Sugihara. Chiune Sugihara. En 1939, il arrive à Kovna en Lituanie pour occuper les fonctions de consul japonais. 

A l’époque, la Lituanie est indépendante. Certes, elle est menacée d'invasion par son grand voisin soviétique et convoitée par l'Allemagne, mais elle est encore libre pour l'instant.

De nombreux juifs y ont trouvé refuge de toute l'Europe de l'Est et principalement de la Pologne. Ils espèrent émigrer de Kovna vers une terre d'asile.

Les élèves de la Yéchiva de Mir qui s'y trouvent entrent en contact avec le nouveau consul, et essayent d'obtenir de lui les précieux visas de transit qui leur permettront de quitter l'Europe en guerre et de traverser l'U.R.S.S pour une terre d'accueil.

Sugihara, installé dans la bâtisse du consulat, voit de ses fenêtres le drame qui se joue. Il est touché. Une foule d'hommes et de femmes se présentent à ses portes, en détresse. La tragédie est palpable.

Sugihara ne détourne pas la tête. Il pourrait fermer les rideaux et s'asseoir confortablement dans son siège de consul en prétextant, pour sa bonne conscience (comme tant d'autres l'ont fait), que ce qui se passe dehors ne le concerne pas et ne concerne pas son gouvernement.

Mais Sugihara est un homme digne de ce nom. Il fait fi de ces petites considérations, du douillet salaire qu'il perçoit en tant que fonctionnaire d'état, et des conditions privilégiées dues à son poste.

Il envoie un télégramme au gouvernement japonais en demandant l'autorisation de délivrer les visas, mais il reçoit une réponse négative. Il s'entête, envoie un second puis un troisième télégramme. La réponse du gouvernement japonais ne tarde pas :

« Le Ministère de l'Intérieur s'oppose au passage de nombreux étrangers au Japon, pour des raisons de sécurité. Il n'est pas question de délivrer des visas ».

Pourtant, Sugihara va passer outre et désobéir. Il a trouvé un pays qui peut accueillir, sans visa d'entrée, les réfugiés juifs. Il s'agit de l'île de Curaçao, dans les Antilles néerlandaises. C'est le consul des Pays-Bas, Goodwill, qui lui a signalé cette possibilité.

Sugihara commence à délivrer des visas de transit le 31 juillet 1940. Il va lui-même l'annoncer aux réfugiés qui attendent aux grilles. Commencent alors des journées folles. Sugihara travaille comme un forcené, durant plus de 10 heures par jour, à établir les visas. Par manque de formulaires, dans un si petit consulat, il doit tout écrire à la main. Un employé l'aide en mettant les tampons.

Le 2 août, le Ministère des Affaires étrangères japonais lui enjoint de quitter le consulat. Les autorités soviétiques le somment d'abandonner les lieux et de mettre fin à ses fonctions de consul. Il fait la sourde oreille pendant une vingtaine de jours. Il délivre des visas jusqu'au 28 août 1940.

Puis, il reçoit un dernier télégramme du Japon : "Fermez le consulat de Kovna et partez sur-le-champ à Berlin".

Il quitte le consulat pour l'hôtel Métropolis. Des juifs l'y suivent et il continue à délivrer des visas jusqu'au 31 août.

Les soviétiques lui enjoignent de partir. Du train, par les fenêtres du wagon, il jette encore ces précieux laissez-passer. Quand le train s'ébranle, il dit : « Pardonnez-moi, je ne peux plus écrire. Je prie pour votre sécurité ».

Au total, il aura délivré plus de 2 150 visas familiaux, sauvant sans doute près de 10 000 vies (les visas donnés aux adultes incluaient les enfants de la même famille). Les juifs ayant obtenu ces visas ont pu traverser l'U.R.S.S. par le Transsibérien, embarquer pour le Japon, puis gagner d'autres pays.

Mais Sugihara est alors poussé à démissionner en raison de sa désobéissance aux ordres qui lui avaient été donnés. A plus de 50 ans, il recommence une seconde vie dans les magasins d'approvisionnement des troupes américaines où il bénéficie de son expérience de l'étranger, puis dans une entreprise de commerce avec l'U.R.S.S.


Juste des nations

Ce n'est qu'en août 1968 que l'un des rescapés de Kovna retrouve sa trace au Japon.

En 1985, Sugihara est élevé au rang de « Juste des Nations ». Il est alors trop fatigué pour recevoir le prix. Sa femme et son fils font alors le déplacement. Sugihara Chiune meurt le 31 juillet 1986.

Son attitude, ainsi que celle de tous les Justes des Nations, sont une grande accusation envers tous ceux qui auraient pu aider à enrayer un tant soit peu la machine nazie mais qui se sont abstenus.

Aujourd'hui, plus de 70 ans après ces évènements, le dernier fils de Chiune Sugihara, Noboki, est invité en Israël. A Natanya, on inaugure une rue au nom de son défunt père.

Mais Noboki, avant de se rendre à Natanya, est convié par la Yéchiva de Mir à Jérusalem (la plus grande et peut-être la plus prestigieuse institution talmudique en Israël et dans le monde entier). Il reçoit alors une visite tout à fait particulière : les Rabbanim de la Yéchiva et les élèves lui réservent un accueil des plus chaleureux.

Le Rav Ezra’hi, le Roch Yéchiva, lui sert de guide. Il lui fait visiter les salles d'études et le cœur principal de l'institution, où des centaines d'étudiants sont penchés sur leur Guémara et s’adonnent à une étude enflammée.

Plus tard, une fois la visite terminée, ils se rendent dans la demeure du défunt Roch Yéchiva, le Rav Nathan Tsvi Finkel, de mémoire bénie.

Noboki prend alors la parole avec une grande émotion, devant une assemblée de Rabbanim. Dans un hébreu parfait qu’il a appris en Israël, il s’exprime ainsi :

« Mon voyage en Israël valait le coup simplement pour voir cette maison d'étude et cescentaines d'étudiants qui sont là en partie grâce aux actions de mon père, qui a agi de sa propre initiative, guidé par sa générosité, son humanité et son sens des responsabilités ».

Le Rav Karlibach le remercie au nom de la Yéchiva et exprime toute sa gratitude à son père qui a agi de façon extraordinaire et qui a osé, malgré son rang et ses fonctions, aller à contre-courant et tendre sa main au peuple juif.

Nos Sages nous apprennent : « Hachem apporte les mérites par le biais de personnes méritantes… »

Sugihara fut l'un d'entre eux. Placé par la Providence divine à un endroit et une époque-clé de l'histoire, il a répondu présent. Par son intermédiaire, le Créateur a fait s'accomplir le sauvetage le plus miraculeux des Yéchivot d'Europe de l'Est.

Comment dit-on Providence divine en japonais ?

Que son souvenir soit béni.

Traduction : Jocelyne Scemama