Les premières années qui ont suivi la création de mon association, j’avais pris la parole devant une salle comble au Binyané Haouma à Jérusalem. Tout en observant l’audience, je vis un grand groupe d’auditeurs orthodoxes, et je créai alors une histoire que je leur livrai.

« Il y avait une fois un père dans une situation très tragique, commençai-je, tragique, car sa douleur était intolérable. Il avait douze fils, mais il n’était lié qu’à un seul. Les onze autres avaient abandonné leur père et étaient perdus. Le seul fils loyal resté à la maison tentait d’être une source de réconfort pour son père. Trois fois par jour, il lui rendait visite avec déférence. De plus, il l’appelait au cours de la journée. Même le soir, avant de se retirer pour la nuit, il vérifiait encore une fois que tout allait bien. Chaque semaine, il organisait une fête en l’honneur de son père, préparait une table magnifique avec de la nourriture délicieuse, de belles miches de pain chaudes, et du vin rouge pétillant. C’était une vraie fête digne d’un roi. Puis, plusieurs fois par an, il organisait des festivités spectaculaires pour réjouir son père, mais tout ceci en vain. Son père restait inconsolable, comment un père peut-il se réjouir lorsqu’onze de ses enfants sont absents ?

Qui est ce père si ce n’est Avinou Chébachamayim, notre Père céleste qui a perdu onze de Ses enfants ? Et qui est le fils resté à la maison, si ce n’est le Juif pratiquant ? Oui, trois fois par jour, il va prier… Chaque Chabbath, il transforme sa maison en palais et donne la sérénade à son Père… Plusieurs fois par an, il prépare de magnifiques banquets… mais tout ceci, pour rien. La douleur du Père demeure.

Malheureusement, c’est la situation du monde juif aujourd’hui. Le fils unique est le Juif pratiquant qui est resté connecté, tandis que la grande majorité de notre peuple est déconnectée. Si vous êtes un parent, vous allez comprendre cette idée plus aisément. Un père peut-il trouver le repos si ses enfants sont perdus ou lui sont devenus étrangers ? Comment consoler un tel père ? Est-il possible pour un fils de soulager son Père de ce terrible fardeau ?

La réponse à cette question doit être évidente pour toute personne qui se donne la peine de réfléchir : assurer à son Père qu’il ne reculera devant aucun effort jusqu’à ce que tous ses frères soient rentrés à la maison. Seules de telles paroles peuvent apporter la consolation et l’espoir. »

J’ai relaté cette parabole à une période où le mouvement de la Téchouva était virtuellement inconnu. Notre organisme Hinéni a été le premier à tendre la main à des Juifs perdus dans le melting-pot de l’assimilation.

Ce sont des souvenirs vivaces pour moi. La communauté orthodoxe me regardait avec scepticisme. « Vous perdez votre temps, me disaient-ils. Ces Juifs laïcs ne tiendront pas le coup… ou bien ce sera éphémère, leur engagement ne tiendra pas sur la durée. »

Quant aux Juifs conservateurs et réformés, ils me regardaient avec suspicion, redoutant que je fasse du prosélytisme et persuade leurs ouailles de devenir religieux. Je me souviens d’avoir parlé à un groupe de rabbins libéraux en poste sur des campus universitaires. Leurs yeux s’humidifièrent, et, lorsque j’eus fini de parler, ils réagirent par un tonnerre d’applaudissements. Pendant un très court instant, je fus enthousiaste. Je m’imaginai des invitations arrivant en masse de campus de tout le pays. Mais je redescendis rapidement sur terre.

« Vos propos sont très puissants, me dirent-ils, mais ils le sont peut-être trop pour nos étudiants » (entendez : trop orthodoxes), et là, mon optimisme s’évapora.

Aujourd’hui, près de quarante ans plus tard, on constate qu’ils avaient tort. Le mouvement des Ba’alé Téchouva, des Juifs revenus à la pratique religieuse, a connu un succès spectaculaire, ressuscitant la communauté juive en lui instillant une nouvelle vigueur.

Quant au prosélytisme, nous les Juifs, ne nous y consacrons pas. Nous nous contentons d’enseigner la Torah, et lorsqu’un Juif entend les paroles de D.ieu, elles pénètrent son cœur… et le reste appartient à l’histoire.

Si nous souhaitons en comprendre le mécanisme, comment nous sommes arrivés à cet état misérable d’amnésie juive dans lequel notre passé est devenu un blanc, comme s’il n’avait jamais eu lieu, permettez-moi de vous raconter une petite parabole qui illustre bien ce point.

Il y a très, très longtemps, nous avions un ancêtre qui était réputé pour sa sainteté. Chaque jour, il se rendait dans une forêt, allumait un feu mystique, chantait des prières et servait D.ieu.

Lorsqu’il décéda, ses descendants poursuivirent sa tradition. Ils se rendaient également dans la forêt, allumaient un feu sacré, mais malheureusement, ils avaient oublié la prière. Néanmoins, à leur propre manière, ils continuaient à servir D.ieu.

La génération suivante, non seulement avaient-ils oublié la prière, mais également la sagesse mystique par laquelle allumer le feu. Mais ils continuaient à se rassembler dans la forêt et à se rappeler de la sainteté de leur père, et par ce souvenir, ils parvenaient à trouver leur chemin vers D.ieu.

Puis arriva une génération qui n’avait plus de souvenir, une génération dénuée de passé, notre génération… une génération orpheline.

Notre nation, autrefois conduite par des prophètes et des sages, est aujourd’hui dirigée par des vedettes de la presse et de riches magnats. Alors, au lieu de chercher le feu Divin, nous poursuivons les feux du pouvoir et de la richesse. Mais les braises du feu Divin vacillent encore… il nous suffit de les rallumer et elles flamberont avec la majesté de la Parole de D.ieu, conformément à la promesse donnée il y a longtemps : « Et les propos que J’ai mis en ta bouche, ils ne doivent pas s’écarter de ta bouche, ni de la bouche de tes enfants, ni de celle des enfants de tes enfants, à présent et jusqu’à jamais » (Isaïe).