« Et dans un lieu où il n'y a pas d'hommes, efforce-toi d'être un homme. »

QUESTIONS

  1. À quel propos est-il dit qu'il n'y a pas d'hommes ?
  2. À quel propos est-il dit d'être un homme ?
  3. Pourquoi est-il dit « il n'y a pas d'hommes » au pluriel et non au singulier ?
  4. Pourquoi faut-il être un homme dans une situation où il n'y a pas d'hommes ?
  5. Pourquoi le terme choisi, Hichtadel, implique-t-il beaucoup d'efforts ?

De nombreux commentateurs expliquent cette partie de la Michna comme une référence à une situation où un homme se retrouve sans personne pour l'aider dans sa progression spirituelle, mais leur interprétation exacte du précepte de Hillel varie légèrement[1] : pour certains, cela signifie qu'il n'y a pas d'hommes dotés d'un niveau plus élevé que lui capables de lui enseigner (la Torah) ou de le réprimander s'il agit de manière incorrecte. Il est naturel d'avoir un maître pour être guidé dans sa progression spirituelle, et il est essentiel de se trouver un Rav. Or, parfois une telle personnalité peut être absente. Mais ceci n'est pas une excuse pour s'abstenir de travailler sur soi et de vouloir progresser. Il faudra se motiver pour avancer et s'améliorer dans les domaines où cela s'avère nécessaire.

Pour d'autres commentateurs, Hillel veut signifier ici qu'il n'y a pas d'autres personnes du même niveau que soi, mais toute personne qui nous entoure est d'un niveau inférieur. En général, l'influence de l'environnement joue un rôle déterminant pour garder l'homme sur la bonne voie. En effet, l'homme a tendance à être influencé par la société, il est donc essentiel de vivre dans une société d'hommes au niveau spirituel le plus élevé possible. Le Rambam va encore plus loin : si un homme se retrouve dans un environnement de désert spirituel, il doit quitter les lieux le plus vite possible afin d'éviter d'en vivre les effets négatifs. De plus, lorsqu'on s'entoure d'hommes qui servent Hachem, on peut réaliser l'idée de Kinat Sofrim, qui signifie littéralement la jalousie des élèves. Il s'agit d'une compétition naturelle qui motive les hommes à étudier la Torah aussi bien que leurs pairs, et à égaler leurs accomplissements spirituels. Généralement, la jalousie est un trait de caractère négatif, mais dans le domaine de la spiritualité, il peut être mis à profit de manière positive. Mais il peut y avoir des moments où un homme n'est pas entouré de telles personnes, et il doit se motiver lui-même, plutôt que de se reposer sur la pression du groupe et la Kinat Sofrim pour inspirer sa croissance spirituelle.

Cette leçon est très pertinente de nos jours. Pendant plusieurs mois au cours de la période éprouvante du coronavirus, la majorité des Juifs ont vécu en l'absence des fondations de la vie juive en communauté. Les synagogues et maisons d'étude ont été fermées, et les rassemblements communautaires restreints. L'un des grands Rabbanim des États-Unis, Rav Aharon Lopiansky, a évoqué ce phénomène, en réponse à une question sur la leçon la plus importante à retenir de l'année précédente. Citons-le directement[2]:

« Qui suis-je en tant qu'individu ? C'est une question que cette expérience doit nous forcer à nous poser. Nous avons l'usage de prier et d'étudier sous l'égide du Tsibour (de la communauté), en regardant tout le monde autour de nous, et à suivre. Nous nous sommes habitués à penser que notre judaïsme est sain et fort. Mais – en particulier lors de la période la plus sombre de cette pandémie – lorsque nous sommes tous seuls, un grand nombre d'entre nous ont réalisé que leur judaïsme ne correspondait pas à ce que nous pensions. Il faut réfléchir honnêtement à ceci : "À quel point mon service divin était déficient lorsqu'il n'y avait pas de Tsibour autour de moi ?" Nous aussi, à titre de collectivité, devons réfléchir au fait qu'en dépit des apparences de force, il nous faut peu pour nous ébranler. Et nous, en tant que Mé'hanekhim (éducateurs), nous devons nous interroger : "Construisons-nous des élèves suffisamment forts pour défendre leurs propres positions lorsque les circonstances l'exigent ?"»

L'injonction d'Hillel d'être un homme en l'absence d'autres hommes semble être contenue dans les termes de Rav Lopiansky. La plupart d'entre nous, en lisant ce passage, pouvons penser qu'il ne s'applique pas à nous, du fait que nous vivons dans des quartiers religieux, entourés d'hommes vertueux et érudits. Or, les difficultés des derniers mois nous ont enseigné qu'il n'est pas suffisant de s'appuyer sur les autres pour consolider notre judaïsme. Nous devons développer une indépendance dans notre faculté à étudier lorsque nous sommes seuls, à prier avec Kavana (concentration) sans Miniyan, et à travailler sur notre croissance spirituelle lorsque personne d'autre ne peut nous voir.

Puissions-nous mériter d'intégrer cette leçon vitale.

 

[1] Voir Rabbénou Yona, Midrach Chemouël

[2] Hamodia, p. 28, 27 Eloul 5780