Hanouka en nous laissant allumer seuls cette 8ème  bougie, flamme de l'espoir au surnaturel qui nous apportera la Guéoula avec la venue du Machia’h. Notre émotion se mêle à nos prières.

Que ce Tsadik implore Hakadoch Baroukh Hou et que l'on puisse mériter de vivre ce moment le plus rapidement possible, Amen.

Nataniel E.A. Wertenschlag