La Paracha de cette semaine, Vaét'hanan, revient sur la législation relative aux villes de refuge. Ces dernières avaient vocation à mettre les meurtriers involontaires à l’abri du désir de vengeance qui pourrait animer les proches de la personne tuée.

« C'est alors que Moïse désigna trois villes en deçà du Jourdain, à l'orient, pour servir de refuge au meurtrier qui ferait mourir son prochain sans préméditation et sans avoir été précédemment son ennemi, afin qu'en se réfugiant dans une de ces villes, il pût sauver sa vie » (Dévarim 4.41)

Parmi les dispositions qui régulaient ce statut d’exception, figure une prescription qui peut paraître étonnante de prime abord et qui est évoquée dans la Paracha Massé « [Le meurtrier involontaire doit rester dans la ville de refuge] jusqu’à la mort du Grand Prêtre, le Cohen Gadol, qui officiait à l’époque du drame.

Et Rachi de rappeler une explication donnée par les maîtres du Talmud « Parce que le Cohen Gadol aurait dû prier pour que ne soit pas, de son vivant, commis un tel crime » (Talmud de Babylone, Makot 11a). C’est ainsi que la Torah nous invite à méditer sur la responsabilité morale, spirituelle de ceux qui assument des positions de leadership.

Cette approche est révélatrice de l’état d’esprit qui prévaut dans notre tradition et, notamment, du caractère sacré de la vie humaine. Il est vrai que cette législation tranche avec l’esprit des sociétés modernes dans lesquelles nous vivons, où, bien tristement, la valeur de la vie semble être parfois bien relative. Celle-ci est menacée par la violence qui gangrène les relations sociales à une échelle rarement vue dans l’histoire, et exacerbée non seulement par les causes classiques de la délinquance, l’alcool, l’appât du gain, la soif de pouvoir, mais aussi par l’impact terrible des écrans qui rendent accessibles à tous, et notamment aux plus jeunes, les pires abominations, et préparent les passages à l’acte.

Aussi, comme le remarque Rav A. Twerski, les dirigeants des sociétés modernes peineraient à trouver le sommeil s’ils devaient ressentir une part de responsabilité face à ces explosions de violence, comme les y invite pourtant la Torah.

Si certaines sociétés font bon marché de la valeur de la vie humaine, c’est précisément car elles sous-évaluent fondamentalement ce que représente la vie, et son caractère sacré.

Les maîtres de la tradition juive n’ont eu de cesse de souligner le caractère absolu de la préservation de la vie humaine, n’hésitant pas à abroger certaines lois pour permettre de sauver des vies (Pikoua’h Nefech) dans des situations d’exception. La triste période de la crise sanitaire a précisément vu cet état d’esprit à l’œuvre, amenant les maîtres de notre génération à aménager la Halakha pour ne pas mettre les fidèles en danger.

Dans le Traité Yoma du Talmud de Babylone (23 b), les Sages nous rapportent un incident ayant eu lieu à l’époque du second Temple. À cette période, les prêtres devaient concourir pour déterminer qui aurait le privilège de faire la 'Avoda, le service du Temple. Durant une compétition de cette nature, un prêtre a été poignardé. Son père se précipita alors… pour retirer le couteau du corps de son fils avant qu’il ne meure, afin d’éviter que cet ustensile ne devienne impur et soit disqualifié pour le service ultérieur des sacrifices.

Cet épisode a profondément ébranlé les Sages qui ont mesuré à quel point le souci technique de la Halakha peut parfois anesthésier la sensibilité des individus et les amener à perdre de vue la hiérarchie des valeurs qui doit présider à l’application de la Torah, et au sommet desquelles trône le respect de la vie humaine. Et nos Sages de conclure, ce que cet épisode révèle : « ce n’est pas que la sainteté du Temple était si précieuse pour cet homme, mais plutôt qu’il faisait bon marché de la vie humaine. »

Cette réflexion est d’une actualité frappante. Elle invite l’humanité en général, et les leaders de nos sociétés en particulier, à bien réfléchir à la valeur de la vie humaine, et à la nécessité de doter les sociétés modernes des moyens appropriés pour atteindre cet objectif (éducation et promotion des valeurs morales, protection efficace des individus, dispositifs préventifs et répressifs pertinents…).

La vocation des Cohanim, les prêtres, c’est-à-dire les leaders spirituels du peuple juif, ne saurait être mieux résumée que par la fameuse « bénédiction sacerdotale (des Cohanim) » qui stipule :

« Parle ainsi à Aharon et à ses fils : Voici comment vous bénirez les enfants d'Israël ; vous leur direz : "Que l'Éternel te bénisse et te protège ! Que l'Éternel fasse rayonner sa face sur toi et te soit bienveillant ! Que l'Éternel dirige son regard vers toi et t'accorde la paix !" »(Nombres 6, 23-26)

La bénédiction, la protection et la paix sont au cœur de ces versets.

Aussi, nous comprenons qu’un meurtre, fût-il involontaire, claque comme un démenti et un échec fondamental à la vocation du plus grand d’entre les Cohanim, le Cohen Gadol. Sa fonction consistait précisément à insuffler dans la société un flux de bénédictions, un esprit de protection mutuelle et de paix. Aussi, ne peut-il rester indifférent aux tragédies qui touchent sa génération, et ce sentiment de coresponsabilité participait de l’intensité avec laquelle il priait pour le bien et la paix de sa génération.

Prions l’Éternel pour que l’exemple de notre tradition puisse inspirer les leaders des sociétés modernes afin de redonner à la vie le caractère sacré qui n’aurait jamais dû la quitter.