« Même un bateau navigant entre la Gaule et l’Espagne [le bout du monde connu à l’époque des Sages], il le fait pour les besoins d’Israël ».

On peut proposer bien des explications à cet enseignement du Talmud, quelque peu provocateur. Mais un premier sens s’impose : l’événement apparemment le plus insignifiant qui pourrait se dérouler au bout du monde, concerne Israël. Ne serait-ce que pour nous interpeller, nous ouvrir les portes d’un... océan
de réflexion sur les devoirs de l’homme en ce monde-ci, sa grandeur et ses petitesses.

Le Talmud parle d’un navire, mais là, deux vaisseaux qui se perdent et se rejoignent tragiquement, dans les profondeurs de la mer, à plus de cent ans de distance...!
Quoi de plus fascinant, et d’indécent, que cette fascination persistante d’un si grand nombre de gens pour le Titanic, ce symbole terrible de la vanité humaine ?
Quelles puissantes motivations, quelles obscures pulsions, quel incroyable acharnement, quelle somme d’intelligence créatrice et, tout simplement, quelles sommes colossales investies, pour plonger encore et encore à sa découverte, afin d’éprouver, au risque bien conscient de sa vie, un étrange frisson à contempler, l’espace de quelques instants, ses restes pitoyables par un étroit hublot ?
L’astronaute français Thomas Pesquet confiait, il y a quelques jours, avec une franchise déconcertante, qu’il fallait une bonne dose d’égoïsme pour faire le métier qu’il a choisi : afin d’ être le héros national, non plus au fond des océans mais dans les hauteurs spatiales, surtout ne pas tenir compte de l’angoisse des parents et de l’épouse, accepter et faire accepter à sa conjointe une vie de couple intermittente, renoncer à la paternité, garder les yeux loin des liens humains trop humains, rester braqué sur les planètes lointaines et les étoiles glacées... Égoïsme « sacré ». Pour la gloire.
On se prend alors à rêver : et si tant de puissance et de motivation, tant d’intelligence et de créativité, tant de pouvoir financier étaient investis pour venir en aide et soulager la misère du monde, œuvrer au perfectionnement du monde des hommes, réaliser ce que l’on nomme le Tikoun Ha’olam, la réparation du monde, que son Créateur nous a confiée ?

Et à voir l’intensité extraordinaire de tous ces Juifs qui, en Israël et dans le monde entier, se dévouent au perfectionnement de l’homme et de son univers ; qui plongent dans les vraies profondeurs, et se hissent vers les authentiques sommets, dans le dévouement à l’étude de la Torah et à la pratique de ses Mitsvot ; qui, de mille manières, mettent en œuvre une masse inouïe de générosité gratuite ;
comment alors ne pas jeter un regard apitoyé sur la misère humaine pathétique des naufragés de l’OceanGate, et reprendre les bénédictions de Bil’am, « Qu’elles sont belles tes tentes, Ya’akov, tes résidences, Israël »?