La Thora affirme dans notre paracha Terouma, concernant les murs du Michkan : « La traverse du milieu passera dans l’intérieur des poutres, les reliant d’une extrémité à l’autre »[1]. Le Targoum Yonathan écrit que la barre transversale était faite en bois ; et ce bois provenait des arbres qu’Avraham Avinou avait plantés pour le profit des voyageurs. Pourquoi ce bois eut-il une fonction si prestigieuse dans le Michkan ?

Selon le rav Zelig Pliskin chlita, c’est pour nous rappeler que même lorsque l’on se consacre au service d’Hachem, nous ne devons jamais oublier de nous soucier de notre prochain, qui fut créé à l’image de D.[2]

Cet enseignement est mis en relief dans les ouvrages de l’un des grands maîtres du Moussar, le rav Israël Salanter zatsal. Celui-ci estimait que bien qu’il fût louable de parfaire les mitsvot ben adam laMakom, il faut faire très attention à ce qu’elles ne soient pas accomplies aux dépens d’autrui.

Cette leçon peut être mise en pratique de diverses façons.

Prenons l’exemple de la netilat Yadaïm. Un matin, dans un internat, un élève passa par la chambre d’autres étudiants, qui dormaient encore, pour se laver les mains. « Nétilat Yadaïm est une mitsva instituée par nos Sages, commente rav Israël, mais le fait de perturber le sommeil de l’autre nous est interdit par la Thora. »[3]

Une autre fois, un talmid récita une longue et fervente amida[4], bloquant l’accès à la fenêtre, alors que la chaleur était caniculaire. Rav Israël le lui reprocha : sa prière ne devait pas être faite au désavantage des autres fidèles.

Le Alter de Slabodka (autre grand Baal Moussar), mettait grandement l’accent sur les mitsvot ben adam la’havéro[5]. Il enseignait que lorsqu’une personne accomplit une mitsva, elle doit faire très attention à ne pas causer de désagrément ou offenser son prochain, ce qui risquerait de lui faire perdre la récompense de sa bonne action.

Il ne discourait jamais aux heures de repas et quand il priait à l’office, il finissait la Amida en même temps que les autres fidèles ou bien frappait sur son pupitre pour faire savoir à l’assemblée qu’elle ne devait pas l’attendre.[6]

Un jour, un élève priait en se balançant énergiquement. Après la tefila, le Alter fit appeler le disciple et lui dit : « Celui qui frappe son prochain, même s’il ne lui cause aucun dommage, est appelé "racha" et est condamnable de malkout. Par tes mouvements, tu risques de buter contre la personne qui se tient à tes côtés et donc de commettre – tout en priant fervemment – un grave interdit pour lequel tu es appelé "racha" !! »[7]

Il arrive d’être involontairement à l’origine d’un tort ou d’un inconfort alors que nous accomplissons notre avodat Hachem.

Par exemple, il n’est pas rare de « fouetter » par les fils de notre talith la personne qui prie à côté de nous. On peut également évoquer le moment où l’on fait avancer le Séfer Thora vers la bima. Il est certes très estimable d’aller l’embrasser, mais si l’on risque de bousculer d’autres fidèles sur notre passage, alors il vaut mieux éviter de manifester ainsi ce respect et cet amour pour le Séfer Thora[8].

Aussi, quelqu’un qui prie longuement peut causer une grande contrariété aux personnes qui se tiennent devant lui. Les poskim affirment qu’il convient à cet individu, de prier à un endroit qui n’est pas très passant.[9]

Les ‘houmrot (mesures de rigueur) sur lesquelles nous voulons parfois travailler nous font penser que le ben adam la’havéro prend une place moins importante que le ben adam laMakom.

Le Ramban, dans un commentaire bien connu sur le verset « Soyez saints », affirme qu’il ne suffit pas d’observer la loi stricte dans notre avodat Hachem, mais qu’il faut essayer d’atteindre un niveau toujours plus haut.

Dans un autre commentaire, moins célèbre, le Ramban souligne le même point concernant le ben adam la’havéro. La Thora enjoint : « Tu feras ce qui est droit et bien aux yeux d’Hachem. » ‘Hazal disent que ce passouk nous apprend à aller au-delà de la stricte loi dans nos affaires avec autrui. Le Ramban explique qu’il ne suffit pas de se contenter du « ikar hadin » dans les mitsvot ben adam la’havéro ; il faut savoir qu’Hachem souhaite que nous soyons très sensibles aux besoins de nos frères.

L’individu peut vouloir s’attacher aux ‘houmrot dans les mitsvot ben adam laMakom, comme la cacherout. Ceci est très méritoire, mais il est tout autant nécessaire d’être « ma’hmir » (exigeant) dans les obligations ben adam la’havéro.

On raconte, au sujet de rav ‘Haïm Soloveitchik qu’il était particulièrement rigoureux dans sa façon de trancher la halakha, mais quand il fallait transgresser Chabbat pour des raisons de santé, il faisait exception à la règle. Quand on lui en demanda la raison de son indulgence dans ce domaine, il répondit qu’il était en réalité ma’hmir sur la mitsva de « va’haï baèm » qui nous demande de transgresser les mitsvot pour sauver la vie d’un Juif.
 

Dans le même ordre d’idées, le Imré Emeth estime que le concept de « hidour mitsva » s’applique tout autant dans nos relations avec autrui que dans celles avec Hachem.

Un ‘hassid lui demanda s’il pouvait lui emprunter une paire de tefillin, parce qu’il avait égaré les siens. Le rav lui prêta ses propres tefillin, qui avaient appartenu à son père, le Sfat Émet. Quand on lui demanda pourquoi il avait prêté sa paire la plus précieuse, il répondit que le passouk « zé Kéli véanevéhou » nous apprend qu’il nous faut accomplir les mitsvot de la meilleure façon possible. Ce principe s’applique également à la mitsva de ‘hessed.[10]

La barre transversale dans le Michkan est un rappel éternel des deux piliers dans la avodat Hachem – le ben adam laMakom et le ben adam la’havéro. Et même quand nous nous dévouons au maximum pour Hachem, il est primordial de se souvenir de nos obligations envers notre prochain.



[1] Parachat Terouma, Chemot, 26:28.

[2] Growth through Thora, Pliskin, Parachat Terouma.

[3] Sparks of Moussar, Zaitchik, p. 21.

[4] Prière qui forme le noyau central des offices de chaque jour de la semaine. 

[5] Qui implique une relation entre un homme et son prochain. Parallèlement les mitsvot ben adam laMakom sont celles qui lient l’homme à son Créateur.

[6] Ibid. p. 165.

[7] Ibid. p 165-166.

[8] Piské Techouvot, 2e ‘Hélek, Siman 148, p. 209.

[9] Piské Techouvot, 1er ‘Hélek, Siman 102, p. 785.

[10] Major Impact, Kaplan , p. 161-162.