A propos du don de la Torah, il est écrit dans le Talmud [1]:

“Au moment où Moché monta au firmament, les anges du service dirent au Saint béni soit-Il: Maître du monde, que fait cet être humain parmi nous ? Il leur répondit : il vient recevoir la Torah. Ils répondirent : c'est un trésor caché et Tu veux le donner à des êtres de chair et de sang ?! Qui est l'homme pour que tu t'en souviennes [2]? Laisse Ta gloire dans les Cieux [3]. D.ieu dit à Moché : “Réponds-leur ! Il dit : Maître du monde, la Torah que Tu me donne, qu'y a t il écrit ? Je suis l'Eternel ton D.ieu qui t'a fait sortir d'Égypte. Il leur dit (aux anges) : êtes-vous descendus en Egypte ? Fûtes-vous asservis par Pharaon ? A quoi donc vous servirait la Torah ?! Qu'y a-t-il encore écrit ? Tu n'auras pas d'autres D.ieu que Moi. Habitez-vous au milieu des Nations pour servir des idoles ? ...Travaillez-vous ? Faites-vous du commerce ? Avez-vous un père et une mère ? Y a-t-il de la jalousie chez vous ? Un mauvais penchant ? Et D.ieu lui donna immédiatement raison.”

Les commentateurs expliquent que l'argument des anges “laisse Ta gloire dans les Cieux” est en fait un argument légal, halakhique. En effet la Halakha [4] stipule que lorsque quelqu'un vend un champ, le Bar Metsra, le voisin propriétaire du champ limitrophe a le droit de s'opposer à la vente et de racheter le champ des mains de l'acquéreur car il est évidemment intéressé à agrandir son propre champ. Cette loi est liée au principe de “tu feras ce qui est droit aux yeux de D.ieu”. C’est une obligation morale du vendeur de proposer d’abord à son voisin la possibilité d’agrandir son bien.

C'était donc l'argument des anges : la torah est un trésor caché dans les Cieux depuis la nuit des temps. Eux, habitants dans les Cieux, ont la priorité d’acquisition tout comme le propriétaire du champ limitrophe. Les êtres humains ne viennent alors qu’en seconde position.

Plusieurs réponses

On trouve plusieurs réponses à cela dans les commentaires [5].

1. Cette Halakha ne concerne que les terrains et pas les biens mobiliers et la Torah n’est pas un terrain.

2. Cette Halakha de Bar Metsra n’est valable que concernant une vente et pas un don. Et la Torah a été donnée.

3. Israël sont aussi les “voisins” de D.ieu comme il est écrit [6]: “qui est le grand peuple de qui D.ieu est proche”. Plus que cela, les enfants d’Israël sont appelés “les enfants de D.ieu [7]”. Et la loi du Bar Metsra ne s’applique pas concernant les proches parents du vendeur.

4. Il est dit de Moché qu’il est “l’homme de D.ieu” [8] et le Midrach [9] de commenter : “Sa moitié inférieure, homme sa moitié supérieure D.ieu”. Moché est donc le voisin, le Bar Metsra de D.ieu Il est donc tout aussi habilité que les anges à recevoir la Torah.

5. Moché jugeait le peuple et les Sages affirment que “celui qui rend un jugement vrai” est l’associé de D.ieu dans la création [10]. La loi de Bar Metsra ne s’applique pas dans le cas où l’acheteur est aussi l’associé du vendeur.

Quelques objections...

Toutes ces solutions à notre problème sont belles et brillantes, mais pourtant il manque l’essentiel : quel rapport avec la réponse de Moché Rabbénou ?!

Au contraire, les trois dernières réponses semblent en contradiction avec la plaidoirie de Moché. En effet, elles tentent de démontrer que Moché et les enfants d’Israël sont les proches de D.ieu, liés aux Cieux, comme les anges. Alors que, au contraire,  dans la Guémara, Moché souligne le caractère extrêmement terrestre de la Torah !

