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Pourquoi les Avrékhim ne travaillent pas ?

Rédigé le Mardi 26 Mai 2015
La question de Gabriel Aron-Dor S.

Chalom Rav,

D'après la Guémara (traité Brakhot 35b), il est nécessaire de travailler, même s'il faut aussi étudier la Torah.

Ma question est la suivante : comment les personnes qui étudient uniquement la Torah peuvent-elles faire le contraire de ce qu'écrit cette Guémara ?

Merci.

La réponse de Rav Avraham GARCIA
Rav Avraham GARCIA
7870 réponses

Chalom,

C’est une excellente question. Je vais profiter de l'occasion pour tenter d'éclaircir ce sujet qui dérange autant de personnes.

Tout d’abord, je vais ajouter de l'eau à votre moulin. La Guémara [traité Brakhot page 8a] affirme que celui qui jouit du labeur de ses mains est plus grand que celui qui a la crainte du Ciel.

Cela dit, comme vous pouvez le comprendre, il est impensable qu'un plombier ou un éboueur soit plus grand que Baba Salé par exemple… Je n'ai rien contre les plombiers ou les éboueurs, je dis cela simplement pour que vous compreniez ma réponse.

Ce type d’affirmation de la Guémara n’est jamais à prendre au pied de la lettre. En effet, le Maharcha explique que dans ce cas, la Guémara parle d’un Tsadik qui étudie jour et nuit et qui refuse qu'Hachem le récompense dans ce monde, car il préfère mériter le fruit de son labeur au monde futur [voir l'exemple donné là-bas ainsi qu’une autre interprétation].

Selon le Maharal [Nétiv Haocher chap. 1], il s’agit ici d'une personne qui se satisfait de ce qu'elle possède.

Il est vrai que l’on retrouve une multitude de passages du Talmud où il semblerait qu'il soit nécessaire de travailler [Midrach Béréchit Rabba, Parachat Vayétsé chap. 74-12 : le travail est plus apprécié que le mérite des patriarches - Yérouchalmi, Péa chap. 1-1 : sur le verset : « Et tu choisiras la vie », il s’agit d’un métier - Sanhédrin page 29a : A la porte du travailleur, il n'y aura pas de famine – Guitin page 67b : Rav Chéchat travaillait dans les poutres et disait que le travail était quelque chose de grand].

Enfin, le Rambam [Hilkhot Talmoud Torah chap. 3-10] critique sévèrement celui qui étudie en s’abstenant de travailler, en s'appuyant sur certaines citations de nos Sages. Cependant, le Rambam était le seul Rav de cet avis, aucune autre autorité rabbinique, même à son époque, ne partageait son opinion, comme le stipule le Rambam lui-même dans son Pirouch Hamichnayot Pirké Avot chap. 4-5.

Aussi, l'un des plus grands décisionnaires du dernier siècle, le ‘Hafets Haïm, dans son Biour Halakha [306-6], explique longuement que l'idéal est d'étudier plutôt que de travailler. Il conclut par les mots suivants : « Si une Torah sans travail mène au néant, à plus forte raison un travail sans Torah car dans la majorité des cas, ceux qui travaillent oublient ou délaissent l'étude ; très peu de personnes sont en mesure de persister et de fixer un moment pour l’étude de la Torah ».

Qui est plus grand que le ‘Hafets Haïm pour nous guider à ce propos ?

Il nous faut donc expliquer les propos du Yérouchalmi qui fait l’éloge du travail, ainsi que toutes les Guémarot qui ordonnent à chaque père d’apprendre un métier à son fils. En réalité, il ne s’agit ici que de l'apprentissage d'un métier qui lui permettra de subvenir à ses besoins en cas de difficultés, mais pas d'exercer ce métier et encore moins toute sa vie, puisque l’essentiel est d’étudier la Torah.

Rabbi Néhoraï [plus connu sous le nom de Rabbi Méir Baal Haness] déclara [Kiddouchin 82a] : « Je délaisserai tout les métiers et n'enseignerai que la Torah à mon fils ».

Comment Rabbi Néhoraï peut-il affirmer une telle chose alors que nos Sages ordonnent au père d'enseigner un métier à son fils ? Le Mikné répond que tout dépend du niveau spirituel de la personne et de son enfant. Si un individu se sent capable de placer toute sa confiance en Hachem et de se soumettre totalement à sa volonté, il peut se lancer dans le monde de la Torah toute la journée ; dans le cas contraire, il devra enseigner un métier à son fils.

Le ‘Hafets ‘Haïm ajoute aussi que même si on décide de se lancer dans le monde du travail, il y a de très nombreuses Halakhot à respecter.

Quant aux preuves que le Rambam amène, le Kessef Michné les réfute toutes [ainsi que tous les commentaires du Rambam] et écrit que si on adoptait son avis,  la Torah serait oubliée, à D.ieu ne plaise. En clair, à notre époque, étant donné que le niveau spirituel est faible et que les tentations du monde extérieur sont extrêmement fortes, sans une étude de Torah importante, les étudiants en Torah risquent de disparaître, D.ieu nous en préserve.

Ce ne sont pas mes paroles, ce sont celles du Kessef Michné, c’est-à-dire de Rabbi Yossef Karo, l’auteur du Choul’han Aroukh... Je ne pense pas qu’il existe une autorité rabbinique pouvant égaler la sienne sur ce sujet. Il s’agit ici de la survie de la Torah, ne l’oublions pas.

