Dans la Paracha de cette semaine, Devarim, on lit la réprimande[1] faite par Moché Rabbénou au peuple juif. Tout d’abord, il mentionne des noms d’endroits qui n’apparaissent nulle part ailleurs dans la Thora[2]. ’Hazal affirment que ces noms font en réalité référence aux lieux dans lesquels les Juifs avaient fauté. Cependant, Moché n’explicite pas leurs erreurs, il ne fait qu’une allusion à ces transgressions. Rachi précise qu’il agit ainsi « pour l’honneur d’Israël »[3] — bien que le peuple juif dût être réprimandé, le fait de détailler leurs Avérot aurait été une trop grande atteinte à leur Kavod. Rav ’Haïm Chmoulévitz zatsal tire une leçon importante à propos de la Tokha’ha, d’après le commentaire de Rachi. Il écrit : « Nous apprenons d’ici à quel point il nous incombe de nous soucier de l’honneur de la personne à qui nous adressons le reproche. »[4]

Ainsi, l’élément clé qui permet de savoir si une réprimande aura un effet positif ou négatif est la motivation de celui qui la formule. Moché entretint son amour et sa préoccupation pour le peuple juif, même quand il leur parla très sévèrement. Il semble évident que c’est cet amour qui entraîna son reproche – c’était par pure gentillesse. Tout en les critiquant, il fut capable de rester sensible à leur honneur.

La Guémara atteste qu’il est extrêmement difficile de réprimander efficacement quelqu’un[5]. Cela ne nous dispense toutefois pas de la Mitsva, et nous pouvons parfois prodiguer un grand bienfait en montrant l’attitude correcte à celui qui écoutera le conseil. Moché nous enseigne que celui qui admoneste doit se soucier de l’autre et compatir avec lui, s’efforcer de comprendre son passé et se demander comment l’influencer positivement, de la meilleure façon possible. Par contre, un reproche peut être très pernicieux quand il provient de la colère ou d’un manque de souci pour le bien-être spirituel d’autrui, qui risque de se traduire par des attentes irréalistes de sa part.

L’histoire suivante, racontée par Rav David Kaplan chlita illustre cette idée.

Les parents de Déborah lui inculquèrent le respect des Rabbanim, mais lui apprirent aussi à avoir un œil critique envers les Juifs orthodoxes. Quand elle grandit, elle décida de mener sa propre expérience et pria dans la Yéchiva de Poniewicz durant les Jours Redoutables, entre Roch Hachana et Yom Kippour. Elle revint pour Sim’hat Torah. Tout allait bien jusqu’à ce que l’une des filles présentes à l’office lui dise à voix haute et devant d’autres personnes : « Tu ne peux venir prier ici sans collants ! » Déborah sortit comme un ouragan. Si tel était le comportement des orthodoxes, elle n’était pas intéressée à suivre leur voie.

Son respect des rabbins la poussa tout de même à aller parler à Rav Chakh zatsal. Quand elle arriva chez lui, une longue file d’attente se dressait devant elle, composée uniquement d’hommes. Cependant, dès que celui qui consultait le Rav sortit, on invita Déborah à entrer, car les femmes avaient la priorité. Agréablement surprise, elle entra et raconta son expérience choquante au Gadol Hador.

« C’est une grave faute, lui dit le Rav. C’était peut-être involontaire, mais cette jeune fille doit tout de même te demander des excuses. » Puis, il lui parla longuement de l’importance d’être sensible aux sentiments d’autrui. Elle décida alors de devenir plus pratiquante. Elle est aujourd’hui mariée à un Roch Yéchiva et ses fils et gendres sont des Talmidé ’Hakhamim.[6]

Cette histoire nous montre combien une parole négative peut être préjudiciable et combien des paroles bienveillantes peuvent être bénéfiques.

Comment cette fille qui parla durement à Déborah en arriva-t-elle à commettre une si grave faute alors que son but était certainement noble – elle souhaitait préserver l’observance des Mitsvot ? En réalité, elle ne chercha pas à comprendre Déborah et son vécu, ni son niveau de pratique des Mitsvot. Par conséquent, non seulement son reproche ne parvint pas à faire évoluer son interlocutrice, mail il faillit l’éloigner du judaïsme.

Par ailleurs, une Tokha’ha stimulée par un souci altruiste nous incitera à choisir précautionneusement nos dires, avant de vouloir corriger le comportement des autres. Rav Yonathan Eibeshitz zatsal écrit que la meilleure façon d’accomplir la Mitsva d’aimer son prochain comme soi-même est de se préoccuper de son bien-être spirituel, ce que l’on manifeste lorsque l’on réprimande convenablement[7].

Cette leçon est très pertinente à l’approche de Ticha Béav. ’Hazal nous informent que le deuxième Temple fut détruit à cause de la haine gratuite. Rav Eibeshitz précise que la Sinat ’Hinam s’exprimait par l’abstention de se réprimander mutuellement. De ce fait, de nombreux groupes d’Apikorsim[8] réussirent à se développer pour ensuite influencer le peuple juif. D’après cette explication, la haine ne se limite pas à une hostilité ouverte – elle inclue également l’apathie, qui était à l’époque marquée et généralisée, preuve d’une grande faille dans le Ben Adam La’havéro (relation entre un homme et son prochain).

’Hazal affirment que chaque génération qui ne voit pas la reconstruction du Beth Hamikdach est considérée comme ayant vu sa destruction. Nous en déduisons que nous sommes encore affectés par cette Sinat ’Hinam ; nous ne nous soucions pas suffisamment de nos frères juifs et nous n’encourageons pas l’amélioration de leur Avodat Hachem.

Bien que la critique puisse être très nuisible quand elle est mal faite, si elle provient d’une réelle Ahava (amour) envers l’autre, elle peut certainement être d’une grande aide pour notre entourage.



[1] Le mot « Tokha’ha » est généralement traduit par « réprimande », bien que sa définition plus exacte soit « clarification ».

[2] Dévarim, 1:1.

[3] Rachi, ibid.

[4] Si’hot Moussar ; Parachat Dévarim, Maamar 88, p. 375.

[5] Erkhin, 16 b.

[6] Major Impact, Kaplan, p. 93-94

[7] Yaarot Dvach, Drouch 10, rapporté dans Bina Vadaat, p. 345.

[8] Comme les Tsédokim et les Baïtoussim.