Alors que s’achève la période des ‘Haguim, des fêtes de Tichri, il est spécialement enrichissant d’observer, et donc d’analyser, la signification du rythme du temps, selon la Torah, rythme qui accompagne la vie du Juif. On sait que le temps a une double signification, selon qu’il s'applique à l’individu créé, ou selon qu’il s’écoule objectivement. Cette double perspective est exprimée dans le livre de l’Eclésiaste, qui explique d’une part qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil – c’est-à-dire que le Temps est objectif et ne se relie jamais à quoi que ce soit, et d’autre part, qu’il y a un temps pour chaque action, c’est-à-dire qu’il est subjectif, lié à l’activité de l’individu. Chacun ressent cela dans sa propre existence : le temps se répète – c’est le retour PERMANENT, chaque jour qui se répète, chaque semaine, chaque mois, chaque année : répétition d’une part. Par contre, au niveau personnel, c’est le contraire : le temps PROGRESSE, puisque l’homme naît, grandit, devient adulte, vieux puis meurt. Cette double perspective sur le temps – répétition d’une part, progression d’autre part – s’inscrit évidemment dans la Torah, et il est essentiel, pour celui qui cherche la proximité avec le Tout-Puissant, d’appréhender cette situation. Il ne s’agit pas de la vivre de façon passive et d’accepter l’évidence sans la comprendre, mais de donner une signification spirituelle à cette création de l’Eternel, et donc de découvrir la synthèse entre « répétition » et « progression ».

Les Grecs, dans leur mythologie, avaient illustré cette double approche par une image significative mais cruelle, et donc toute opposée à une lecture juive, nécessairement positive. Selon l’hellénisme, la divinité du temps, Chronos, mettait, régulièrement, des enfants au monde – c’est la répétition d’une part, mais ensuite, il dévorait ses enfants, après leur naissance, exprimant par là la difficulté de donner un SENS au temps : progresser mais vers quoi ? Dévorer ses enfants, c’était là l’image de l’impossibilité pour l’homme de découvrir une orientation à la vie, à l’existence. La Torah présente, très clairement, une opposition à cette situation : impasse pour celui qui ne sait pas lire, lumière pour qui veut ouvrir les yeux.

La Torah donne une réponse à cette contradiction apparente entre la répétition et le progrès, en offrant un rythme significatif à chaque étape de l’existence : au niveau du quotidien, au niveau de la semaine, au niveau du mois, au niveau de l’année, et aussi bien au niveau de l’Histoire universelle. Au quotidien, d’abord, 3 prières accompagnant les moments de la journée : bénédictions sur les premiers mouvements dès l’éveil, lecture du « Chema » au coucher et au lever. Pour la semaine, c’est le rythme des 6 jours – accompagnés par un psaume spécial chaque jour – et du Chabbath, reflet de la présence divine, qui est une pause, spirituelle, dans la course du temps, avec tous les travaux créateurs interdits. Au niveau du mois, c’est le Roch ‘Hodech, où l’on célèbre le renouvellement du cycle lunaire. Quant au niveau annuel, les ‘Haguim – terme exprimant le « cycle », du mot ‘Hag, qui traduit une idée giratoire – elles expriment cette idée dans trois domaines : le domaine historique, d’abord, puisqu’elles évoquent des événements de l’Histoire générale et de l’histoire d’Israël en particulier – création du monde, sortie d’Egypte, révélation du Sinaï, et résidence dans des tentes dans le désert ; dans un deuxième temps, les 3 fêtes de Pessa’h, de Chavouoth et de Soukoth, traduisent les 3 saisons de la vie agricole, semailles, moisson et récolte, liées au rythme du cycle solaire. Le niveau religieux de ces fêtes s’ajoute aussi : naissance physique, promulgation de la Torah et protection spirituelle du peuple. Il faut ajouter ici, bien sûr, les 3 principes de la foi d’Israël qui jalonnent ces fêtes : Création, Révélation et Rédemption, principes qui s’inscrivent donc dans le temps, et lui donnent son sens.

Au niveau de la vie personnelle de chaque individu, le rythme de l’existence est également jalonné par des étapes spirituelles : naissance avec circoncision, majorité religieuse à 12 ans (pour les filles), à 13 ans (pour les garçons), et bien évidemment le mariage qui est une construction sacrée du foyer juif.

Le vieux, dans cette perspective, n’est pas importun, en trop. Au contraire, il symbolise la sagesse, l’expérience, selon le terme hébraïque Zaken (vieux) :  Kana ‘Hokhma qui est celui qui a acquis de la sagesse. Les Sages d’Israël, ce sont les vieux. 

Selon cette lecture, rien n’est plus grave que de perdre du temps. Le Temps est précieux, et le perdre est irréparable. Cette présentation vivante du Temps donne donc une dimension essentielle à la vie. Il ne s’agit nullement d’une répétition fastidieuse d’événements successifs. Chaque instant est une pierre qui doit construire le temps. Les auteurs du Moussar disaient : « Si l’on prie chaque jour de la même façon, cela signifie que l’on prie moins bien aujourd’hui qu’hier ». Chaque jour doit amener un progrès spirituel, individuel, dans le Temps objectif, et c’est de cette façon que chaque fidèle peut, à chaque moment de son existence – dans les solennités comme dans sa vie quotidienne – construire un édifice qui servira de Evèn Pina – de pierre centrale dans l’Edifice que nous attendons bientôt avec la Rédemption.