Après la première plaie, le sang, Moché Rabbénou avertit Pharaon que s’il continue à rejetter sa demande, de laisser le peuple juif quitter l’Égypte, une nouvelle plaie frappera le pays. « Le fleuve regorgera de grenouilles, elles en sortiront pour entrer dans ta demeure, dans ta chambre à coucher et sur ton lit ; dans les maisons de tes serviteurs, celles de ton peuple, dans tes fours et tes pétrins… »[1]

À la suite du refus de Pharaon, les grenouilles envahirent effectivement l’Égypte, entrèrent même dans les fours des égyptiens.

La guemara raconte que plusieurs siècles plus tard, les grenouilles qui entrèrent dans les fours donnèrent leçon à trois illustres personnages : ‘Hanania, Michaël et Azaria. Ceux-ci vivaient à Babylone, sous le règne de Nabuchodonosor. Ce dernier décréta que tout le monde devait se prosterner devant une statue à son effigie. Celui qui refusait d’obéir devait être jeté au feu. La Loi stipule qu’il faut se laisser mourir plutôt que de pratiquer l’idolâtrie.

Cependant, les commentateurs expliquent que le fait de s’incliner devant cette sculpture ne constituait pas véritablement de l’idolâtrie.[2]

En pratique, il était donc permis de se prosterner devant cette statue, et la majeure partie du peuple juif le fit. Toutefois, ‘Hanania, Michaël et Azaria prirent exemple des grenouilles qui entrèrent dans les fours égyptiens ; ils étaient, eux aussi, prêts à être jetés au feu. Ils se dirent que les grenouilles qui n’avaient pas reçu l’ordre de faire du Kidouch Hachem (sanctification du Nom de D.) voulurent entrer dans des fours chauds dans le but de sanctifier le Nom d’Hachem. Ces Juifs, des êtres humains soumis à la mitsva de Kidouch Hachem, devaient à plus forte raison être prêts à se laisser jeter dans une fournaise.[3]

Le séfer Darké Moussar soulève une question intéressante sur cette guemara. Le raisonnement des trois hommes était basé sur le fait que les grenouilles n’avaient pas reçu l’ordre de mourir en sanctifiant le Nom d’Hachem, tandis qu’eux avaient l’obligation de le faire. Or, quand Moché annonça à Pharaon que les grenouilles allaient entrer dans les fours, cela constituait en soi un commandement adressé aux grenouilles ; ces dernières étaient alors tenues d’entrer dans les fours. Dans ce cas, comment ‘Hanania, Michaël et Azaria ont-ils pu tirer la conclusion qu’ils devaient se laisser jeter au feu ?!

Il explique que lorsqu’Hachem ordonna aux grenouilles d’entrer dans les fours, cela n’était pas restrictif — les chambres, les lits et les pétrins faisaient partie des endroits qu’elles pouvaient envahir. Ainsi, chaque grenouille avait le choix – elle pouvait opter pour un lit confortable ou pour un récipient destiné à pétrir. Mais, plusieurs grenouilles choisirent de risquer leurs vies pour s’assurer que le commandement d’Hachem soit respecté. Étant donné que chacune, prise individuellement, n’avait pas l’obligation de se faire brûler et que plusieurs le firent malgré tout, ‘Hanania, Michaël et Azaria déduisirent qu’ils devaient, d’autant plus, être prêts à périr dans les flammes.[4]

Le séfer Darké Moussar poursuit en précisant que nous apprenons une leçon fondamentale des courageuses grenouilles qui entrèrent dans les fours. Elles auraient pu confier cette charge à leurs égales, mais écartèrent cette option et, par conséquent, contribuèrent à une plus grande sanctification du Nom de D.

De même, écrit-il, quand une personne a l’opportunité d’accomplir une mitsva, elle ne doit pas chercher à fuir la responsabilité qui lui incombe, en espérant que quelqu’un d’autre entreprendra de réaliser cette mitsva. Elle doit plutôt la considérer comme une chance en or de sanctifier le Nom d’Hachem.

Malheureusement, on a souvent tendance à voir de telles opportunités comme des fardeaux. Cette attitude est opposée à la conception de la Thora. Celle-ci prône l’esprit de responsabilité. La michna dans Pirké Avot nous enjoint : « Dans un endroit où il n’y a pas d’hommes, efforce-toi d’en être un. » Ceci s’applique autant dans les situations courantes, quotidiennes, que celles moins communes, mais plus marquantes.

Par exemple, on peut formuler une demande d’aide générale pour une certaine cause. Il est alors louable de s’en charger sans attendre que les autres le fassent. Sur une plus grande échelle, le monde juif est, de nos jours, confronté à divers problèmes majeurs[5] – au lieu d’attendre que d’autres personnes endossent la responsabilité de résoudre ces problèmes, il nous faut voir s’il n’y a pas quelque chose que l’on peut faire par soi-même.

Certains étudiants américains vivant en Israël découvrirent un jour que nombre de leurs compatriotes souffraient d’une pauvreté extrême, mais étaient trop gênés d’en faire part à leur entourage. Plutôt que de simplement les prendre en pitié, quelques hommes entreprirent de créer un nouvel organisme de charité (appelé « Got Chicken »), ayant pour objectif de fournir les produits de première nécessité aux indigents.

Nous avons développé l’importance d’assumer certaines charges et de ne pas attendre que les autres agissent. Pour se motiver davantage, la suite du récit de la plaie des grenouilles montre ce qu’il advint de celles qui entrèrent dans les fours. Une fois la plaie terminée, la Thora annonce : « Les grenouilles des maisons, des cours et des champs moururent. »[6] Le Baal Hatourim et le Daat Zekénim notent que l’on ne mentionne pas la mort des grenouilles qui étaient dans les fours. Ils expliquent qu’elles furent épargnées, en récompense de leur sacrifice de soi. Nous en déduisons que le fait d’entreprendre un projet ou un effort pour accomplir la volonté d’Hachem n’est source que de bien.

Puissions-nous tous mériter d’assumer des responsabilités, sans les déléguer, et d’en récolter les fruits.



[1] Parachat Vaéra, Chemot, 7:28.

[2] Voir Tosfot, Pessa’him, 53b, s.v Ma raou.

[3] Pessa’him, 53b.

[4] Darké Moussar, Vaéra, p. 105-106.

[5] Par exemple, le taux élevé de mariages mixtes, les nombreux enfants qui s’éloignent du chemin de la Thora, les difficultés à trouver un bon chidoukh (proposition de mariage), ainsi que de grosses instabilités financières.

[6] Parachat Vaéra, Chemot, 8:9