Un des épisodes les plus marquants de la Paracha de la semaine est probablement celui de la fameuse « lutte » entre Ya'akov Avinou et l’ange d’'Essav.
Rappelons le contexte, après 22 ans d’absence, Ya'akov Avinou reçoit l’ordre d’Hachem de retourner dans la maison familiale. Il se met en chemin, et s’apprête donc à retrouver son frère 'Essav dont il ne sait pas dans quelles dispositions d’esprit il se trouve. Rapidement, ses émissaires lui apprennent que 'Essav se dirige vers lui avec quatre cents hommes, et Ya'akov en conçoit alors une grande crainte (Genèse 32.8).
Aussi, nos maîtres nous enseignent que Ya'akov se prépare à cette rencontre de trois manières : par la prière "Délivre-moi, je Te prie, de la main de mon frère" (Gen. 32:12), la recherche de la paix (il envoie des cadeaux nombreux à son frère), mais aussi le combat (il sépare sa famille en différents camps).
C’est alors qu’un épisode mystérieux et symbolique se déroule durant la nuit. Ya'akov, « resté seul », lutte avec un « inconnu » jusqu'à l'aube. Qui est cet « inconnu » ? Notre tradition nous livre différentes versions : « Ich / un homme » selon la Torah, « un ange » selon le prohète Hochéa (12.4), l’ange tutélaire d’'Essav selon nos Sages, et selon Ya'akov lui-même « un être divin », comme il le dira « J'ai vu Elokim / un "être divin" face-à-face, et ma vie a été épargnée » (Gen. 32:31).
Suite à cet épisode, le nom d’Israël sera accolé à Ya'akov, portant la signification suivante « celui qui lutte devant (ou pour) D.ieu et avec les hommes et qui l'emporte » (Genèse 32:29). Cette vocation n’a jamais cessé de se démontrer au fil de l’histoire.
Le Rav Jonathan Sacks rapporte un éclairage supplémentaire à ces interprétations à partir du commentaire du Rachbam (commentateur médiéval, petit-fils de Rachi). Ce maître propose de mettre ce passage en perspective avec d’autres épisodes bibliques où l’on voit des personnalités de premier plan, choisies par l’Éternel, hésiter à accepter la mission qui leur est destinée. Ainsi en est-il de Moché Rabbénou qui hésite à accepter la mission confiée par l’Éternel, prétextant qu’il n’était pas bon orateur, ou encore l’épisode du prophète Jonas - Yona - qui cherche au départ à fuir la mission d’aller à Ninive pour mettre en garde la population contre une destruction imminente. Ici aussi, Ya'akov semble vouloir fuir la confrontation avec 'Essav, il cherche à l’esquiver, car il craint les conséquences qu’elle pourrait avoir pour eux. Selon le Rachbam, les grands hommes ressentent aussi une certaine forme de peur, celle d’échouer dans la mission qui leur est confiée. Plus qu’une peur pour eux-mêmes, ils redoutent avant tout de ne pas être à la hauteur de la responsabilité qui leur est confiée, et de ne pas parvenir à accomplir la volonté divine.
Aux exemples que nous avons mentionnés, nous pouvons ajouter le prophète Isaïe (6 :5) qui s’exclamera « Je suis un homme aux lèvres impures… » (comment pourrais-je être digne de ces visions prophétiques… ?), le prophète Jérémie qui évoque son jeune âge : « Je ne sais pas parler, car je suis un enfant » (Jérémie 1:6).
À travers ces passages, notre tradition nous livre un double message. D’une part, elle indique que la peur est normale, c’est un sentiment humain, naturel, qu’il ne faut pas rejeter ou nier, mais qui ne doit pas nous paralyser. D’autre part, elle nous rappelle que la véritable bravoure consiste à agir malgré la peur que l’on ressent. Et ainsi, les grandes figures bibliques, les patriarches, Moché Rabbénou, les prophètes acquièrent leur force de caractère en affrontant la peur, en luttant contre elle, à l’image de Ya'akov. Ils n’ont pas choisi ce destin qui les étreint et les propulse sur le devant de l’histoire, mais ils doivent l’assumer.
Et le Rav J. Sacks de rappeler cette fameuse tirade de Shaekespeare dans La nuit des rois / Twelfth Night : « N'aie pas peur de la grandeur : certains naissent grands, certains atteignent la grandeur, et d'autres se voient imposer la grandeur. » ("Be not afraid of greatness. Some are born great, some achieve greatness, and others have greatness thrust upon them.")
C’est ainsi que les combats que l’homme doit mener, chacun à son échelle, durant son existence, n’ont pas vocation à le mettre en échec, ou à le punir, mais ils lui rappellent qu’il est appelé à dépasser ses peurs et ses angoisses afin d'accomplir de grandes choses, et d’actualiser le potentiel qui est en lui.
C’est ainsi que le nom « Israël » impose la grandeur à chacun des enfants de Ya'akov. Il leur rappelle leur vocation de « lutter » dans ce monde contre toutes les tentations qui peuvent les éloigner de l’accomplissement de leur vocation : être une lumière pour les nations, et porter le message divin sur terre. Cela suppose parfois, souvent, de « lutter » intérieurement pour accepter de vivre en contradiction avec l’esprit du temps (matérialisme, consumérisme, relativisme des valeurs, etc.), et rester fidèle à sa foi et à son héritage millénaire.
À travers cette lutte originelle de Ya'akov, l’Éternel a voulu nous rappeler les ressources intérieures insoupçonnées dont nous disposons, et que, si parfois nous doutons de nous-mêmes, le Maître du monde, Lui, ne doute jamais de Ses enfants.
Puissions-nous, avec l’aide d’Hachem, faire de cet enseignement une source de force et d’espérance pour dépasser tous les obstacles qui peuvent se dresser devant nous, et accomplir le grand dessein que l’Éternel a conçu pour chacun de nous.





