La Paracha Mikets écrit : « Il s’éloigna d’eux et pleura. Puis il revint vers eux, leur parla et leur retira Chimon qu’il fit incarcérer à leurs yeux. » (Beréchit, 42:24)

Rachi explique, sur les mots « à leurs yeux » : il ne l’emprisonna que devant eux, mais après leur départ, il le fit sortir, lui donna à manger et à boire.

Quand les frères de Yossef arrivèrent en Égypte, celui-ci les reconnut immédiatement et décida de ne pas leur dévoiler son identité ; il prétendit plutôt les suspecter d’être venus espionner le pays. Il fit emprisonner l’un d’entre eux, Chimon. ‘Hazal notent que parmi toute la fratrie, Chimon et Lévi étaient les principaux instigateurs du complot contre la vie de Yossef. En effet, Rachi affirme que Chimon fut celui qui mit en place le projet du meurtre et qu’ensuite, c’est lui qui le jeta dans le puits.

Yossef emprisonna donc Chimon et libèra les autres frères. Il avait plusieurs raisons de s’en prendre particulièrement à Chimon[1], mais il est évident qu’il n’était nullement motivé par un désir de revanche. Preuve en est, dès le départ des autres frères, Yossef libéra Chimon et le nourrit. Le midrach ajoute qu’il se soucia personnellement de son repas et de sa toilette.[2]
 

Pourquoi en faire autant ? N’était-il pas suffisant de le faire sortir de son cachot ? Pourquoi se soucia-t-il de son confort matériel et se comporta-t-il comme son valet ?!

Rav Israël Salanter zatsal nous enseigne que lorsque l’on subit une insulte ou un préjudice et que l’offenseur s’excuse, il ne suffit pas de pardonner, il faut aller jusqu’à agir avec bienveillance envers lui, parce que pour rétablir les bons sentiments entre les deux personnes, il faut rendre le mal par le bien.[3]

 Rav Israël Salanter avance deux raisons pour une telle attitude. Tout d’abord, il s’agit de la mitsva de « véalakheta biderakhav » — émuler les qualités d’Hachem. Hachem « rembourse » constamment la déloyauté du fauteur par des bienfaits ; même après la faute et avant le repentir, cet individu continue de jouir la vie et de Ses faveurs. Nous savons qu’Hachem renouvelle constamment le monde ; à chaque instant, Il accomplit un nouveau bienfait pour Ses créatures. Ainsi, l’existence même du mécréant malgré son attitude incorrecte témoigne de la patience et de la bienveillance d’Hachem.

L’homme doit essayer d’émuler Hachem et de faire du bien à celui qui agit mal, et cela s’applique même si la personne en question ne s’est pas excusée.
 

Voici une autre raison pour réagir avec bonté envers celui qui faute : une simple pensée ou quelques mots d’excuse ne suffisent pas pour déraciner des ressentiments que l’on peut éprouver envers celui qui a mal agi. Ceci est basé sur un principe selon lequel une action peut annuler une pensée, mais une pensée ne peut annuler une autre pensée[4]. Ainsi, pour chasser totalement les sentiments négatifs envers quelqu’un, il faut l’aider concrètement. Yossef aurait légitimement pu conserver de la rancune envers Chimon – pour s’assurer que cette aigreur était complètement éradiquée, il est allé jusqu’à se mettre à son service.

Rav Israël Salanter, lui-même, était connu pour sa bienfaisance à l’égard des gens qui lui avaient causé du tort. Un jour où il voyageait en train, un homme qui ne le reconnut pas l’insulta copieusement. Réalisant ensuite que son interlocuteur n’était autre que rav Israël, il le supplia de l’excuser. Une fois le pardon accordé, il annonça qu’il espérait obtenir un diplôme de cho’het (abatteur rituel). Sans même qu’on le lui demande, Rav Israël le mit en contact avec des professeurs qui l’aidèrent à réussir son examen. Rav Israël ne s’est pas contenté de lui pardonner, il agit tangiblement en sa faveur !
 

Certes, il n’est pas facile d’accorder le pardon à quelqu’un qui nous a offensés, mais nous apprenons de Yossef quelle est la réaction appropriée. Il convient d’ajouter que cette attitude bénéficie également à la victime, car elle lui permet de tourner la page en considérant l’oppresseur comme tout le monde, comme quelqu’un qui mérite un bienfait.

Puissions-nous mériter d’émuler Yossef HaTsadik dans notre façon d’agir envers ceux qui nous causent du tort.



[1] Rachi explique qu’il souhaitait séparer Chimon et Lévi, parce qu’il savait qu’ensemble, ils formaient une équipe dangereuse. D’autres commentateurs pensent qu’il voulait que les frères comprennent que ce qui leur arrivait était une punition, mesure pour mesure, de la vente de Yossef ; il emprisonna Chimon parce qu’il était le principal responsable du complot meurtrier contre Yossef. Le Ibn Ezra affirme que l’otage aurait logiquement dû être l’aîné, Réouven, mais Yossef l’épargna par gratitude d’avoir tenté de le protéger tandis que les autres projetaient de le tuer ; il s’en prit donc au cadet, Chimon.

[2] Beréchit Raba, 91:8.

[3] Or Israël, p. 115. Bien que Chimon n’ait apparemment pas demandé pardon à Yossef, celui-ci a entendu tous les frères reconnaître leur erreur quant à leur cruauté à son égard. On peut aussi expliquer que Yossef avait un tel niveau qu’il traita Chimon de la sorte, même s’il ne s’était pas excusé.

[4] Kidouchin, 59b.