« Rabban Yo’hanan ben Zakaï a reçu (l’enseignement) de Hillel et Chamaï. Il disait : "Si tu as appris beaucoup de Torah, n’en tire pas gloire, car c’est à cet effet que tu as été conçu." »

QUESTIONS :

1. Pourquoi le fait d'avoir été conçu à cet effet signifie que l'on peut s'en attribuer le mérite ?

2. Pourquoi la Michna se concentre-t-elle sur l'étude de la Torah, contrairement à d'autres Mitsvot ?

Dans le dernier texte, nous avons donné une explication standard de l'enseignement de Rabbi Yo'hanan ben Zakaï : on ne s'attribuera pas de mérite pour notre étude intensive de la Torah, car on a été créé à cet effet. Or, un certain nombre de commentateurs offrent une autre interprétation. Ils expliquent la Michna de la façon suivante : si un homme a étudié beaucoup la Torah, il ne devra pas garder ce bienfait pour lui-même, mais l'enseigner aux autres. Pourquoi ? Car il a été créé dans le but d'étudier et d'enseigner.[1]

Il existe de nombreuses sources mettant en valeur l'importance cruciale d'enseigner la Torah et l'idée qu'il s'agit de l'objectif principal de l'homme sur terre. Certains commentateurs le déduisent du précepte d'étudier la Torah : « Tu les inculqueras à tes enfants et tu t'en entretiendras, soit dans ta maison, soit en voyage, en te couchant et en te levant. »[2]

Le Rambam, en définissant la Mitsva élémentaire d'étude de la Torah, écrit que l'on est tenu d'enseigner d'abord à nos fils et petit-fils, puis il poursuit : « Pas uniquement ses fils et petit-fils, mais c'est une Mitsva d'enseigner à ses élèves, même s'ils ne sont pas ses enfants, comme il est dit : "Et vous enseignerez à vos enfants" et la tradition nous apprend que 'les enfants" se réfèrent aux élèves, qui se nomment "enfants".»[3]

Le Ktav Sofer développe l'idée que l'étude de la Torah est le but de l'enseignement de la Torah. Il relève que le verset de la Torah qui est la source de la Mitsva de Talmud Torah nous enseigne en réalité à étudier (Védibarta Bam), mais uniquement après nous avoir demandé d'enseigner d'abord (Véchinantam). L'ordre devrait être inversé : un homme doit-il étudier avant d'enseigner ?! Il répond que la Torah fait allusion à l'idée que notre étude doit être menée avec le but ultime d'enseigner aux autres.[4] Ceci explique pourquoi la source principale de la Mitsva de Talmud Torah est d'enseigner – car le but ultime de l'étude est de pouvoir la transmettre à travers l'enseignement. C'est également pourquoi le principe de Lilmod Al Manat Lélamèd (étudier afin d'enseigner) est une condition essentielle pour nous concentrer dans notre étude. De la même manière, le Méiri[5] et le Maharal[6] sont d'avis qu'une personne qui étudie, mais n'enseigne pas, ne peut pas atteindre la Chlémout (complétude), indiquant à nouveau que le but d'un homme dans la vie consiste à enseigner la Torah.[7]

Rav Ovadia Yossef cite un texte intéressant qui appuie également cette idée : il est dit dans Yov[8] : Adam Lé'amal Youlad : l'homme a été créé pour se donner de la peine. Nos Sages[9]affirment qu'il s'agit de se donner de la peine dans l'étude de la Torah. Le terme 'Amal s'écrit Lamèd, Ayin, Mèm, soit : Lilmod Al Manat Lélamèd.[10] Ceci nous enseigne également que l'homme a été créé pour enseigner la Torah.

L'Imré 'Haïm de Vijnitz[11] utilise cette idée pour expliquer une autre Guémara. La Guémara[12]relate qu'on enseigne toute la Torah au fœtus lorsqu'il se trouve dans le ventre, et à sa naissance, il oublie tout. L'Imré 'Haïm s'interroge : pourquoi le fœtus voudrait-il venir au monde s'il va oublier toute la Torah qu'il a apprise dans l'utérus et qu'il devra l'étudier à nouveau ? Il répond que la raison pour laquelle il naît tient au fait qu'il peut enseigner la Torah aux autres, car telle est notre obligation ultime par rapport à la Torah.

On peut aussi appliquer cette idée pour répondre à une autre question célèbre : lorsque Ya'acov Avinou se trouvait dans l'utérus, il donnait des coups de pied lorsque sa mère passait devant un Beth Midrach afin qu'il puisse étudier la Torah.[13] Les commentateurs se demandent pourquoi il voulait quitter le ventre pour étudier la Torah, alors qu'on lui enseignait tant de Torah dans l'utérus. Réponse possible : il ne se suffit pas d'étudier la Torah seul, il voulait se rendre à la maison d'étude afin de pouvoir partager son étude avec d'autres.[14]

Nous avons vu que le but de la vie n'est pas seulement d'étudier la Torah pour soi, mais de la transmettre aux autres, et c'est uniquement de cette manière qu'on réalise pleinement son potentiel.

 

[1] Midrach Chemouël, Anaf Ets Avot, écrit par Rav Ovadia Yossef. Voir aussi Midrach David, Lev Eliyahou, Parachat Tazria Métsora, pour une explication identique. Rav Zéev Leff chlita le rapporte également au nom du Rabbi de Klausenbourg.

[2] Vaet'hanan 6:6.

[3] Michné Torah, Hilkhot Déot 1:2.

[4] Cité dans Dvar Yérouchalayim 181.

[5] Méiri, Sanhédrin 24a, voir aussi Méiri, Avot, 4:6.

[6] Maharal : 'Hidouché Agadot 23b. Voir aussi Nétivot Hatorah, chap.8, pour une longue discussion à ce sujet.

[7] Il existe de nombreuses Guémarot qui critiquent sévèrement ceux qui étudient sans enseigner. Voir Roch Hachana 23a, Sanhédrin 99b.

[8] Yov 5:7.

[9] Sanhédrin 99b

[10] 'Hidouché Maharcha, ibid.

[11] Cité dans Darké Avot, vol. 1, p.268.

[12] Nida 30b.

[13] Béréchit Rabba 63:6.

[14] Entendu du Rav Biniyamin Rubin chlita.