Question de Gad M.

"Je vous écris ce petit message parce que je rencontre de nombreux Rabbanim et que, bien qu'ils soient tous extraordinaires, je ne me sens pas assez à l'aise avec eux pour leur parler de certains problèmes délicats me concernant et concernant également un grand nombre d'amis juifs...

Je parlais hier avec des amis à moi sur un sujet assez gênant, celui de Zéra’ Lévatala... (perte de semence), beaucoup de gens savent que c'est grave, mais ils ne savent pas combien cela l'est vraiment. Ils pensent qu'il y a des choses bien plus graves dans la Torah, et que faire Téchouva est suffisant pour réparer cette faute.

Bref, je me suis retrouvé assez bête de ne pas savoir quoi leur dire à ce sujet pour qu'ils comprennent que c'est grave et qu'ils essaient de changer leur conduite, sans pour autant passer pour extrémiste en leur disant simplement que celui qui agit ainsi, c'est la route au Guéhinam (enfer)... En ce qui me concerne personnellement, ce fut un réel problème du passé que j’ai surmonté, Baroukh Hachem, avec le temps. Mais, à part le fait de ne plus avoir recommencé et avoir fait Téchouva dans ma tête, je n'ai rien fait pour réparer ces actes de jeunesse...

Que me conseillez-vous de leur dire ? J’aimerais être argumenté sur ce sujet, afin de pouvoir transmettre ce savoir à énormément de gens (croyez-moi) qui sont concernés, sujet tabou chez les grands rabbanim (ou du moins avec lesquels on n’ose pas en parler). Quel serait le Tikoun (réparation) à faire, suite à la Téchouva ?"

Réponse du Rav Daniel Scemama

Tu fais très bien d’en parler, et, crois-moi, ce sujet n’a rien de tabou : il est mentionné explicitement dans la Torah (faute de ‘Er et de Onan, fils de Yéhouda ; Béréchit 38, 7), dans le Talmud (Nida 13a), et le Choul’han ‘Aroukh (Even Ha’ézer 23), et chaque éducateur d’adolescents y est confronté.

Mais, avant de rentrer dans le vif du sujet, j’ai quelques remarques à faire concernant ce que tu nous écris :

- Un Rav se doit de rapporter la position du judaïsme sur tous les sujets qui y sont abordés, même s’il s’agit de sujets “gênants”. Si la Torah prône une attitude ou la condamne, il faut le faire savoir à tout celui qui le désire. Le Talmud nous rapporte même le cas d’un élève (marié) qui s’est caché sous le lit conjugal de son maître pour entendre et acquérir un savoir toranique sur le sujet de l’intimité dans un couple. Quand le maître s’aperçut de sa présence et le questionna, étonné, l’élève lui répondit : “Cela fait partie de la Torah, et je cherche à apprendre !” (Brakhot 62a).

- S’il est vrai que l’interdiction de ne pas causer de perte de semence volontairement est une épreuve difficile, nous n’avons pas le droit de la banaliser, ou pire encore de réveiller le désir par la vue de vidéos impudiques. Ton jugement sur tes amis est juste (“c’est grave”), et il est souhaitable de trouver le ton juste pour le leur faire comprendre. D’autre part, nos Sages nous enseignent que celui qui faute en se disant qu’après, il fera Techouva, son repentir n’est pas accepté.

- La Torah ne nous appartient pas, et nous avons le devoir de faire connaître ce qui nous a été dicté sans se formaliser de ce que les gens vont en penser. Des considérations du genre : “Je passe pour un ‘Harédi extrémiste” ne doivent pas nous gêner d’exprimer ce que la loi juive a fixé. Les mots “extrémiste”, “ultra-orthodoxe”, “fanatique”, “intégriste”, “fous de D.ieu” sont aujourd’hui utilisés sans distinction dans certains milieux pour désigner toute attitude religieuse, quelle qu’elle soit. Ceci afin de la dénigrer, et sans doute pour ne pas déranger le “confort moral” dans lequel le monde occidental est installé.

Comme nous l’avons relevé, le problème de “Zéra’ Lévatala” est suffisamment commun pour que les éducateurs cherchent des solutions afin d’aider celui qui en souffre. Car il s’agit d’une souffrance de l’âme de se trouver entraîné dans une conduite qui, d’un côté, est interdite et jugée grave par la Torah, et, d’un autre côté, dont il est difficile de se débarrasser. De plus, cette faute amène à la mélancolie, à la tristesse, et à un manque d’enthousiasme dans le service Divin.

