Il y a 2400 ans que le Beth Hamikdach fut détruit et que débuta la période d'exil vers Babel dont Nabuchodonosor fut l’annonciateur.

Une errance, à travers les fleuves de Babel parsemés de pleurs en souvenirs de Tsion (Jérusalem détruite). Dès lors, l'assemblée d'Israël prêta serment, comme le rapporte le Roi David dans les Téhillim (verset 137) : « Si je t'oublie Jérusalem, que ma droite se paralyse et ma langue se colle à mon palais, si je t'oublie Jérusalem, si je ne te place pas au sommet de ma joie ! »

Depuis cette date jusqu'à notre époque, il y a exactement 2427 ans, l'assemblée d'Israël est restée fidèle à son serment et il ne s'est pas passé un jour sans que le souvenir de Jérusalem ne soit évoqué. Différentes coutumes ont inspiré nos Sages afin que le souvenir de Jérusalem soit ancré profondément dans les mémoires.

Dès lors : une personne qui bâtit une nouvelle demeure prendra en considération que sa joie restera encore incomplète, car « la résidence de Hakadoch Baroukh Hou est à ce jour détruite et désolée ». C'est la raison pour laquelle nos Sages ont institué une coutume de laisser une place sur un des murs non revêtue, un espace de 50 centimètres sur 50 centimètres.

De même, lors de la 'Houppa (dais nuptial), l'on demandera au marié de briser un verre « en souvenir de la destruction du Beth Hamikdach », ainsi que dans le même ordre d'idées, d'autres us et coutumes.
 

Platon et Jérémie

Une question fondamentale demeure certes incontournable : pour quelle raison le peuple juif que l'on qualifie de peuple de sagesse et d’érudition, voue une dévotion profonde à entretenir le souvenir d'un deuil qui semble appartenir aux reliques d'un passé révolu ?

Quelles contributions peuvent apporter les pleurs, le deuil et la tristesse, d'un souvenir consommé ? Ne serait-il pas davantage constructif d'effacer des mémoires collectives la présence d'un événement douloureux et d'affronter des lendemains aux meilleures perspectives ?

Cette question de grande importance fut soulevée également par l'un des penseurs les plus notoires de l'époque, en l'occurrence Platon. Traversant le mont du Temple et surplombant les ruines du Beth Hamikdach, la vue de Jérémie le prophète rivé en pleurs et lamentations, se présenta à lui. « Quelle est la raison de ces pleurs ? », demanda Platon à Jérémie.

« Le saint Temple qui fut la proie des flammes » lui répondit-il. « Je suis très étonné d'une telle réaction », s'exclama Platon. « Comment sied-il à un homme de ta sagesse de déverser des larmes sur des ponts en bois et des blocs de pierres ? Et bien davantage, comment sied-il à un homme de ta sagesse de s'épancher sur les vestiges du passé ? »

En guise de réponse, Jérémie s'adressa à Platon en ces termes : « Réponds-moi je te prie, en tant que penseur, y-a-t-il des questions ou bien des recherches philosophiques dont tu n'as à ce jour point de réponse ? »
« Bien évidemment ! », lui répondit-il. Et il se mit à exposer ses doutes ainsi que ses nombreuses interrogations. Sans hésitation, Jérémie fournit toutes les réponses aux questions que Platon tentait d'élucider depuis des décennies.

La compréhension profonde de Jérémie ainsi que l'ampleur de ses connaissances ne laissèrent guère Platon impassible. Saisi de stupeur, il poursuivit avec avidité : « D'où te vient cette sagesse extraordinaire ? » Jérémie lui répondit : « Cette même sagesse, je l'ai puisée de ces morceaux de bois et blocs de pierres dont je pleure la destruction. Car ce que nous avons perdu va bien au delà, c'est l'essence même de la sagesse ainsi que la proximité divine dont nous avons été dépossédés. Cependant, au sujet de ta seconde question, concernant les raisons de mes lamentations sur un passé révolu, je ne te répondrai pas car seul un Juif peut être capable d'en saisir la pleine signification ».
 

Qu’avons-nous réellement perdu ?

