« Celles-ci sont les paroles que Moché a déclarées à tout Israël, de l’autre côté du Yarden, au [sujet du] désert, au [sujet de] la plaine, face à [la mer] des Joncs, entre Paran et Tofel, et Lavan, et ’Hatsérot et Di-Zahav. » (Dévarim 1,1)

Rachi explique, sur les mots « entre Paran » : concernant ce qu’ils ont fait dans le désert de Paran avec les explorateurs. Sur les mots « et ’Hatsérot » : vous auriez dû apprendre de ce que J’ai fait à Myriam à ’Hatsérot, à cause du Lachon Hara' ; or, vous avez parlé contre Hachem.

Par ailleurs (Bamidbar 13,1), Rachi demande pourquoi le passage des explorateurs est juxtaposé à celui de la médisance de Myriam. C’est parce qu’elle fut punie sur les propos émis sur son frère et que les explorateurs, bien qu’ils aient vu cela, n’en ont pas tiré leçon.

Dès les premiers mots du Séfer Dévarim, Moché Rabbénou fait allusion à un certain nombre de fautes que le peuple juif a commises pendant son séjour dans le désert. Il mentionne plusieurs endroits qui y font référence. Paran fait allusion au péché des Méraglim parce que les explorateurs avaient été envoyés depuis cet endroit. ’Hatsérot fait allusion à un autre aspect de la faute des explorateurs ; ils n’ont pas tiré leçon de la punition reçue par Myriam qui avait médit et se sont rendus coupables de Lachon Hara'.

Le Maharal[1] demande pourquoi il faut deux références à la même faute – Paran et ’Hatsérot ? Il répond qu’il y avait en fait deux fautes distinctes commises par les Méraglim. Il y eut tout d’abord la faute même de médisance et d’autre part, celle de ne pas avoir pris leçon de la sanction reçue par Myriam. Nous en déduisons que le fait de ne pas apprendre de l’expérience d’une tierce personne est un péché en soi.

Rachi parle de cela au début de la Parachat Chéla’h, citant le Midrach Tan’houma. Les explorateurs sont doublement coupables, parce qu’ils ont vu de leurs propres yeux les conséquences du Lachon Hara', mais n’ont pas appris de cela et ne l’ont pas appliqué à leur propre situation quand il s’est agi de dire du mal d’Erets Israël. Une question se pose : nous savons que les explorateurs étaient de grands érudits – ils connaissaient certainement les lois relatives au Lachon Hara', donc même sans avoir besoin de l’expérience de Myriam, ils ne disaient pas de Lachon Hara' sans raison valable. D’ailleurs, d’après plusieurs commentateurs, ils avaient de bonnes raisons pour justifier leurs dires,[2] pour penser que leurs propos étaient « Létoéleth ». Alors pourquoi estimer que le fait d’avoir vu ce qui était arrivé à Myriam aurait dû leur faire prendre conscience de la faute, si leur discours était autorisé, voire nécessaire ?

Il semblerait que la punition de Myriam ait dû leur faire prendre conscience que même quand on croit parler Létoéleth, il y a de grands risques de se tromper ou d’être aveuglé par notre parti pris. Comme le précise le Ramban, Myriam avait agi avec des motivations totalement pures, n’avait aucun ressentiment à l’égard de son frère et Moché n’a pas été offensé par ses paroles. Pourtant, elle fut sévèrement punie. Les explorateurs auraient dû en déduire[3] que même si l’on se croit en droit de médire, il faut effectuer une introspection profonde et être vraiment certain de ne pas risquer de transgresser la faute du Lachon Hara'.

On peut poser une autre question : même en tenant compte de cet enseignement quant à la prudence qu’il faut manifester en disant du Lachon Hara' Létoéleth, les deux cas semblent incomparables. Myriam a parlé contre Moché Rabbénou, tandis que les espions ont parlé contre la Terre – n’aurait-il pas été logique d’estimer qu’étant donné qu’ils ne visaient pas un être humain, le cas de Myriam ne ressemblait pas au leur ?

Rachi[4] répond à cette question. Il cite le Sifri et affirme qu’en fait, ils ont parlé contre Hachem – leur discours ne visait pas seulement la Terre d’Israël, mais était dirigé contre D.ieu ; en effet, ils critiquaient le Pays qu’Il appréciait tant et qu’Il avait désigné pour le peuple juif. Donc, si déjà Myriam avait été sévèrement punie pour avoir médit d’un être humain, ils auraient dû faire d’autant plus attention à ne pas parler contre Hachem.

Outre la prudence à manifester quand on parle de quelqu’un « Létoéleth », nous apprenons l’importance d’apprendre des erreurs d’autrui. C’est une facette fondamentale du Moussar. Certes, nous ne voyons pas les choses aussi clairement qu’à l’époque des Juifs dans le désert, mais il est assez fréquent de constater que les mauvaises actions des gens ont des conséquences négatives. Il s’agit parfois de relations conjugales, de l’éducation des enfants ou de la vie en général. Par exemple, si l’on voit un ami trébucher et se relâcher en termes de pratique religieuse à cause de l’utilisation excessive (voire de la dépendance) de la technologie moderne, il incombe de prendre cela à cœur, d’en prendre de la graine et d’envisager des changements, si nécessaires.

L’histoire des Méraglim nous enseigne l’importance d’apprendre des erreurs d’autrui afin d’améliorer notre propre service divin. Puissions-nous mériter d’intérioriser cette leçon.

 

[1] Gour Arié, Dévarim 1,1.

[2] Ils savaient que Moché Rabbénou mourrait quand ils entreraient dans le pays, et ils voulaient retarder sa mort ; autre raison rapportée : ils ne voulaient pas renoncer au mode de vie surnaturel qu’ils connaissaient dans le désert.

[3] Rambam Hilkhot Toumat Tsoraat, Chapitre 16, Halakha 10

[4] Cette réponse est basée sur le Mizra’hi al Hatorah et le Zikhron Binyamin Zéev sur ce verset.