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Aujourd’hui, dans le monde fou dans lequel on vit, quelle est la clef qui nous permettra de réussir à garder nos enfants dans les valeurs de la Torah ? 

La clef est peut-être d’arriver à donner aux enfants l’envie intérieure de se protéger du mal environnant. Les enfants, comme le dit le Rav Chimchon Raphaël Hirsch, ne vont pas rester toujours sous notre tutelle. Il vont quitter la maison et il faut qu’ils aient des valeurs assez fortes pour vouloir eux-mêmes résister.

Comment leur donner cette force de résister ? 

C’est le travail de notre vie (sourire).

Mais je peux vous dire ce que j’ai vu dans la maison de mes parents, c’est la joie dans les Mitsvot. Et ça, je suis sûre que c’est en grande partie la clef. 

Il faut que les enfants se sentent bien à la maison, qu’ils soient heureux dans leur judaïsme, ne pas être dur avec eux.

Mais attention, il faut des limites. Et aujourd’hui, il y a une confusion. D’un côté, on essaye d’être bien avec son enfant, ami, parfois copain avec lui, mais on risque de perdre les limites. Les enfants ont besoin de parents fermes et forts qui savent ce qu’ils font, sans se sentir tenus à toujours expliquer pourquoi on ne permet pas certaines choses.

Encore un point : mon père aimait nous habituer depuis l'enfance à ressentir la satisfaction d'être plus fort que le Yétser Hara’ (mauvais penchant), capables de surmonter ses envies. Donner aux enfants le goût de lutter pour le bien est un grand atout pour la vie ! C'est d'autant plus précieux aujourd'hui, quand la facilité est tellement de mise.

La colère est-elle à abolir dans tous les cas ? Même lorsque l’enfant transgresse un interdit ?

Un jeune papa avait raconté qu’il ne se mettait en colère contre ses enfants que pour des « ’Avérot » (transgressions liées au respect de la Torah). Prenant conseil chez un Rav, ce dernier lui a expliqué que cette approche aussi est fausse. La colère est à abolir sous toutes ses formes.

Prenons l’exemple d’un petit enfant qui jette un livre de prières par terre. Si je cours pour ramasser le Sidour et que je l’embrasse, cela marquera bien plus que si je lui dis : “Pourquoi tu as fait ça ? Ramasse vite !”. Après cela, je mettrai le Sidour hors de sa portée, sans remarque.

Les enfants ne doivent pas sentir que l’on pense qu’ils sont « méchants ». Car ils ne sont pas « méchants ». 

Même sur l’insolence, la « ‘Houtspa » tellement courante en Israël : souvent, ce que nous percevons comme de la « ’Houtspa » est tout simplement leur façon de parler, qu’ils ont eux-mêmes entendu autour d’eux, mais l’intention n’est pas mauvaise.

On peut, on doit même, gentiment leur faire remarquer : ”On ne parle pas comme ça à Papa et Maman.”

De façon générale, il faut de la patience dans l’éducation. On ne voit pas les résultats tout de suite. Une fois qu’ils grandissent, on voit alors que les enfants ont incorporé les valeurs de la maison. 

Une autre clef ?

L’écoute. Indispensable.

Aujourd’hui, on peut être physiquement, techniquement avec notre enfant, et pourvoir à ses besoins vitaux, mais en fait, on est ailleurs, au téléphone avec une amie, avec sa sœur, même en train d’écouter un cours (!), la tête prise par autre chose. On pense qu’on s’en occupe, mais non, on n’est pas avec lui. Il ne viendra pas nous dire ses bobos, ces petites choses qui lui pèsent, qu’il a sur le cœur.

Il faut prendre le temps de l’écouter, qu’il sente qu’il est important pour nous, que ses sentiments et ses opinions nous intéressent.

Et la Téfila, bien sûr. Il faut prier pour nos enfants. Il n’y a pas de secrets, pas de recettes, mais il y a certainement de bonnes attitudes à avoir : bonne humeur, écoute et exemple personnel d’un comportement approprié. 

Rav Chajkin punissait ?

Oui, mais même la punition était « sous contrôle » et également donnée avec beaucoup d’amour.  

Si un de nous avait fait quelque chose de mal, Papa donnait la punition sans colère, en récitant le verset du roi Chlomo : “Celui qui retient son bâton, hait son enfant”.

Quelles sont les valeurs principales que vous avez prises de la maison de vos parents et que vous avez, à votre tour, transmises à vos enfants ?

Les valeurs principales que l’on reçoit, on les transmet même sans s’en rendre compte. On ne peut pas les inventorier. Quelqu’un qui viendrait d’une maison où la droiture est fondamentale, transmettrait cette valeur automatiquement.