Et à propos des deux premières réponses, on peut trouver aussi quelques objections :

1. Bar Metsra ne concerne pas les biens immobiliers. Or, cette loi est fondée sur le fait que les champs puissent être côte à côte. Argument irrecevable pour des biens mobiliers qui peuvent être acquis  à tout endroit puis acheminés vers soi. Mais cette raison ne peut être appliquée à la Torah qui ne peut pas être acquise ailleurs car à partir du moment où elle a été donnée sur la terre “ elle n’est plus au Ciel”. Les Anges seraient donc perdants. La Torah n’est donc pas un “terrain” mais en a tout de même certaines caractéristiques.

2. Concernant la seconde réponse il existe trois expressions définissant l’acquisition de La Torah : héritage [11], don [12] et vente [13]. Chacune d’elles correspond à un certain rapport d’Israël avec la Torah. Mais on voit bien tout de même que la Torah est aussi une “vente” et que donc la loi de Bar Metsra pourrait s'appliquer.

Une réponse qui met tout le monde d'accord

Le but ultime du don de la Torah, c’est que “le désir de D.ieu d’avoir une résidence dans ce monde matériel” [14] soit assouvi. D.ieu veut “habiter” dans ce  monde matériel. Et nous, Israël construisons Sa résidence par la Torah et les Mitsvot.

C’est donc cela la réponse donnée aux anges : la Halakha stipule que si le propriétaire du champ voisin veut acquérir le champ limitrophe pour l’ensemencer et l’acheteur veut quant à lui y construire une maison, alors c’est ce dernier qui aura la préséance [15].

Exactement comme dans notre cas : la Torah est donnée aux hommes pour construire une maison pour D.ieu dans le monde matériel, dévoiler l'essence même du divin par et dans la matière. Ceci n’est possible qu’ici, par les êtres humains. La plainte n’est donc pas recevable et les anges sont déboutés !

On comprend alors la réponse de Moché Rabbénou qui ne parle que de choses matérielles, liées justement à ce but ultime qui est de faire de ce monde une résidence pour le Créateur.

Peut-être que les anges pourraient arguer qu’ils veulent faire une résidence pour D.ieu au moins dans les mondes supérieurs. Mais cela n’est pas possible. La 'Hassidout enseigne que l’essence de D.ieu ne peut se dévoiler que dans ce monde matériel, rempli de mal et de difficultés. Car ce n’est que dans cette situation que l’âme divine peut actualiser tout son potentiel et se dépasser, ce qui ne serait pas le cas si elle restait dans les mondes spirituels, comme les Anges.

La Torah a donc été donnée aux hommes dont la mission est de faire descendre la Présence divine tout en bas...

Espérons donc que même avant Chavouot nous ayons le mérite de voir se réaliser cet objectif et nous étudierons alors la Torah du Machia’h très bientôt et de nos jours. Amen.

D'après une étude du Rabbi de Loubavitch.

 

[1] Traité Chabbath 88b.

[2] Psaumes 8, 5.

[3] Psaumes 8, 2.

[4] Rambam, Lois sur le voisinage 12,5.

[5] Nombreux sont les Sages qui discutèrent de cette question, et parmi eux : Chté Yadot du 'Hizkouni, Chéérit Yaakov du Rav Algazi, Pnei David et Roch David du H'ida, ‘Hasdei Avot, Maare’hei lev, Brit Avot, Sefat Emet...

[6] Deutéronome 4,7.

[7] Pirké Avot 3,14 ; Exode 4, 22-23.

[8] Psaumes 90, 1.

[9] Deutéronome Rabba 11, 4.

[10] Traité Chabbath 10a.

[11] Deutéronome 33,4.

[12] Traité Brakhot 5a.

[13] Voir Chémot Rabba 33,1

[14] Tan'houma Nasso 16.

[15] Rambam Lois sur le voisinage 14,1.