Le don de la Torah au mont Sinaï est le fondement du judaïsme, il en est même l’essence. Mais si la révélation du Sinaï est la preuve incontestée de la véracité de la Torah, nos maîtres de mémoire bénie discernent dans cet événement un autre dessein : ils révèlent qu’il y avait là également un objectif pédagogique qui devait servir au développement personnel de tout homme. Découvrons ce dont il s’agit.

Dans la section de Yitro, dans laquelle la Bible raconte le don de la Torah, Moïse s’adresse au peuple et leur dit : « Ne craignez pas ! Car c’est afin de vous mettre à l’épreuve qu’est venu D.ieu, afin que Sa crainte soit sur vos visages, pour que vous ne fautiez pas » (Exode 20, 17). Nos Sages traduisent la locution de Moïse de la façon suivante : « Sa crainte », c’est la honte. (Traité Nédarim page 20). Par-là, les Sages du Talmud nous enseignent qu’un des objectifs de la révélation divine au Sinaï fut que nous soyons sujets à la honte…

De quelle honte s’agit-il ? Et pourquoi justifia-t-elle de surcroît une si grande mise en scène ? 

La honte comme équilibre suprême

Pour le comprendre, tentons de définir comment la honte est perçue par nos Maîtres. La honte a plusieurs registres ; il en va du simple sentiment de malaise lors de la prise de parole en public jusqu’au sentiment de culpabilité harassant dû au poids des agissements d’une personne.

On pourrait dire que la honte chez les Sages est le sentiment de ne pas être à sa place, un sentiment de gêne qu'éprouverait une personne lorsqu'elle sent qu’elle a mal agi, un décalage avec ce qu’elle aurait attendu d’elle-même. 

C’est ce papa qui gronde sa fille pour pas grand-chose sous l’impulsion d’une colère déraisonnée et qui par la suite a honte de son acte, ou ce mari qui se trouve dans un bar avec ses collègues de travail en train de siroter un cocktail le soir de l’anniversaire de sa femme et qui aurait honte de son oubli… Mais plus communément, c’est le sentiment que toute personne éprouve lorsqu’elle se prend en train d’agir de façon contraire à sa morale et qui regretterait par la suite la teneur de ses agissements.

La honte est donc étroitement liée à la culpabilité pour nos Sages, c’est pour cela que la Torah la juxtapose à son intérêt le plus direct « que vous ne fautiez pas » (Ibid.).

Partant de là, nous pouvons comprendre que la honte provient d’un sentiment de ne pas être en accord avec son “moi” intérieur, avec les valeurs auxquelles une personne adhère. Une personne qui outrepasse ses principes est sujette à ce ressenti, le sentiment d’avoir mal agi, la sensation de dissonance cognitive telle que la formula le psychologue Léon Festinger dans les années 1950.

Mais pour qu’il soit question de honte vis-à-vis de ses agissements, encore fallait-il qu’il y ait un référentiel auquel se référer pour y faire coïncider ses actes et définir ses valeurs. C’est là que la révélation du mont Sinaï entre en jeu. 

D.ieu voulut que l’humanité toute entière acquière un référentiel absolu, qu’elle sache qu’il est absolument interdit de tuer, de voler, de s’adonner à l’idolâtrie... La morale universelle naquit et toute personne devait s’y référer pour établir son échelle de valeurs et ses principes de vertus, l’humanité dans son ensemble et le peuple juif en particulier.

Dorénavant, le modèle des valeurs de l’humanité vient de l’au-delà et s’inscrit dans un idéal parfait, mais surtout il devient transcendantal, il est extérieur à l’homme, pensé par D.ieu Lui-même.

La contrainte comme liberté 

A quoi ressemblerait la vie d’un homme qui serait son propre référentiel, libre de la contrainte morale du Sinaï ? 

Tous ses principes seraient variables, chacun de ses agissements serait justifié par la nécessité et ses intérêts personnels, redéfinissant ses valeurs au gré des besoins, plus rien n’aurait de gravité à ses yeux car il n’existerait pas pour lui de valeur absolue…Ses valeurs seraient celles véhiculées par la société dans laquelle il a été éduqué, définies par des hommes de chair et de sang, elles-mêmes variables au gré des contingences et de la pression des lobbies en tous genres... Dans l’urgence, il n’hésiterait pas à mentir pour se sortir d’un mauvais pas, son psyché intellectualiserait son comportement en se disant que mieux vaut mentir que d’assumer. Après tout, ne dit-on pas que la fin justifie les moyens ?!

Ou lorsque le goût du plaisir se mêlerait à l’interdit, son subconscient redéfinirait très vite la limite de ce qu’il considérait interdit jusqu’alors. Après tout, pourquoi ne pas prendre exemple sur d’autres personnes pour s’accorder les désirs les plus fous de son cœur et être toujours dans son bon droit ? Ne sommes-nous pas tous égaux ?     

Il ne serait plus « victime » du poids de ses actes, puisque manquant de référentiel contraignant, il n’éprouverait plus le sentiment amer de la honte non plus, enfin libre pourrait-on penser !

Mais en réalité, notre pauvre ami est également privé du sentiment de satisfaction profond qui permet à une personne de se dire qu’elle a fait son devoir, qu’elle a bien agi, qu’elle s’est sublimée. Un sentiment de sérénité profonde qui permet à l’homme de se regarder en face et de s’apprécier en toute intégrité, sans faux-semblant, le secret de l’amour de soi.

En s’affichant comme le code d’éthique transcendantal venu du Ciel, la Torah permet à l’homme d’avoir un référentiel immuable vers lequel tendre et faire coïncider ses actes et ses valeurs, un idéal parfait qui lui permet de se hisser au-delà de sa condition purement matérielle. 

La richesse de ses commandements qui couvrent tous les aspects de la vie d’un juif, depuis ses devoirs vis-à-vis de D.ieu jusqu’à ceux concernant son prochain, procure autant d’occasions de se remplir d’un sentiment de satisfaction de soi inouï.      

Ainsi, la Torah offre au juif l’opportunité de sentir la satisfaction profonde d’avoir agi comme il le fallait, et grâce à cela, elle développe chez lui une réelle estime de soi, un amour-propre, le fait d’être en accord avec soi-même. D’être quelqu’un de vrai, quelqu’un de bien…