« Rabbane Gamliel, fils de Rabbi Yéhouda Hanassi dit : "Il est bon de concilier l’étude de la Torah avec le Dérekh Erets, car leurs efforts associés occultent [la tentation de] la faute ; et toute étude de la Torah qui n’est pas accompagnée d’un travail est vouée à la perte et entraîne la faute."»

La Torah et les traits de caractère

Dans le texte précédent, nous avons commencé à traiter la question suivante : pourquoi, dans le domaine du Ben Adam La'havéro (les relations interpersonnelles), est-il nécessaire d'étudier la Torah afin d'être une personne morale ? Nous avons répondu que la Torah nous donne des valeurs objectives qui ancrent notre observance des Mitsvot, et nous empêche de nous justifier lorsque nous voulons donner libre cours à nos désirs. On pourrait peut-être argumenter que l'on accepte certes l'importance d'adhérer à des valeurs de Torah, mais on devrait se suffire de l'étude d'ouvrages de Hachkafa (pensée juive) et de Moussar (éthique juive), et qu'il n'est pas nécessaire d'étudier la Guémara afin d'acquérir de bons traits de caractère.

Réponse : le but de l'étude de la Torah n'est pas uniquement de connaître les lois, mais plutôt de façonner la manière de penser d'un individu pour l'accorder à la conception divine du monde. Par exemple, quelqu'un peut avoir son propre avis sur ce que devrait être la règle si un homme abîme la voiture de son prochain, ou si un individu a emprunté un objet à quelqu'un et qu'il s'est abîmé. En étudiant la Guémara qui évoque longuement de tels sujets, un individu commence à percevoir les choses de la même manière que Hachem. Cette étude ne contribue pas seulement à connaître la règle dans de tels cas, mais cela entraîne également l'individu à s'approprier certaines conduites qui sont à la racine de traits de caractère positifs.    

Cette idée est démontrée par le Rav Moché Feinstein. Il explique que le premier traité de la Guémara étudié par les jeunes garçons est généralement Baba Kama, qui traite des lois des préjudices, contrairement à d'autres traités à première vue plus concrets tels que Brakhot, qui traite des règles de la prière. Le Rav Feinstein explique que le but est d'imprégner les enfants dès leur plus jeune âge de sensibilité envers les biens d'autrui. Un individu qui étudie les lois des préjudices, et applique ce qu'il apprend à sa vie, en viendra à reconnaître qu'il a peut-être transgressé dans ces domaines. En outre, il développera une grande sensibilité aux biens des autres. En conséquence, l'étude de la Guémara n'est pas censée être un exercice académique sec, mais plutôt un façonnement de la vision de l'homme.

Dans cette veine, un grand érudit en Torah, dont la connaissance s'appuie uniquement sur l'étude de la Torah, est décrit comme ayant le Da'at Torah : cela signifie que tout son système de valeurs est conforme à celui de la Torah et des Sages, car il a été profondément imprégné de tous les enseignements de Torah, et non influencé par d'autres systèmes de valeurs. 

Le Sfat Emet démontre la centralité de cette idée grâce à une explication fascinante d'une partie de la Birkat Hatorah. [1] Nous demandons à D.ieu : « Véha'arev Na Hachem Elokénou Et Divré Toratékha…» On le traduit généralement par : « De grâce, Hachem, rends-nous la Torah agréable…» Le Sfat Emet remarque que la racine du terme Véha'arev est formée des lettres Ayin, Rèch et Beth, qui forment le mot Erev. Il peut signifier 'mélanger' ; par exemple le terme de 'soir' en hébreu se dit Erev : ceci indique que le soir est le moment où l'obscurité commence à se mêler à la lumière. Dans cette optique, le Sfat Emet explique que nous demandons aussi à Hachem de mêler la Torah que nous étudions à notre être, de sorte qu'elle ne demeure pas une connaissance superficielle.[2]

Nous pouvons poser cette question : il semble que de nombreuses personnes étudient la Guémara sans pour autant assimiler correctement ses valeurs. C'est un problème courant, dont la racine est qu'il peut y avoir une tendance à considérer l'étude de la Torah comme un pur exercice académique, qui n'a pas de ramifications pratiques dans notre vie. Dans cette veine, Rav Chlomo Wolbe évoque le cas de deux hommes étudiant en profondeur les lois sur la Tsédaka, mais lorsqu'un pauvre les aborde pour solliciter leur aide, ils l'ignorent sachant qu'ils sont si profondément impliqués dans leur étude ! S'ils avaient intériorisé ce qu'ils étudiaient, ils auraient appliqué ces leçons et lui auraient donné de l'argent[3].

C'est clairement une approche erronée, et il faut faire un effort de conscience pour s'assurer que notre étude ne demeure pas au niveau d'un exercice cérébral, mais elle doit affecter notre vision des choses. Mais il va de soi que sans être impliqué dans une étude profonde  de la Torah, il est impossible pour un homme de développer les valeurs nécessaires pour acquérir de bons traits de caractère, d'où la nécessité de concilier la Torah avec le Dérekh Erets.

 

[1] Ce sont les bénédictions que l'on récite une fois par jour avant d'étudier la Torah.

[2] Entendu du Rav Moché Weinberger chlita.

[3]Un homme n'est pas censé interrompre son étude de la Torah dans de nombreuses situations, mais si une Mitsva se présente et que personne d'autre ne peut l'accomplir, il devra s'arrêter pour la réaliser puis retourner à son étude.