Le Beth Hamikdach est le lieu suprême de la résidence divine ; de lui émane abondance matérielle ainsi que spirituelle à travers le monde. Les nations elles-mêmes ont pu en tirer profit comme le rapporte rabbi Yéhochou’a ben Lévi : « Si les nations du monde venaient à prendre conscience des bienfaits que le Beth Hamikdach leur octroie, elles le garderaient de sentinelles ». Quant au peuple juif, en souligner l’importance serait purement superflu. 

Le Beth Hamikdach établissait un rapport direct entre le Créateur et Son peuple, une proximité intense. Sa destruction a mis fin à ces rapports privilégiés. Pour bien en mesurer le sens, il suffit de constater jusque dans quelle mesure notre niveau spirituel s’en trouve affecté. Nos Sages d’ailleurs, le rapportent dans le traité de Brakhot (32 b) : « Depuis la destruction du Beth Hamikdach, une muraille d’acier sépare les enfants d’Israël de leur Père qui est aux cieux ». 

Le traité de Méguila (12 b) évoque la perte de la sagesse intuitive. Le Zohar Hakadoch (Ruth, 88b) dépeint davantage un héritage spirituel en déclin : « Les détenteurs de la sagesse ont été fauchés, les opinions faussées. Le cœur de l’homme s’est vu dépossédé de toute rectitude, et ne s’oriente désormais que vers superficialité et artifice ».

Cet héritage spolié a vu naître une situation nouvelle et pénalisante pour l’assemblée d’Israël dans son approche du service divin, la perte de sensations spirituelles ainsi que d’expériences intenses désormais irremplaçables. « Nos cœurs ont été brisés, notre regard s’est assombri », affirme le Midrach dans la Méguilat Ekha. Cette joie intense que procurait entre autre la célébration de Sim’ha beth Hachoéva ou littéralement la réjouissance du puisage de l’eau, durant la période des fêtes de Souccot, au cours de laquelle nous dansions sans interruption, sept jours et sept nuits, transportés dans l’ivresse la plus totale. Sans équivoque, il était possible de déceler l’esprit divin qui animait chacun. 

Où sont donc passés ces merveilleux sentiments d’une vie pure sans entache de fautes que l’offrande de sacrifices expiatoires venait effacer ? (Le Tamid du matin, sacrifice expiatoire, venait pour les fautes de la veille au soir, celui du milieu de journée pour celles commises le jour-même.) 

Où est donc passé ce sentiment d’union profonde qui rassemblait tout un peuple à trois différentes périodes de l’année l’invitant à se rendre au Beth Hamikdach ? Où s’est donc dissipée cette élévation spirituelle palpable à l’issue de Yom Kippour, lorsque tout un peuple accompagnait le Cohen Gadol vers sa demeure avec des danses et entonnant des chants d’allégresse, sans songer un instant à s’empresser de rompre le jeûne éprouvant de ce jour saint ? Où s’est donc dissipée cette crainte du ciel dont nous étions les détenteurs, lorsque les Cohanim assuraient le service du Beth Hamikdach, les Léviim installés sur les estrades, ainsi que les enfants d’Israël prescrits à leurs fonctions ?

En silence, l’âme meurtrie d’un peuple s’épanche en pleurs, cette âme si délicate sculptée sur le trône divin n’aspirant qu’au retour de cette profusion spirituelle. L’abondance matérielle ne comblera certes pas ce vide. Parvenir à traduire notre exil en une issue compensatoire, à travers richesses accumulées, honneurs et indépendance, ne parviendra nullement à satisfaire les besoins spirituels de l’âme juive.

Notre désir profond tend davantage vers un détachement de l’emprise des vanités du monde et de ses passions addictives, à envisager un retour vers Hachem, à en saisir les délectations et à aspirer à un niveau spirituel élevé. Bien que le moment de la délivrance semble, à s’y méprendre, consigné au travers des repères de l’oubli, nous n’aurons point de cesse de prier avec obstination, de déverser nos paroles, nous les captifs de l’espoir, devant notre Père qui est aux cieux. « Réside au sein de Jérusalem, Ta demeure, comme Tu l’as affirmé, restaure hâtivement le règne de Ton serviteur David, dévoile Ta royauté et rebâtis Ta résidence définitivement, de nos jours Amen ».