« Ya'acov se réveilla de son sommeil et dit : "Assurément, Hachem est en ce lieu et moi, je ne le savais pas". » (Béréchit, 28:16)

Rachi commente, sur le mot « Véanokhi – et moi » : « Car si je l’avais su, je n’aurais pas dormi dans cet endroit saint. »

Au cours de son voyage vers la demeure de Lavan, Ya'acov Avinou se couche pour dormir. Il ne sait pas qu’il s’arrête précisément au Har Hamoria, là où la Akédat Its’hak se déroula, et qui sera également l’emplacement du Beth Hamikdach. Durant son sommeil, il voit, dans un rêve prophétique, des anges qui montent et descendent d’une échelle et Hachem lui promet alors le succès. Dès son réveil, il réalise qu’une telle prophétie prouve qu’il s’agit d’un endroit sacré et il déclare que s’il avait eu conscience de sa sainteté, il n’y aurait pas dormi. Le Rav de Brisk, Rav Its’hak Zéev Soloveitchik explique que Ya'acov craignait d’avoir involontairement transgressé les lois de Mora Hamikdach qui interdisent de se comporter de manière inappropriée à l’endroit du Temple – et le fait de s’y endormir est inclus dans cette interdiction.[1]

À première vue, cet incident ne semble pas particulièrement exceptionnel. Cependant, le Rav de Brisk affirme que si l’on analyse plus profondément le contexte de ce rêve ainsi que la réaction de Ya'acov, on en tire une leçon édifiante. Ya'acov se trouvait dans une situation des plus précaires lorsqu’il fit ce songe ; il venait d’échapper à la mort en fuyant son frère enragé qui souhaitait le tuer. En chemin, il avait dû laisser tous ses biens à son neveu Élifaz qui avait pour mission de l’exécuter. Il était en train de quitter la Terre Sainte pour la première fois de sa vie, seul, et un avenir très incertain l’attendait. Puis, il s’allongea pour se reposer et bénéficia de promesses extraordinaires de la part d’Hachem ; ses descendants seront innombrables, il héritera de la terre sur laquelle il dort et il sera protégé lors de ses divers labeurs.

Le Rav de Brisk souligne qu’on se serait attendu à ce que Ya'acov s’extasie en entendant des nouvelles si prometteuses à un moment tellement délicat. Mais ce n’est pas le cas ; Ya'acov, en se rendant compte qu’il avait dormi dans un endroit aussi saint, affirma immédiatement que s’il avait su, il n’y aurait pas passé la nuit, afin de ne pas transgresser la Halakha de Mora Hamikdach. Le Rav de Brisk déduit que si Ya'acov ne s’était pas endormi à cet endroit, à cet instant précis, il n’aurait jamais reçu cette prophétie et n’aurait pas mérité toutes ces promesses merveilleuses[2]. Ainsi, il préférait renoncer à ce rêve et à tout ce qui s’ensuivit pour éviter de transgresser involontairement une Halakha. Nous apprenons ici que l’allégeance à la Loi juive supplante toutes les autres considérations, même lorsque le fait de s’y plier risque d’avoir des conséquences négatives.

Le Rav de Brisk adopta cette attitude tout au long de sa vie. Aux prémices de l’État d’Israël, un certain décret était sur le point d’être édicté et les Rabbanim craignaient qu’il ne menace sérieusement le bien-être spirituel du peuple juif. Le ’Hazon Ich et le Rav de Brisk, ainsi que d’autres dirigeants spirituels tranchèrent que la communauté orthodoxe devait se battre de toutes ses forces pour que ce décret ne soit pas signé. Mais certains estimaient que si l’on combattait trop ardemment dans ce domaine, leurs opposants risquaient de réagir agressivement dans d’autres domaines qui étaient également primordiaux pour la survie spirituelle du peuple juif. Ils suggéraient donc de rester prudents en luttant contre ce décret, afin de ne pas en pâtir par ailleurs.

Quand on parla de cet avis au Rav de Brisk, il le rejeta complètement, arguant que puisque la Halakha ne permettait pas la mise en application de ce décret, on avait l’obligation de faire tout son possible pour s’y opposer. Et il est interdit de s’écarter de la Halakha sous prétexte que cela « renforcera » la Torah, c’est Hachem qui est « responsable » d’en gérer les conséquences. Il justifia son avis par une Guémara affirmant que lors de la destruction du Beth Hamikdach, les Cohanim montèrent sur le toit du Temple et jetèrent ses clés vers le Ciel. L’image d’une main apparut alors pour les rattraper. Le Rav de Brisk explique qu’il s’agissait d’un message céleste les informant qu’ils avaient agi correctement. Il en déduisit que : « Dans notre cas également, si la seule façon de respecter la Torah est de permettre ce qui est prohibé, il vaut mieux la reléguer à Hachem. Laissons-Le prendre les reines et assumer la responsabilité quant à Sa promesse : "Car elle ne sera pas oubliée de la bouche de sa descendance."[3] »

Voici un enseignement fondamental. L’individu peut se sentir très attaché et fidèle à la loi juive, mais il semble parfois que la stricte observance de la Halakha a des conséquences défavorables. Par exemple, si un patron dit beaucoup de Lachone Hara'(médisance), l’employé risque de se sentir obligé d’y participer ou au moins, d’écouter ces propos pour préserver son gagne-pain. Mais la Halakha ne permet pas d’enfreindre les lois de Chmirat Halachone pour garder son emploi.

De même, un individu ressent parfois que sa stricte adhérence à la Halakha contrarie certaines personnes et aliène même certains Juifs moins pratiquants. La Halakha nous guide quant aux rigueurs à appliquer et aux souplesses permises en certaines occasions, mais si l’on a un doute quelconque quant à la possibilité d’être plus souple dans de telles circonstances, il faut demander à un Rav compétent qui pourra statuer si cela ne passe pas outre les limites de la Halakha.

Le Rav de Brisk nous enseigne que le dicton « la fin justifie les moyens » ne s’applique pas dans la Avodat Hachem – au contraire, ce sont les moyens (respecter la Halakha) qui déterminent les actions de l’homme et les corollaires sont entre les mains d’Hachem.

 

[1] Torat Brisk, Béréchit, 28:16.

[2] On pourrait penser que si Ya'acov n’avait pas dormi à cet endroit, il aurait reçu ces promesses à un autre moment. Mais le Rav de Brisk estime qu’il ne put recevoir une telle prophétie qu’en ce lieu, d’une sainteté particulière. Donc, s’il n’y avait pas dormi, il n’aurait pas du tout pu avoir ces prophéties.

[3] Brisker Rav, 3ème partie, p. 49-50