La Paracha Kédochim occupe une place particulière dans la lecture de la Torah. Située au cœur du livre de Vayikra, elle interrompt les prescriptions relatives aux sacrifices ainsi qu’aux rituels de purification pour évoquer notamment les relations entre l’homme et son prochain.

En outre, l’intitulé même de cette Paracha, « Kédochim », qui évoque l’injonction faite aux hommes par D.ieu d’être « saints », est particulièrement solennel. En effet, l’homme est appelé à être saint car D.ieu est Saint, nous dit le texte. Il s’agit donc de coïncider avec le projet qui était au cœur de la création de l’homme : être à l’image de D.ieu. Notre Paracha se propose donc de nous expliquer comment parvenir à cet objectif a priori si insaisissable.

Dès son premier commentaire sur notre Paracha, Rachi nous rappelle l’enjeu fondamental de notre Paracha, précisément en analysant le contexte dans lequel la Paracha a été énoncée, « devant toute la communauté d’Israël ».

Parle à toute la communauté des fils d’Israël : Cela nous apprend que ce chapitre a été prononcé en assemblée, étant donné que la plupart des principes fondamentaux de la Torah en dépendent (Torat Kohanim).

Il était indispensable que ce chapitre soit prononcé devant l’ensemble du peuple, car il contient les bases de la Torah dont dépendent ses principes fondamentaux. Il fallait donc que tous les enfants d’Israël entendent ces versets directement et ne se méprennent pas sur l’objet de la Torah.

De fait, en matière de « religion », l’homme a vite fait de s’égarer en opérant une séparation entre sa vie matérielle et spirituelle. Cette distinction apporte un certain confort car elle dispense l’homme d’une exigence dans sa vie quotidienne, et notamment dans sa relation à autrui.

Chacun sait combien il est difficile de répondre aux sollicitations de son prochain dont nous n’avons pas toujours choisi la compagnie mais qui se trouve, « malgré nous », sur notre chemin. L’autre ne correspond pas toujours à notre ami idéal, il ne répond pas à nos critères de discrétion, d’élégance, ou de sensibilité. Il n’est pas aussi humble qu’on le souhaiterait, pas aussi posé, trop discret ou trop ouvert, trop intellectuel ou pas assez, maladroit dans ses remarques etc.

L’homme préférerait parfois pouvoir laisser libre cours à ses sentiments et choisir ceux qui sont « vraiment dignes » de son ‘Hessed, de sa patience et de sa sollicitude. Il serait d’autant plus à l’aise d’agir ainsi qu’il pourrait se dire que de toute façon, tout cela est étranger à sa relation à D.ieu et aux Mitsvot prescrites par la Torah.

Mais voici que la Torah, et en particulier notre Paracha, nous déloge de ce pré carré confortable dans lequel nous aimerions nous réfugier. Elle nous indique que la sainteté à laquelle nous convie la Torah réside dans le comportement que nous adoptons vis-à-vis d’autrui. Et que l’on ne se trompe pas, il ne s’agit pas de cours de morale que l’on doit lui prodiguer, mais avant tout de se préoccuper de ses besoins matériels et de lui témoigner les égards et la considération qui lui sied, non pas en raison de ses mérites personnels, mais simplement parce qu’il est mon « frère ».

Le Rav Salanter résumait ces principes de manière lumineuse en rappelant que « les besoins matériels de mon prochain sont mes besoins spirituels ».

Nous pouvons aussi mieux comprendre pourquoi notre verset demande à l’homme d’être saint car D.ieu, Lui-même, est Saint. En effet, l’accueil bienveillant que nous devons témoigner à autrui, quel qu’il soit, doit nous amener à réfléchir au ‘Hssed qu’Hachem nous témoigne en permanence, en dépit de nos erreurs et de nos imperfections, et du fait que nous ne sommes peut-être pas à la hauteur du projet idéal que D.ieu a conçu pour nous. Ainsi, nous sommes nous aussi invités à juger nos prochains avec bienveillance (« Lékaf Zékhout ») en essayant d’adoucir notre rigueur vis-à-vis d’eux, de même que D.ieu agit avec miséricorde à notre égard.

Ce premier commentaire de Rachi doit être lu également à la lumière du suivant qui précise que la sainteté réside dans la capacité à se séparer et à s’éloigner des fautes, et en particulier de la débauche et des mœurs dissolus. Le chemin vers cette sainteté suppose notamment de respecter les barrières que les Sages ont institué à travers les différentes Mitsvot de la Torah, et qui nous protègent contre les fautes éventuelles.

Ce commentaire est très important, car s’il est vrai que l’homme peut avoir tendance à se réfugier dans le confort d’une pratique religieuse déconnectée de sa relation aux hommes, il peut aussi être enclin à considérer que l’essentiel de « la religion » est de bien se comporter avec ses prochains, en adoptant les attitudes que le « bon sens » lui inspire au gré des circonstances, échappant ainsi aux exigences de la loi de la Torah.

Là aussi, la Torah vient nous mettre en garde contre les bonnes intentions sans lendemain et se méfie, à juste titre, du jugement autonome de l’homme qui n’a pas toujours les éléments pour apprécier ce qui relève véritablement du bon, du juste et du vrai. Voilà pourquoi l’homme doit avoir la modestie de s’en remettre à la sagesse des commandements de la Torah et des décisionnaires, qui guident l’homme dans le chemin escarpé de la sainteté.

Enfin, le message de notre Paracha nous rappelle que le projet ultime de la Torah, la sainteté, n’est pas réservé à une élite. Comme nous l’indique Rachi dans son premier commentaire, c’est un projet collectif qui s’adresse à l’ensemble du peuple. Chacun, à sa mesure, conscient de l’amour infini que lui porte Hachem, est susceptible d’y parvenir ou tout au moins de s’engager dans cette voie.

En outre, comme nous l’avons vu, la sainteté n’a de sens que si elle s’accompagne d’un souci de l’autre et de la conscience de l’étincelle de sainteté que chacun porte en lui. Aussi, la sainteté du peuple, de manière collective, rejaillit et éclaire encore plus intensément les aspirations individuelles à la sainteté et nous permettra, avec l’aide de D.ieu, d’assister très prochainement à la venue du Machia’h.