La Paracha de cette semaine met en lumière le destin d’une famille hors du commun, celle de Noa’h. Ce dernier qui s’était distingué dans sa génération pour sa droiture morale, fut choisi par D.ieu pour être sauvé du déluge avec sa femme et ses enfants, et contribuer ainsi à la renaissance de l’humanité.

Les épisodes relatés dans la Paracha de cette semaine nous donnent l’opportunité de revenir sur certains concepts fondamentaux en matière d’éducation d’une part et notamment sur le regard que les parents peuvent encourager leurs enfants à porter sur le monde.

La génération de Noa’h est caractérisée par une dégradation de la moralité entre les hommes, et notamment par le « vol » qui était devenu monnaie courante. Ce mépris d’autrui, cette violence généralisée, et cette déliquescence des liens sociaux vont sceller le destin de cette génération.

Aussi, il est intéressant de méditer sur le conseil que l’Éternel adresse à Noa’h : bâtir une arche et s’y réfugier avec sa famille. Cette injonction doit s’appréhender dans toute sa complexité pour ne pas être caricaturée. Il ne s’agit pas de s’enfermer dans une tour d’ivoire en étant étranger au destin collectif. Bien au contraire, de nombreux commentateurs dissertent pour savoir si Noa'h a déployé suffisamment d’efforts pour essayer de sauver sa génération, et la longue durée de construction de l’arche avait vocation à réveiller les contemporains et leur laisser le temps de se repentir.

Toutefois, Noa’h avait également l’impérieuse nécessité de protéger sa famille de l’influence délétère de leur environnement. Et cette protection imposait de placer un cordon sanitaire, de ménager un espace « sacré » préservé de l’atmosphère extérieure négative. C’est précisément le symbole de l'arche dans laquelle Noa’h et sa famille vont trouver refuge.

Ce huis-clos imposé à une famille par le déluge pendant près d’une année prend une résonance particulière pour notre génération à différents égards. En effet, premièrement, nous sortons de différentes périodes de confinement, durant lesquelles chaque famille s’est retrouvée embarquée dans une forme « d’arche ». Cette triste situation nous a amenés bien souvent à percevoir à travers une nouvelle lumière les personnes qui nous entourent, à mieux les comprendre en partageant leur quotidien au fil de longues journées qui se succédaient. La vie dans une « arche » impose une grande solidarité, beaucoup de patience, d’écoute, notamment des parents à l’égard des enfants. Elle est bien souvent une école du « 'Hessed » (de la bonté et la générosité), comme ce fut le cas de Noa’h et de sa famille qui durent, en plus de leurs relations intra-familiales, s’occuper au quotidien de tous les animaux.

Par ailleurs, au-delà de la crise sanitaire, notre génération est confrontée à de nombreuses tentations qui sont autant de menaces pour nos valeurs morales : accès à tous types de contenus à travers les écrans, triomphe du consumérisme et du matérialisme, dissolution des liens familiaux traditionnels… Face à ces évolutions regrettables des modes vie modernes, chacun d’entre nous est invité à créer sa propre "arche" pour se préserver et protéger sa famille des influences délétères du monde environnant. Il ne s’agit pas de se retrancher du monde, mais d’orienter et de guider sa vie de manière vertueuse tout en continuant à témoigner du « 'Hessed » des « actes de bonté » en dehors de sa famille.

Par ailleurs, cette Paracha de Noa'h nous encourage à renforcer en nous certaines qualités fondamentales de la foi en D.ieu. Lorsque Noa'h et ses enfants quittent l’arche, ils découvrent, à nouveau, émerveillés, le spectacle fabuleux de la création. Ils contemplent chaque détail de l’œuvre d’Hachem : les arbres, les fleurs, les mers, le ciel, et bien sûr l’harmonie apaisée qui s’en dégage. Ils conçoivent alors un puissant sentiment de gratitude vis-à-vis de l’Éternel, car ils comprennent que toute cette création est destinée à l’homme et à son bonheur. Aussi Noah’ offre-t-il immédiatement des sacrifices à Hachem en signe de gratitude.

Dans son ouvrage consacré au bonheur, "The fragrance of life", le Rav Avigdor Miller encourage chacun d’entre nous à garder toujours en tête deux principes fondamentaux. Le premier consiste à ancrer dans nos cœurs que toute la création n’est, bien sûr, pas apparue spontanément mais a été créée par Hachem jusque dans ses moindres détails. Le deuxième principe consiste à être convaincu que le monde est un cadeau d’Hachem destiné à donner du plaisir aux hommes.

