La Torah nous ordonne d’aimer le converti, et elle nous en donne la raison — c’est parce que nous étions des étrangers (guérim) en Égypte. Plusieurs questions peuvent être soulevées à propos de cette Mitsva. Tout d’abord, pourquoi le fait que nous ayons été étrangers en Égypte impliquerait-il que nous devrions aimer le converti ? Deuxièmement, la seule personne que nous avons l’ordre d’aimer est le converti — il existe bien évidemment une Mitsva générale d’aimer chaque Juif[1], mais personne d’autre n’est désigné, destiné à un amour particulier, pas même ses parents — pourquoi en est-il ainsi ? En effet, le seul autre « Être » qu’il nous est commandé d’aimer est Hachem. Et pour terminer ; qu’implique cette Mitsva — des actions, une attitude, un sentiment ou bien autre chose ?

La réponse à la première question nous aidera à élucider les autres. Le Ramban explique que nous devrions être en mesure de comprendre les Guérim, parce que nous avons fait cette expérience et nous avons été Guérim (étrangers) dans un pays étranger. Selon le Ramban, cet amour à ressentir est une sorte de compassion envers les personnes qui ont subi cette expérience très éprouvante.   Ainsi, le converti doit être aimé plus que toute autre personne, parce qu’il vit une situation unique — aucun Juif, depuis la sortie d’Égypte, ne revivra cette situation, quelle que soit la souffrance qu’il traverse.

Le Rambam a une approche différente : il écrit qu’il nous incombe d’aimer les convertis, parce qu’ils sont venus s’abriter sous les ailes de la Providence[2]. Le Séfer Ha’hinoukh parle explicitement de la grandeur de l’individu qui fait du ’Hessed à l’égard de « celui qui a quitté son peuple et sa famille pour s’unir à une nation par amour pour elle, par choix de vérité et par haine du mensonge. »[3] D’après le Rambam et le Séfer Ha’hinoukh, l’amour réservé aux convertis ne résulte pas d’un sentiment de compassion pour leur situation difficile, mais d’une prise de conscience de leur vertu, étant donné qu’ils ont quitté leur mode de vie antérieure et ont rejoint le peuple juif pour servir Hachem.

Comment faire coïncider leur explication à la raison donnée par la Torah pour l’amour dû aux Guérim — à savoir que nous étions esclaves en Égypte ? On pourrait dire que de la même façon que l’on sait à quel point il est difficile d’être étranger dans une terre étrangère, ces Guérim se trouvent dans une situation semblable, puisqu’ils ont quitté leur famille et leur société pour rejoindre une nation très différente.

Quelle que soit la façon de lire le verset, l’approche du Rambam et du Séfer Ha’hinoukh est très instructive — la Torah ne nous enjoint pas d’aimer nos parents, malgré tout ce qu’ils font pour nous, mais il nous est imposé d’aimer les Guérim. Cela rappelle un principe développé par le Rav Dessler, appelé « Nékoudat Habé’hira » — le point [de départ] du libre arbitre. Rav Dessler enseigne que l’individu est jugé en fonction des efforts fournis pour s’élever spirituellement, en fonction de ses antécédents, de ses talents, etc.  Par conséquent, une personne née dans une famille de meurtriers, mais qui refuse de tuer malgré l’énorme pression de sa famille, peut — même s’il reste voleur, par exemple — être à un niveau plus élevé qu’un Talmid ’Hakham né dans une famille de vertueux personnages. En effet, il aura grimpé plus haut que l’érudit, sur son échelle personnelle. 

Un non-Juif né dans un environnement sans rapport avec la Torah et les Mitsvot, qui découvre la vérité et opère des changements radicaux dans sa vie, souvent au détriment de son lien avec sa famille et ses amis, a probablement gravi plus d’échelons que n’importe qui d’autre.

Comme tous les commandements, celui d’aimer le converti n’est pas à exécuter aveuglément. Il est destiné à améliorer notre comportement, notre façon d’être. Le Séfer Ha’hinoukh souligne que l’amour du converti nous inculque les qualités de ’Hessed et de compassion, mais aussi (et cela suivrait également l’avis du Rambam), cela nous montre la force à manifester quand il s’agit de tout abandonner en vertu de la Vérité. C’est bien sûr le cas des Juifs qui ont grandi dans des milieux non pratiquants, mais cela peut s’appliquer à tout un chacun.

Nous passons tous par des moments de grande pression — de la part de nos proches — pour agir d’une manière qui contredirait une Mitsva ou l’esprit de la Torah. Or, il est bien connu que la pression exercée par l’entourage est très forte. Par exemple, si un groupe de personnes dit du Lachon Hara, il est très difficile d’aller à contre-courant et de s’exprimer ou même de partir soudainement. Le converti nous enseigne que le fait de faire bande à part peut être extrêmement valeureux, au point que selon certains Richonim, cela expliquerait la présence d’un commandement spécial visant à aimer cette personne.

 

 

[1] Le Rambam en parle dans une réponse à un converti (Chout Harambam, Siman 369). 

[2] Hilkhot Déot 6,4.

[3] Séfer Ha’hinoukh, Mitsva 431.