La Paracha commence par le récit de l’arrivée du peuple juif en Égypte et du début du terrible esclavage. Nous connaissons tous des myriades de détails sur cet épisode de notre histoire, mais les causes spirituelles de l’esclavage ne sont pas aussi claires qu’elles n’y paraissent.[1

La Guémara[2] explique que l’esclavage fut une punition pour une faille dans le comportement d’Avraham Avinou.  D’après l’opinion de Chmouel[3], quand Hachem promit à Avraham que ses descendants hériteraient d’Erets Israël, ce dernier demanda : « Béma Eda Ki Irachéna - Comment saurais-je que j’en hériterai ? » Avraham demandait apparemment des preuves à Hachem. Le Ran écrit qu’Avraham n’a pas pleinement fait confiance à la parole d’Hachem. Le Maharal ajoute qu’il montra une petite faille dans sa Émouna. En guise de punition pour ce manque, les descendants d’Avraham durent subir l’asservissement égyptien.

Cependant, plusieurs autres sources donnent une cause totalement différente de cet esclavage. Le Zohar ’Hadach[4] enseigne que ce fut une expiation pour la vente de Yossef. Les commentateurs trouvent un certain nombre de liens entre les deux événements. Étant donné que les frères ont jeté Yossef dans le puits, leurs descendants furent jetés dans le fleuve. Yossef devint esclave et, par conséquent, les Juifs aussi devinrent esclaves. Les frères ne manifestèrent aucune miséricorde et, mesure pour mesure, Pharaon manqua de miséricorde vis-à-vis de leurs descendants. Enfin, les frères voulurent initialement tuer Yossef et, en guise de punition, bon nombre de leurs descendants périrent en Égypte.

Le Zohar fait un autre lien. Les Juifs furent esclaves en Égypte pendant 210 ans. Or, Yossef resta en Égypte pendant vingt-deux ans, avant de se dévoiler à sa famille. Sachant qu’il y eut dix frères impliqués dans la vente, si l’on multiplie vingt-deux (ans) par dix (frères), on obtient deux-cent-vingt. Il y eut deux-cent-dix ans d’esclavage et dix autres années durant lesquelles les dix frères souffrirent personnellement en mourant en Égypte.

Plusieurs questions peuvent être soulevées, si l’on adopte l’idée que l’esclavage servit d’expiation pour la vente de Yossef. Premièrement, tous les Juifs subirent l’esclavage, sauf la tribu de Lévi. Or, ce dernier fut activement impliqué dans la vente. Nos Sages affirment d’ailleurs que Chim'on et Lévi furent les leaders dans la tentative de nuire à Yossef. Pourtant Lévi ne souffrit pas de l’asservissement. Pourquoi ? Deuxièmement, le seul qui n’eut aucune implication dans la vente fut Binyamin, mais ses descendants endurèrent le même sort que tous les autres Chévatim.[5] Qui plus est, Yossef lui-même, bien qu’il fût peut-être coupable d’avoir contrarié ses frères, n’avait certainement pas besoin d’expiation pour son implication dans la vente, puisqu’il en était la victime !

Le Torat ’Hessed cite le ’Hida qui répond à ces questions : « En vérité, la cause de l’esclavage fut la faille d’Avraham lors du Brit Ben Habétarim. Mais, Hachem, dans Son infinie bonté, inclut également une autre faute (celle de la vente de Yossef) qui put être expiée par l’esclavage ! » Ainsi, l’exil servit à expier la vente de Yossef, et donc les dix tribus furent esclaves pendant 210 ans… Mais cela n’explique pas pourquoi les tribus de Yossef et de Binyamin eurent besoin de souffrir comme les autres.

En réalité, tout le peuple dut endurer l’exil égyptien, à la suite de la requête d’Avraham lors du Brit Ben Habétarim. Mais Hachem combina cela avec la punition que la plupart du peuple juif devait endurer pour son rôle dans la vente de Yossef.

Il reste à comprendre pourquoi le peuple juif dut subir un esclavage aussi douloureux à cause de la demande d’Avraham Avinou. En fait, Avraham ne commit aucune faute et la réponse d’Hachem n’est pas une punition. Avraham ne doutait pas du fait qu’Hachem allait tenir Sa parole. Au contraire, il se demandait comment ses descendants allaient mériter d’atteindre le sublime niveau requis pour recevoir la Torah et hériter de la Terre. Hachem répondit qu’ils allaient devoir passer par une période de servitude, pour intérioriser l’idée de soumission et pour ensuite accepter de se soumettre à Hachem.[6] Avraham était bien conscient des failles des générations qui lui précédèrent ; il savait que la nature humaine refuse la soumission à autrui. Il se demandait donc comment le peuple juif allait accepter d’être le serviteur de D.ieu. Hachem lui répondit que la période d’exil en Égypte servirait de préparation à l’idée de soumission et que par la suite, les Juifs seraient capables d’accepter leur statut de 'Avadim d’Hachem.

Cela explique aussi pourquoi la tribu de Lévi n’eut pas besoin d’être esclave. Ils furent les seuls à rester dévoués à Hachem pendant tout l’exil ; ils n’avaient donc pas besoin d’être asservis par Pharaon pour apprendre cette leçon.

Pour résumer, l’esclavage égyptien ne fut pas une simple sanction à la suite de la requête d’Avraham Avinou ; il y avait une nécessité d’enseigner au peuple juif le concept de 'Eved Hachem. En outre, il servit d’expiation à la vente de Yossef. Cette période charnière nous rappelle la nécessité d’être constamment conscients de notre soumission envers Hachem et de rectifier la haine qui entraîna la vente de Yossef.

 

[1] Voir Torat ’Hessed, Chémot, p. 15 à 27.

[2] Nédarim, 32b.

[3] Voir la Guémara pour deux autres opinions sur la faute d’Avraham.

[4] Zohar ’Hadach, Vayéchev, rapporté dans Torat ’Hessed, Chémot, p.18.

[5] Voir Torat ’Hessed, ibid., p.18-19 où d’autres questions sont soulevées.

[6] Même si les gens adoraient de faux dieux, ce n’était pas une véritable manifestation de soumission, mais plutôt une sorte d’accord commercial ; donner aux dieux ce qu’ils voulaient et recevoir une récompense en retour.