Fils du vertueux ‘Hizkiyahou, Ménaché a été néanmoins un souverain très vil pendant les 22 premières années de son règne. Nos Sages s’expriment très sévèrement sur l’effet négatif qu’il a eu sur le peuple juif : la Guémara affirme que ses actes étaient aussi aigres que le vinaigre et le Maharcha explique qu’à l’instar du vinaigre, plus son règne dura, plus il empira.[1] Il façonna une image à quatre faces qu’il introduisit dans le Temple et déclara : « Toute personne venue des quatre coins de l’univers devra se prosterner devant cette image.[2] Il fauta également dans d’autres domaines : il créa une image portée par mille hommes qui périssaient chaque jour, en croulant sous son poids.[3] Et enfin, il fit assassiner son propre grand-père, l’illustre prophète Yéchayahou.[4]

Et pourtant, au bout de 22 ans, Ménaché se repentit. Nos Sages relatent avec éclat les événements ayant conduit à son repentir.[5] Les Assyriens capturèrent le Roi[6], le placèrent dans un chaudron en cuivre, et allumèrent un feu en-dessous. En proie à une immense détresse, il appela toutes les idoles du monde, et lorsqu’il vit que c’était inutile, il déclara : « Je me souviens que mon père avait l’habitude de me lire ce passage : "Dans ta détresse, quand tu auras essuyé tous ces malheurs… ton D.ieu ne te délaissera pas, Il ne consommera pas ta perte …[7].’ Il se dit : je vais L’appeler. S’Il me répond, très bien, et sinon, ils sont tous égaux. » Les anges de service fermèrent toutes les portes d’accès au Ciel afin que la prière de Ménaché ne s’élève pas devant Hachem, estimant que D.ieu ne pourrait accepter le repentir d’un homme ayant érigé une idole dans le Temple. Or, Hachem répondit que S’il n’acceptait pas le repentir de Ménaché, Il fermerait alors la porte à tous les fauteurs venus se repentir. Hachem fit alors une ouverture pour Ménaché sous le Kissé Hakavod (Trône de Gloire) et accepta sa prière, et il échappa ainsi aux Assyriens. Aussitôt Ménaché déclara : « Il y a une justice et il y a un Juge. »

Pour les 33 années suivantes de son règne, Ménaché a été considéré comme un roi vertueux[8]. Cet arrière-plan nous permet de comprendre mieux l’épisode qui a conduit à la naissance de Ménaché, qui a eu pour protagoniste son illustre père ‘Hizkiyahou. ‘Hizkiyahou a été frappé d’une terrible maladie et Yéchayahou lui annonça qu’il mourrait de cette maladie[9]. Lorsqu’il s’enquit de ce qu’il n’avait pas fait correctement, Yéchayahou lui répondit qu’il mourrait pour n’avoir pas accompli la Mitsva de procréation. ‘Hizkiyahou répondit qu’il avait évité d’avoir des enfants, car il avait vu par Roua’h Hakodech (prophétie) qu’il aurait des fils pervers[10]. Yéchayahou lui rétorqua : « Pourquoi t’immiscer dans les secrets du Tout-Puissant, Loué soit-Il ? » Tu dois faire ce qui t’est prescrit et D.ieu agira comme bon Lui semble. » En réponse, ‘Hizkiyahou accepta d’avoir des enfants et se proposa d’épouser la fille de Yéchayahou, dans l’espoir que deux parents vertueux engendreraient des enfants vertueux. Il pria ensuite pour être épargné et fut guéri de sa maladie.

Une question se pose : le langage de Yéchayahou semble inutilement long ; il aurait pu se contenter de prescrire à ‘Hizkiyahou d’avoir des enfants, puisqu’il s’agit d’une Mitsva, pourquoi a-t-il ajouté cette phrase : « Pourquoi t’immiscer dans les secrets du Tout-Puissant, Loué soit-Il ? » Le message est que Hachem avait une raison secrète pour désirer la naissance de Ménaché, naissance qui serait utile à l’humanité, en dépit des terribles torts qu’il réaliserait au début de son règne. Une réponse possible est que Hachem voulait que Ménaché naisse, souhaitant que Ménaché incarne l’exemple du repentir, même à partir des fautes les plus odieuses. Bien que ‘Hizkiyahou perçût la première partie de la vie de Ménaché avec Roua’h Hakodech, il ne put saisir la grandeur à laquelle Ménaché accéderait à titre de Ba’al Téchouva, puisque ‘Hizkiyahou était un juste parfait. Or, nos Sages affirment qu’un parfait Tsadik ne peut se tenir à la place d’un Ba’al Téchouva, et dans ce sens, ‘Hizkiyahou ne pouvait concevoir comment un homme aussi pervers que Ménaché pourrait totalement se repentir. En conséquence, Yéchayahou estime que le repentir de Ménaché avait été dissimulé à ‘Hizkiyahou afin qu’il évite de faire des calculs sur sa manière de procéder, mais qu’il respecte plutôt la Mitsva d’avoir des enfants. [11]

Cette approche nous enseigne des leçons fondamentales. ‘Hizkiyahou a perçu seulement les aspects négatifs de la vie de Ménaché, mais n’a pas pu réaliser qu’aux yeux de Hachem, la leçon de la Téchouva surpasse tous les terribles torts spirituels de Ménaché dans la première partie de son règne. Tout d’abord, cela nous rappelle que ce que nous percevons comme « mauvais » a un but dans la Création, et nous devons fidèlement accepter le plan et les Mitsvot de Hachem. De plus, l’exemple de Ménaché nous renseigne sur l’immense pouvoir de la Téchouva ; Hachem souhaitait que Ménaché naisse et passe par tout le processus le conduisant à la Téchouva, afin d’enseigner aux pires fauteurs qu’il existe toujours une possibilité de se repentir.

 

[1] Chabbath, 113b, Maharcha ibid.

[2] Dévarim Rabba, 2:20.

[3] Sanhédrin, 103b, Rachi, ibid.

[4] Yévamot,49b.

[5] Yérouchalmi, Sanhédrin, 10:9.

[6] Divré Hayamim b, Chapitre 33.

[7] Dévarim, 4:30-31.

[8] Bien qu’il fût incapable de rectifier tous les torts qu’il avait causés pendant la première partie de son règne. En outre, certains commentateurs sont d’avis qu’il se repentit uniquement de son culte des idoles, mais non de ses autres péchés comme le meurtre. En conséquence, d’après une opinion dans la Michna (Sanhédrin 90a), en dépit de sa Téchouva, il est cité parmi les Rois qui n’ont pas leur part dans le monde futur.

[9] Mélakhim II, 20:11.

[10] ‘Hizkiyahou a engendré deux fils, Ménaché et Ravchaké. La Guémara nous rapporte que ‘Hizkiyahou portait ses fils sur ses épaules, et tous deux tinrent des propos immoraux ; il les jeta alors au sol et en conséquence, Ravchaké mourut, mais Ménaché survécut.

[11] Voir Yéarot Dvach, ‘Hélek 2, Droush 14.