Dans les lettres du Steipeler (Kariana Déïgra I, 11 et suivantes), ce géant de la génération répond à des jeunes, vraisemblablement pratiquants de naissance, qui sont confrontés à ce problème, et leur propose des conseils dont on va rapporter l’essentiel :

- Ne pas penser au passé et à ses trébuchements, et ne pas chercher à réparer quoi que ce soit jusqu’après le mariage. (De façon générale, ce n’est pas en quelques jours que l’on va pouvoir se débarrasser d’un problème bien incrusté.) Il ne faut pas être triste et surtout ne pas désespérer, car nous devons toujours espérer que l’Eternel va nous aider, et celui qui cherche à se renforcer, dans le Ciel, on lui accordera de l’aide.

- A la fin de la ‘Amida, avant de reculer de trois pas, il est bien et souhaitable de demander régulièrement à D.ieu, dans sa langue habituelle, de l’aider à surmonter son désir dans ce domaine afin de ne pas fauter.

- Nos Livres Saints parlent durement sur celui qui faute, afin de l’aider à freiner la descente, mais, parallèlement, louent aussi celui qui parvient à ne pas trébucher : celui qui triomphe face à son Yétser Hara’ (mauvais penchant) ramène une lumière de Kédoucha (sainteté) intense sur lui-même et sur tout le monde, et il est absolument impossible d’évaluer l’intensité et l’importance de cette Kédoucha ! A certains égards, on peut le comparer à Yossef Hatsadik qui a surmonté l’épreuve avec la femme de Poutifar. Il méritera de l’aide du Ciel dans tout qu’il entreprendra à l’avenir. Chaque fois qu’un jeune se retient de fauter (même s'il lui arrive parfois aussi de trébucher), il doit être conscient de la “satisfaction que D.ieu ressent” sur sa conduite présente. Chaque exploit dans ce domaine rapproche le Yéhoudi de la victoire finale, à savoir de ne plus succomber.

- Nos Sages nous apprennent que lorsqu’on rassasie le Yétser Hara', il a faim, et lorsqu’on le laisse affamé, il devient rassasié. Ainsi, si on se laisse aller, de toute façon, le Yétser n’est pas calmé et très vite réclame encore, et la seule façon de s’en débarrasser, c’est de lui tenir tête.

- Cet acte rend la personne brisée et nerveuse, et lui enlève le goût et la saveur de la vie. Il s’agit de constatations admises même chez les Goyim.

- Lorsque les pensées envahissent l’homme, il doit chercher à ne pas y penser, et, pour cela, se trouver une étude attractive dans laquelle il va plonger son esprit. Savoir que ce monde est passager et que le salaire se trouve dans le monde infini du ‘Olam Haba (monde à venir). Il faudra chercher à se trouver avec d’autres personnes quand il est envahi par ces pensées. Et, bien sûr, Il est important de se marier sans trop tarder.

- Évidemment, l’étude de la Torah avec plaisir et envie, en s'efforçant de bien comprendre les textes saints, est le meilleur élixir contre le Yétser. Le Limoud Hatorah est aussi la réparation de toutes ces fautes. Chaque effort que l’on fait pour comprendre la Torah vient nettoyer l’âme, salie par des égarements.

Il est intéressant de voir dans ces lettres combien ce grand Rav était compatissant avec la peine de ces jeunes qui lui demandaient conseil. Nous avons la vraie approche d’un Rav face à ce sujet, ce que l’on appelle le “Da’at Torah”.

N.B. Dans ces lettres, le Steipeler s’adresse à des adolescents non-mariés, mais, dans l’absolu, un homme marié peut lui aussi être confronté à ce genre d’épreuve, car une femme n’est pas toujours permise et disposée. C’est pourquoi, ces conseils s’adressent à tous, à la différence près que celui qui est marié a ce que nos Sages expriment “du pain dans son panier”, à savoir qu’il pourra calmer son désir dans le domaine du permis. Quelque part, un homme marié peut être plus exigeant envers lui-même que celui qui ne l’est pas.

Béhatsla’ha.