Fort de ces deux principes, l’homme est susceptible de ressentir une gratitude profonde envers le Maître du monde qui a créé un monde porteur de tant de merveilles. Il est vrai que, par habitude, nous ne prêtons parfois plus suffisamment attention aux spectacles splendides que nous offre le monde. Mais prenons un peu de recul, qui ne s’est jamais émerveillé devant un coucher de soleil ? Devant une vue à « couper le souffle » ? Ou tout simplement devant une « fleur » ?

Un grand décisionnaire du vingtième siècle, Le 'Hazon Ich, confiait qu’il lui était difficile d’admirer trop longtemps une fleur. En effet, son spectacle faisait naître en son cœur une infinie et bouleversante gratitude envers leur Créateur, et lui rappelait avec force Son infinie bonté.

De même, le Rav Don Segal, un grand maître du vingtième siècle, rappelait que, lorsqu’il était jeune, il avait été réprimandé par un de ses maîtres pour ne pas avoir prêté suffisamment attention aux fleurs qui poussaient près de leur chemin, et ne pas en avoir puisé une opportunité de mesurer la bonté d’Hachem à cette occasion.

Et que dire du 'Hafets 'Haïm, qui s’était isolé un moment dans la forêt près de Radin un jour de Roch Hachana afin de ressentir concrètement l’amour et la crainte d’Hachem. « Sans observer les merveilles dont Hachem est l’auteur, il est impossible de ressentir de telles émotions » considérait-il.

Et, comme le note le Rav Miller, il ne suffit pas de dire « Merci » pour les belles roses, mais il faut prendre le temps d’observer les détails de chaque rose : leur jolie couleur, la finesse de leur pétales, la symétrie de leur agencement ; et, de même, pour les iris, les pivoines… Comment rester insensible à ces merveilles ! Pour ne parler que des fleurs ! Que dire des bébés, des enfants…

Il est vrai que nos yeux et notre sensibilité sont émoussés par la force de l’habitude qui banalise l’extraordinaire. Mais pour Noa'h et sa famille qui avaient été enfermés dans une arche durant une année, craignant que le monde ne fût totalement détruit et ne retrouver qu’une terre de désolation, le spectacle de la nature était extraordinaire, chaque détail leur apparaissait avec force, ils étaient transportés par cette vision et cette perception de l’infinie bonté du Créateur présente dans la nature.

C’est ainsi que Noa'h décida d’élever un autel et d’offrir des sacrifices au Maître du monde. Ces derniers ont été agréés par Hachem, et notre texte nous dit « L'Éternel sentit la délectable odeur, et il dit en Son cœur : "Désormais, Je ne maudirai plus la terre à cause de l'homme"» (Béréchit 8,21).

Une fois de plus, nous constatons que le texte de la Torah a recours à des anthropomorphismes pour désigner l’Éternel, en lui attribuant des attitudes ou qualités propres aux hommes, tels que « sentir », « dire dans son cœur »… Il s’agit là d’un phénomène récurrent dans la Torah et notamment dans le livre de Béréchit et qui donne lieu à de nombreuses interprétations chez nos Sages.

Mentionnons le sens donné à ces métaphores par le Rav Elie Munk : « Le danger de percevoir la Divinité sous une forme corporelle est bien moindre que celui de réduire, par voie de spéculations philosophiques, l’être suprême à une notion abstraite, transcendante et métaphysique » (La voix de la Torah).

Et de fait, l’homme est menacé par l’écueil suivant : mettre D.ieu à distance, considérer que notre relation à l’Éternel est lointaine, qu’elle ne relève pas de la sensibilité mais simplement d’une observance à un code de lois. Or, il n’en est rien. Comme nous le disent nos Sages, « D.ieu recherche le cœur de l’homme », et Il souhaite établir avec chacun d’entre nous une relation sensible, pleine, riche, étroite, et non être appréhendé uniquement à travers des spéculations philosophiques abstraites.

Aussi, la Torah a recours à dessein à des anthropomorphismes qui évoquent D.ieu à travers des attributs que les hommes peuvent comprendre : la satisfaction, la désapprobation, la colère, la joie, l’amour, la patience… L’objectif de ces métaphores est de permettre à l’homme de développer une relation émotionnelle avec Hachem, comme nous le ferions avec un être qui nous est cher.

Nous savons combien nous pouvons exprimer notre reconnaissance avec insistance et sincérité à tous ceux qui nous offrent des cadeaux ou sont bienveillants à notre égard. Nous devons précisément agir (au moins) de la même façon avec l’Éternel qui nous inonde chaque seconde de « cadeaux » gratuits et désintéressés, et éveiller nos enfants à cette perception.

Cet exercice d’éveil aux « bontés d’Hachem » qui jalonnent notre existence, associée à l’expression d’une sincère gratitude, est de nature à changer la vie, accroître notre bonheur quotidien, et ouvrir de nouvelles perspectives dans notre relation à l’Éternel !