La Paracha de cette semaine est importante à bien des égards, elle introduit notamment les origines de la grande divergence qui a traversé l’histoire entre la vocation spirituelle du peuple juif et celle des nations. Elle nous décrit pour la première fois la vie d’un couple, Its'hak et Rivka, que l’on suit depuis sa rencontre jusqu’à l’éducation de ses enfants, mettant en lumière à la fois leurs points de convergence mais aussi leurs divergences.

La Torah, comme nous l’avons compris, ne cherche pas à maquiller la réalité pour présenter des personnages parfaits. Non, ce qui intéresse la Torah, c’est de se pencher sur l’humanité dans toute sa complexité, faite de parts d’ombre et de lumière, et de montrer, comment dans un tel contexte, l’homme peut rester vertueux et servir son Créateur aussi bien que possible. C’est ainsi que la vie des patriarches et des matriarches est abordée dans toute sa complexité.

Parmi les questions qui peuvent intriguer, le Rav J. Sacks rapporte une analyse du Netsiv. Le Rav Naftali Zvi Yehuda Berlin note ainsi dans son ouvrage Ha’amek Davar qu’Its'hak et Rivka semblent avoir un problème de communication. En effet, il est probable que Rivka n’ait jamais fait part à Its'hak de l’oracle qu’elle avait eu lors de sa grossesse au sujet des destins des deux frères. Ce silence expliquerait la préférence apparente de Its'hak pour Essav. De même, par la suite, Rivka ne parle pas avec Its'hak quand il promet de bénir son fils aîné, mais elle doit avoir recours à un stratagème pour dissimuler l’identité de Ya'akov et lui permettre d’obtenir la bénédiction par « ruse ».

Ces silences, ces stratégies de contournement, d’évitement ne cessent d’étonner les lecteurs de la Torah et de donner un sentiment de malaise. Ce qui semble manquer dans ce couple pourtant éminemment vertueux, c’est une communication franche et constructive au sujet des divergences d’opinions et des difficultés.

Comme chacun le sait, le langage est le propre de l’homme, il est à la racine de la vie. Lorsque l’homme a été créé, la Torah nous dit que D.ieu a insufflé en lui un souffle de vie. C’est alors que l’homme est devenu un « vivant » et le Targoum Onkelos (la traduction araméenne de la Torah) de préciser « un être parlant ». La vie et le langage sont ainsi, dès l’origine, intimement liés.

C’est par la parole que l’homme se lie à son prochain, qu’il peut lui faire savoir son amour, son amitié, sa sollicitude. C’est encore par la parole que l’homme peut soutenir son prochain, le rassurer, mais aussi lui faire des remontrances utiles, constructives. Nos Sages font ainsi observer que, généralement, le principe talmudique « œil pour œil, dent pour dent » impose d’indemniser le dommage fait à un organe par le paiement de la valeur monétaire de cet organe. Ce principe est valable pour tous les organes sauf pour l’oreille. Celui qui endommage l’oreille de son prochain doit l’indemniser de la valeur de tout son corps, de toute sa vie. Une des raisons nous disent nos Sages est que dorénavant la personne blessée ne pourra plus entendre les conseils et remontrances de ses proches, et elle ne pourra plus s’améliorer, elle ne pourra plus sauver sa vie grâce à l’échange constructif avec autrui.

Un livre récent de psychologie positive écrit par Marshall Rosenberg « Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) » a rencontré un grand succès, mettant en lumière les vertus d’une communication intelligente et non violente pour dénouer ou éviter des conflits latents, et susciter des relations humaines apaisées grâce à l’écoute et à l’empathie. On sait combien la tradition juive accorde d’importance à ce principe, illustrée par le fameux proverbe du Roi Salomon « La vie et la mort sont au pouvoir de la langue ».

La Torah exhorte ainsi chacun d’entre nous à devenir des orfèvres de la langue et de la communication, à la fois pour témoigner de la bienveillance, de la gratitude et de l’empathie aux personnes qui nous entourent, mais aussi pour savoir faire face aux situations plus difficiles de la vie.

C’est précisément dans les situations de conflits et de tensions que la parole, si elle est maîtrisée, peut permettre de trouver des solutions positives et vertueuses.

« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » disait Albert Camus.

Et de fait, de nombreuses situations de la vie courante peuvent illustrer cette idée. Face à l’erreur d’un enfant comme d’un collaborateur, le pire est de réduire tout son être à son erreur, et de dégrader l’image qu’il a de lui-même, en lui disant « Tu es vraiment… », « Tu fais « toujours »… ». Cette confusion ajoute effectivement au « malheur du monde ». Alors qu’il suffirait de lui dire « Tu dois te renforcer, progresser, te former dans tel domaine ». Ou encore, « reprocher son irascibilité « permanente » » à une personne qui ne fait que traverser une période difficile, qui a rencontré une déception récente, ou bien qui a simplement peu dormi. L’homme a souvent vite fait d’essentialiser des défauts qui ne sont, en réalité, que conjoncturels, liés à une situation provisoire.

Nul ne peut prétendre qu’il s’agit d’une disposition d’esprit facile à acquérir, elle impose de travailler la patience, l’empathie, l’amour d’autrui, et de lutter contre une envie sourde mais puissante d’« en découdre » avec certaines personnes (bien souvent que l’on aime). Toutefois, le bénéfice que l’on tire d’un tel travail n’a pas de prix, il permet de déjouer de grands drames, D.ieu nous en préserve, et de créer autour de soi un climat de confiance et de bienveillance, propice à l’épanouissement et au bonheur.

Puisse l’Éternel nous permettre de devenir ces orfèvres de la langue, et nous permettre ainsi de hâter la délivrance finale !