Question d'une internaute : "J'ai perdu mon père quand j'avais l'âge de 8 ans. Aujourd'hui j'en ai 34 et il semble que je ne m'en remets toujours pas... Il est décédé d'une longue maladie, ce qui fait que je ne l'ai jamais vraiment connu, en tous cas pas en tant que père actif. Je pensais que le temps soignait les blessures mais je constate que non : je suis renfermée, je n'éprouve aucune envie de me marier, je suis de nature triste. Mes frères et sœurs n'ont pas subi le même traumatisme que moi, ce qui m'interpelle d'autant plus. J'en veux à D.ieu de m'avoir privée de mon père et j'ai l'impression d'avoir subi une injustice qui m'handicape jusqu'à aujourd'hui. Merci de me donner votre éclairage...."

Réponse de Mme Nathalie Seyman

Nous ne sommes jamais préparés à affronter la mort, et encore moins lorsqu’il s’agit de nos parents. Je dirai même qu’on n’arrive jamais totalement à la surmonter. Quel que soit notre âge, adulte ou enfant, notre vie s’en trouve transformée. Comment alors arriver à se réintégrer à la vie normale et quotidienne après être passé par là ? Pourquoi certains restent bloqués dans leur tristesse sans parvenir à la surmonter ? Analysons ensemble votre problématique.

Nos parents, nos racines

Dans la pratique juive, lors de la perte d’un être cher autre que les parents (frère, sœur, conjoint), la loi nous demande d’observer un mois de deuil. Pour un père ou une mère en revanche, le deuil dure un an. Lorsque l’on perd ses parents, ce n’est pas seulement un seul deuil que nous devons effectuer mais au moins trois : celui du premier objet d’amour de notre vie, celui de l’enfant qui résidait en nous en leur présence, mais aussi celui de ses racines. Tout un univers s’en va avec eux et nous nous sentons comme abandonnés.

Lorsque l’on perd ses parents très tôt comme vous, à l’âge où l’amour des parents sert à se construire et à édifier l’estime de soi, alors il s’agit moins d’un deuil de l’absence que d’un deuil de la sécurité affective. Une petite fille se voit grandir, aimée et être belle surtout à travers les yeux de son père. Le perdre, c’est perdre tout cela avec. À 8 ans, on ne fait pas la différence entre l’abandon et la perte de l’amour. En terme plus simple, à travers les yeux d’un enfant, être abandonné physiquement c’est être abandonné affectivement.

Et même si l’on sait que la personne disparue n’est pas en faute, on ressentira de la colère envers lui de nous avoir quittés. En conséquence, on gardera une prudence affective qui nous rendra méfiants par la suite et nous empêchera de prendre le risque d’aimer pour éviter une nouvelle blessure affective. Réussir à faire assez confiance pour offrir son cœur et aimer prouvera que le deuil de la sécurité affective  a été surmonté.

Le travail de deuil

On pense trop souvent que faire le deuil, c’est avoir oublié la personne et ne plus ressentir de tristesse. Mais c’est évidemment faux. C’est au contraire savoir gérer sa peine pour qu’elle ne nous empêche plus d’avancer au quotidien. Peut-être n’êtes-vous pas passée par ce processus de deuil qui permet de le surmonter ? Lors des Chiva' (les 7 premiers jours de deuil), la famille se réunit dans une même maison et c’est cette chaleur familiale qui aide beaucoup à passer les premiers caps difficiles d’un deuil. Puis ensuite, après le choc, le déni, la colère et la tristesse, il faut parvenir à accepter la réalité pour commencer à se reconstruire. La réalité étant que tout est entre les mains d’Hachem.

Il faut donc traverser toutes ces étapes pour arriver à surmonter son deuil. Si une étape a été sautée, alors on ne parvient pas à avancer. Il est en outre probable qu’à l’âge de 8 ans, vous n’ayez pas réussi à entamer un processus de deuil correct. Ne vous comparez pas à vos frères et sœurs car nous sommes tous différents et nous réagissons tous différemment face à la perte d’un être cher. Le déclic pour passer d’une étape à une autre dépend de notre personnalité.

Mais aussi de la façon dont votre maman vous a expliqué les choses et vous a permis de traverser cette épreuve. Le processus de deuil peut se bloquer et nous bloquer, nous retenir de vivre. Longtemps, après la perte de la personne aimée, on peut tourner en rond avec sa souffrance.  Dans ce cas, je crois qu'il est très difficile de se libérer seul. Une aide extérieure est nécessaire, une rencontre avec un psychologue peut aider à revivre ou à repenser à ce qui nous a affectés et sur quoi nous sommes restés bloqués.

Et après ?

Surmonter un deuil, c'est quand on a envie de vivre, pour soi et pour les autres, avec les vivants. On n'oublie jamais celui qui est mort, mais il y a des moments où l’on n’y pense plus. La colère que nous avons ressentie envers lui de nous avoir abandonnés s’apaise enfin. C'est pourquoi on associe souvent le deuil et le pardon surtout en ce qui concerne les parents : pouvoir se souvenir d'eux sans souffrir et leur « pardonner » d’être partis. Le temps cicatrise les blessures, non pas parce que nous oublions mais au contraire parce que nous réalisons que tout ce que nous a apporté notre parent disparu est ancré en nous : notre caractère, nos valeurs, son mérite, son exemple. Et tout cela ne s’effacera jamais.

Mes Conseils

- Tout d’abord le plus important serait d’aller consulter un psychologue spécialiste du processus de deuil pour que vous parveniez à comprendre ensemble ce qui a pu bloquer le vôtre et ainsi vous permettre d’avancer.

- Parlez de votre père avec votre mère, vos frères et vos sœurs. Évoquez ensemble des anecdotes, apprenez des choses que vous ne saviez pas sur lui, parlez chacun de vos ressentis lorsqu’il est parti. Vous avez besoin de mieux le connaître, de vous rapprocher de lui émotionnellement. Le fait de partager davantage les souvenirs avec sa famille ainsi que les sentiments des uns et des autres que l’on peut avoir ignorés jusque-là peut vous aider à vous débloquer.

- Gardez la Émouna (la confiance en D.ieu) car elle est notre seul rempart contre ce que nous ne pouvons pas comprendre.

À la perte d’un être cher, nous prenons mieux conscience du fait que nous ne sommes que des mortels, que la vie peut être courte et ainsi l’urgence de se réaliser et d’atteindre nos buts de vie. Chaque moment est précieux, la vie est précieuse. Car nos parents ont besoin de nous pour continuer à les faire vivre et les honorer de tout ce qu’ils nous ont apporté.

Béatsla'ha !

Si vous avez une question à poser à la psy, envoyez un mail sur l'adresse suivante [email protected]. Mme Seyman essaiera d’y répondre et la réponse sera diffusée de façon totalement anonyme