Moché Rabbénou avertit Pharaon de l’arrivée d’une plaie supplémentaire, celle des sauterelles (à cause de laquelle toute la récolte égyptienne, qui n’avait pas été touchée par la grêle, fut détruite). En plein avertissement, Moché quitta soudainement Pharaon (Chémot 10,5). Le Midrach demande quelle est la raison de ce départ subit, chose qui ne se produisit lors d’aucune autre plaie. Le Midrach explique que Moché vit les Égyptiens se retourner les uns vers les autres, preuve qu’ils commençaient à croire en ses paroles. Il s’en alla donc sans crier gare, pour les persuader de se repentir.[1]

Le ’Hidouché Lev[2] pose une question intéressante sur ce Midrach. Au début de la Paracha, Hachem informa Moché qu’Il avait endurci le cœur des Égyptiens afin qu’ils ne fassent pas Téchouva et qu’Il puisse ainsi montrer Sa puissance en accomplissant des miracles qui les forceront à libérer les Juifs d’Égypte. Cela devait engendrer un formidable Kiddouch Hachem et les Juifs allaient enfin pouvoir « connaître Hachem »[3]. Ce verset sous-entend que Moché était conscient du fait que les Égyptiens ne feraient pas Téchouva et que ce refus de se repentir allait permettre au peuple juif d’atteindre un niveau sublime de Émouna. Alors pourquoi essaya-t-il de les influencer à faire Téchouva, si cela risquait d’être au détriment de la spiritualité du peuple juif ?

D’après le 'Hiddouché Lev, Moché estimait que la ligne de conduite correcte était d’essayer d’influencer positivement les Égyptiens pour qu’ils fassent Téchouva, même si cela risquait d’entraver le grand Kiddouch Hachem évoqué. Nous en déduisons l’importance de la bonté à manifester envers autrui (même s’il s’agit de Réchaïm et même lorsque cela risque d’être aux dépens de notre propre spiritualité).

Le 'Hiddouché Lev affirme ensuite que l’on doit également renoncer à une élévation spirituelle potentielle si celle-ci risque de causer de la peine à quelqu’un d’autre. En effet, dans la Parachat Chémot, Hachem ordonna à Moché de faire sortir le peuple juif d’Égypte, mais Moché refusa, parce qu’il ne voulait pas assumer ce leadership et prendre ainsi la place de son frère aîné, Aharon (qui, jusqu’alors dirigeait le peuple). Moché craignait qu’en devenant le chef, Aharon soit peiné et il préféra donc s’opposer à la demande d’Hachem, jusqu’à ce qu’Hachem lui assure qu’Aharon serait parfaitement heureux de la situation. Moché a donc été prêt à renoncer aux niveaux sublimes qu’il atteignit en dirigeant le peuple juif, à cause du risque de peiner quelque peu son frère.

On retrouve la même idée quand Ra’hel révéla les codes secrets à Léa pour lui éviter une immense honte, le jour de son mariage. Ra’hel renonça, par-là, à l’opportunité d’épouser Ya'acov (elle ne savait pas qu’elle l’épouserait également par la suite). Là aussi, il était plus important d’éviter de causer une douleur à l’autre que de bénéficier d’un immense gain personnel.

De nombreux grands Rabbanim ont émulé Moché Rabbénou et Ra’hel Iménou dans leur aversion à causer de la peine à autrui. L’un des disciples de Rav Chakh reçut une proposition intéressante ; un poste attrayant de Magguid Chiour dans une bonne Yéchiva. Il demanda à Rav Chakh s’il devait accepter la proposition, certain que le Rav consentirait. Mais à sa grande surprise, Rav Chakh recommanda de refuser le poste. La raison qu’il donna était que le précédent Magguid Chiour ayant été injustement renvoyé, ce nouvel emploi risquait de lui causer de la peine. Bien qu’il fût évident que son poste allait être proposé à quelqu’un d’autre, Rav Chakh conseilla de ne pas être le vecteur de cette douleur, quand bien même le nouveau Magguid Chiour ne ferait rien de mal en acceptant le poste ! « Il ne vaut pas la peine de faire souffrir un autre Juif », affirma Rav Chakh.

À une autre occasion, Rav Chakh fut contrarié par les conseils qu’un Rav américain donna à un élève (en Erets Israël) sur un sujet important. Un jour, alors que ce Roch Yéchiva était de passage en Erets Israël, Rav Chakh (qui était alors déjà très âgé), décida d’aller parler de ce problème avec le Roch Yéchiva et de le réprimander (malgré la longue distance et la fatigue qu’occasionnerait le voyage). Pourtant, une fois arrivé à destination, Rav Chakh ne resta que très peu de temps et repartit, sans faire aucune mention du sujet en question. Il expliqua par la suite que la femme du Roch Yéchiva était présente pendant tout leur entretien et qu’il ne voulait absolument pas réprimander un homme devant sa femme (et ce, malgré l’importance qu’il attachait à l’affaire).

Ainsi, les grands dirigeants du peuple juif (nous avons évoqué l’exemple de Ra’hel, de Moché Rabbénou et de Rav Chakh) furent extrêmement attentifs à la peine qu’ils risquaient de causer à leurs prochains et s’efforcèrent d’aider toujours leur entourage, même si cela semblait être aux dépens de quelque chose d’important. Évidemment, à long terme, étant donné que leurs actions étaient correctes, les conséquences de leurs actes ne furent que positives.

 

[1] Chémot Raba13,4.

[2] 'Hiddouché Lev Chémot 10,6.

[3] Chémot 10,1-2.