« Yossef vit que son père posait sa main droite sur la tête d’Éphraïm, cela fut mauvais à ses yeux. Il soutint la main de son père pour la retirer de sur la tête d’Éphraïm, sur la tête de Ménaché. Yossef dit à son père : « Pas ainsi, mon père, car celui-ci est le premier-né ; mets ta [main] droite sur sa tête ! » Son père refusa, il dit : « Je sais, mon fils, je sais ! Lui aussi deviendra un peuple, et lui aussi grandira. Cependant, son plus petit frère grandira [plus] que lui, et sa descendance remplira les nations. » (Béréchit 48,17-19)

« Tous ceux-là sont les tribus d’Israël – douze. Et c’est ce que leur dit leur père, il les bénit ; il les bénit [chaque] homme selon sa bénédiction. » (Béréchit 49,28)

Rachi, commente, sur les mots « selon sa bénédiction » : La bénédiction qui touchera chacun dans le futur.

Le sujet des bénédictions est récurrent dans cette Paracha. Au début, Yaacov bénit les fils de Yossef et ensuite, la Torah nous fait le récit des bénédictions que Yaacov fit à ses propres fils avant de mourir. Une analyse plus approfondie de ces épisodes nous permettra de mieux comprendre l’objectif et la signification des bénédictions.

Quand Yaacov vint bénir les fils de Yossef, ce dernier pensait placer Ménaché sous la main droite afin qu’il reçoive les bénédictions appropriées à l’aîné. Cependant, Yaacov mit sa main droite sur la tête du plus jeune, Éphraïm. Quand Yossef tenta de rectifier cette erreur, expliquant que Ménaché était le premier-né, Yaacov lui précisa qu’il était au courant, mais qu’Éphraïm allait avoir des descendants plus vertueux et qu’il méritait donc de plus grandes bénédictions. On ne saisit pas bien la nature du désaccord entre Yossef et Yaacov. Par ailleurs, Rav Yérou’ham Levovits souligne que l’on ne voit pas vraiment comment Yaacov répondit au problème soulevé par Yossef. En effet, Yossef affirma qu’étant l’aîné, Ménaché aurait dû être placé sous la main droite. En quoi la réponse de Yaacov (à savoir que les descendants d’Éphraïm seront plus vertueux) résout-elle ce problème ? En quoi cela explique-t-il que Ménaché ne doive pas recevoir la bénédiction de l’aîné ?

On peut répondre à cette question grâce au commentaire plutôt énigmatique de Rachi, à la fin des bénédictions de Yaacov à ses fils. Le verset affirme qu’il bénit chacun selon sa bénédiction. Rachi pense qu’il s’agit des bénédictions qui concerneront le futur de chacun d’entre eux. Son interprétation nécessite éclaircissement. Rav Yérou’ham[1], au sujet de la nature des bénédictions, note que les gens font souvent l’erreur, en allant demander une bénédiction à un Tsadik, de croire que le Rav a « une boîte pleine de bénédictions » et qu’en lui en demandant une, il sortira un échantillon du tas qui se trouve dans sa boîte. Mais nous savons qu’une bénédiction ne peut qu’ajouter à ce que la personne a déjà. Par exemple, lors du miracle qui se produisit quand Elicha bénit la femme d’Ovadia, il lui demanda ce qu’elle avait chez elle et lui fit une bénédiction pour ajouter à ce qui était existant[2]. On peut appliquer la même idée quand il s’agit d’une bénédiction pour le succès dans un certain domaine. Si l’individu n’a aucun potentiel dans ce domaine, la bénédiction n’a pas de sens.

Rav Issakhar Frand propose l’analogie suivante, pour que l’on comprenne mieux le principe. Imaginons un engrais destiné à la pousse de roses. Si on l’utilise comme il le faut, on obtiendra une roseraie belle et luxuriante. Mais si l’on utilise ce même engrais pour des jonquilles, cela n’aura pas cet effet, parce que l’engrais a un « potentiel-rose » et non un « potentiel-jonquille ». Dans cet ordre d’idées, si un homme qui n’a pas une belle voix va demander à un Tsadik une bénédiction pour devenir un très grand ’Hazan, il ne doit pas s’attendre à un miracle. Aucun Tsadik ne peut donner une Brakha à quelqu’un qui ne sait pas chanter juste et le transformer en ténor.

C’est le sens des bénédictions données à Yaacov à ses fils « en fonction de ce qu’il deviendra dans le futur ». Il ne fit qu’exprimer les bénédictions que chacun avait en lui, en potentiel. Il n’aurait servi à rien de souhaiter à Zevouloun de devenir comme Issakhar et vice-versa. Le but de la bénédiction est d’aider son destinataire à réaliser le potentiel qu’il a en lui ; ce n’est pas une potion magique qui peut créer quelque chose de tout à fait nouveau, à partir de rien.

Nous pouvons à présent comprendre le dialogue entre Yaacov et Yossef lors des bénédictions données à Éphraïm et Ménaché. Yossef regarda ses deux fils et pensa que Ménaché, étant l’aîné, devait recevoir les bénédictions les plus importantes. Mais Yaacov lui répondit : « Je sais, mon fils, je sais », ce qui sous-entend qu’il savait, par inspiration divine, quelque chose que Yossef ne savait pas. En effet, en dépit de leur différence d’âge, Éphraïm allait être le plus grand, donc il avait besoin de la bénédiction la plus importante pour lui permettre de réaliser son potentiel. Il aurait été ridicule de lui donner les bénédictions de Ménaché.

Le principe de Rav Yérou’ham nous enseigne que les bénédictions ne sont pas « magiques » ; on ne peut pas aller voir un Grand et recevoir une bénédiction pour tout ce que l’on souhaite. Une bénédiction ne peut être efficace que si elle est basée sur quelque chose d’existant. Donc, si, par exemple, un homme désire recevoir une bénédiction pour devenir érudit, cela ne peut marcher que s’il fait les efforts nécessaires dans l’Étude. Rav Yérou’ham souligne à ce propos que quand les gens venaient voir le ’Hafets ’Haïm pour recevoir une bénédiction dans leur étude de la Torah, il leur répondait que l’étude en soi serait une plus grande bénédiction que son simple souhait. Rav Yérou’ham précise que le ’Hafets ’Haïm ne cherchait pas à les repousser, mais à leur faire comprendre que la Torah était la plus grande source de bénédiction, donc qu’il valait mieux recevoir la Brakha de cette façon – en étudiant.

Puissions-nous tous être aptes à recevoir des bénédictions dans tous les domaines.

 

[1] Daat Torah, Vayé’hi, p. 274.

[2] Melakhim II 4,2.