Mon frère m’a raconté que, quand il est entré à la Yéchiva, ses camarades lui ont demandé : “Qu’est-ce qu’il y a de spécial dans la maison d’un Talmid (élève) du ‘Hafets ‘Haïm ?”

Il a répondu : “Il n’y a rien de spécial chez nous.”

En grandissant et en prenant de la distance, on se rend compte dans quoi on a vécu et alors on apprécie ces choses.

La notion de joie, de « Sim’ha », est fondamentale dans la maison de vos parents. Vous pouvez nous donner des exemples concrets ?

Ma maman faisait les ’Hallot à la maison, et moi aussi, en Angleterre, je les faisais moi-même. Mais lorsque je suis arrivée en Israël, j’ai vu que tout le monde achetait les ‘Hallot à l’épicerie, et j’ai commencé à les acheter.

Mon père qui était chez moi m’a dit : “Mais c’est dommage que tes filles ne voient pas que tu fasses les ‘Hallot ! Le fait de les préparer à la maison, avec les enfants, dans la joie, ça leur fait sentir qu'on aime faire des efforts pour Chabbath, cela fait entrer la Sim’ha dans les préparatifs du Chabbath.”

Quand il préparait sa Soucca également, mes frères l’aidaient, mais il voulait lui-même mettre le Skhakh (toit) sur la Soucca. Il rayonnait en le faisant et il avait dit à un de mes frères : « Regarde ma petite “Soukelé”. Je suis plus heureux avec elle, que la reine d’Angleterre dans son palais… »

Il faut, en quelque sorte, “enrober” les Mitsvot de joie, de sorte que l’enfant ressente que, de les accomplir, c’est tout simplement bon.

Racontez-nous un épisode de la joie du Chabbath pour votre père...

Il tenait à ce que l’on cueille des fleurs pour le Chabbath. On était une fois partis en vacances et il était venu en promenade avec nous, un jeudi après-midi, je me souviens. 

On est arrivé dans un grand champ avec des campanules et il nous a invités à cueillir des fleurs. On a commencé à faire un bouquet. Et il nous disait : “Regardez, encore une, celle-là aussi elle veut venir sur notre table pour Chabbath. Et encore une…”.

Le sentiment qu’il nous est resté de cet après-midi, c’est que ces fleurs voulaient tellement venir sur notre table pour Chabbath. Et si pour ces fleurs c’était un mérite d’embellir une maison pour Chabbath, que dire de nous, qui gardons le Chabbath lui-même !

Il faisait passer des messages sans discours, sans palabres. Mais c’était tellement palpable.

Et la joie que lui provoquait le fait qu’un juif commence à accomplir une Mitsva...

Un jour, un homme qui, jusqu'à présent, ne fermait pas son magasin Chabbath et avec qui mon père avait longuement parlé sur le sujet, est venu à la maison et a annoncé à mon père : « J’ai fermé mon magasin ce Chabbath ! ».

Mon père a littéralement sauté de joie et il est allé chercher une bouteille pour boire ensemble “Lé’haïm”. Et lorsque ce juif est revenu à la maison, mon père rappelait à ma mère : ”Tu te souviens ? C’est M. untel qui a fermé son magasin Chabbath !!”

Il a même organisé des Chéva’ Brakhot « improvisées » pour un des enfants de cet homme. Quand on lui a demandé : « Mais pourquoi tant d’empressement ? » (la chose avait été organisée sur un pied, alors que le jeune couple était entré “par hasard” dans la cour de la Yéchiva), mon père a répondu : ”Si quelqu’un qui avait énormément réjoui ton père venait te visiter, ne ferais-tu pas tout ce qui est en tes possibilités pour lui ? Et bien, le père de ce marié a énormément réjoui mon Père, Hakadoch Baroukh Hou, c’est donc normal que je fasse tout pour lui.”

A la fin de sa vie, mon père souffrait beaucoup des jambes. Mais quand il a entendu qu’une personne avait commencé à garder la Taharat Hamichpa’ha (pureté familiale), il en a été tellement heureux qu’il s’est mis à faire un Rikoud (une danse) pour la joie d’Hakadoch Baroukh Hou. Il s’est arrêté, a repris son souffle, et, à nouveau, s’est remis à danser, prenant les mains de celui qui lui avait annoncé cette bonne nouvelle. 

L’entretien se termine pour moi à regret. Mon interlocutrice qui a puisé son judaïsme à une source si vive, si désaltérante est passionnante. 

En conclusion, elle me dit : « Sachez que tout cela, tout ce que j’ai vécu dans mon enfance, dans la maison de mes parents, c’est un cadeau. Mais il faut, de cela, faire quelque chose de personnel, son propre travail, sa recherche vers D.ieu. Et le travail ne fait que commencer… »

Propos recueillis et écrits par Jocelyne Scemama