Ainsi conclut le Rama [Yoré Déa 246-21] : « Tout celui qui peut subvenir à ses propres besoin et étudier la Torah est pieux, cependant, cette piété n'est pas donné à tout le monde et ne convient pas à n’importe qui ».

Le Rav Moché Feinstein [Responsa Iguérot Moché, Yoré Déa tome 2-116], écrit que de nos jours, même cette piété n'a plus lieu d'être, et qu’il faut se consacrer à la Torah toute la journée.

Le Gaon de Vilna [Biour Hagra, Yoré Déa 206] rapporte à ce sujet deux Guémarot : le traité ‘Houlin page 134b écrit que le Talmid ‘Hakham se doit d'être riche et que les gens doivent lui donner de quoi l’être. Par ailleurs, le traité Kétouvot page 112b fait l'éloge de celui qui fait profiter le Talmid ‘Hakham de ses biens.

Force est de reconnaître qu'il n'y a donc absolument rien de négatif à étudier la Torah toute la journée, même quitte a être soutenu par autrui.

Pour en revenir à la Guémara Brakhot 35b à laquelle vous avez fait référence, il est vrai que la plupart des gens se comporte selon l’avis de Rabbi Yichmaël et essaie de jongler entre travail et Torah. Néanmoins, la minorité du peuple est elle aussi digne de louanges car elle se donne corps et âme pour la Torah, tel que le suggère l’avis de Rabbi Chimon Bar Yo’haï.

Le ‘Hafets ‘Haïm traite à nouveau de ce sujet [Biour Halakha Siman 231] et affirme que de nos jours, vu qu’il est tellement difficile de gagner son argent « proprement », même le Rambam serait d'accord pour dire qu’il est préférable d’étudier.

Quant à moi, je voudrais ajouter que si le Rambam pouvait constater les conditions de travail à notre époque, et que nous sommes quotidiennement confrontés aux plus graves péchés, notamment les fautes relatives à la sexualité et les mauvaises pensées, il nous aurait dit d'aller étudier la Torah toute la journée.

De plus, il semblerait bien que le Rambam se soit ravisé puisque dans les Halakhot Chékalim chap. 4-7, il affirme que les Talmidé ‘Hakhamim touchaient des sommes d’argent. Dans les Halakhot relatives à la Chémita, dernier chapitre Halakha 12, le Rambam ajoute que tout celui qui désire se sanctifier et s’adonner à l'étude de la Torah jour et nuit peut le faire, et qu’il peut recevoir les dîmes comme les Léviim (voir aussi Biour Halakha, Siman 156).

Abordons la question sous un autre angle. Comme nous le fait remarquer le ‘Hazon Ich dans ses lettres (tome 1-86) il fut un temps où la quasi-totalité du peuple d'Israël avait conscience de la valeur de la Torah et de son importance capitale. De ce fait, on pouvait se permettre de ne pas avoir de Yéchiva ou de Collel.

Mais malheureusement, de nos jours, la majorité de notre peuple n’accorde pas à la Torah la place qui lui revient, le moins que l’on puisse dire est qu’elle est souvent reléguée au second plan. Nous sommes donc contraints d'établir des endroits où la Torah est constamment étudiée afin qu’elle puisse perdurer.

Le Rav Dessler (Mikhtav Mééliyahou, tome 3 page 356) partage ce point de vue et affirme que vouloir adopter l'avis du Rambam reviendrait à causer l'anéantissement de la Torah, que D.ieu nous en préserve.

Ayant vécu 200 ans après le Rambam, le Tachbets écrit (tome 1-147) que les propos du Rambam ne s’appliquaient qu’à son époque, car le cœur des gens était ouvert à la Torah ; mais aujourd’hui, vu que ce n’est plus le cas (ces écrits datent de près de 600 ans…), nous devons opter pour l'étude de la Torah à plein-temps.

Ainsi, le Or Ha’haïm Hakadoch (Richone Létsiyone, Yoré Déa 246 ; ‘Hefets Hachem, Brakhot 8), écrit que de nos jours, il est nécessaire d’étudier toute la journée, et que même en agissant ainsi, nous ne sommes pas sûrs des résultats. Il continue et affirme que la discussion avec le Rambam ne commence que lorsque nous connaissons entièrement le Choul’han Aroukh, c’est-à-dire que nous savons appliquer la Halakha, mais dans le cas contraire, le Rambam nous dirait d’aller étudier la Torah.

De même, le Rav Yonathan Eyebéshits (Yaarot Dvach, tome 1 Drouch 2) écrit que tout celui qui se marie doit étudier à plein-temps durant une période d'au moins 5 ans, ceci afin que les paroles de Torah constituent le fondement de sa vie.

En conclusion, la Guémara à laquelle vous faites référence parle d'un comportement général. Ainsi, tout celui qui se sent capable d’étudier toute la journée peut se permettre d’agir de la sorte. Je me permets d’ajouter que cela leur est non seulement autorisé mais aussi obligatoire, car de nos jours, il est vital et essentiel d’étudier la Torah en vue de sa pérennité. Tous les grands Rabbanim cités dans cette réponse partagent cet avis à l’unanimité.

Je terminerai par une histoire : un jour, un grand Rav de Lituanie se rendit chez un médecin juif à Vienne. Celui-ci lui posa une question : « Rav, comment se fait-il que les Rabbanim d’autrefois étaient aussi de brillants médecins comme le Rambam, alors que de nos jours,  les Rabbanim ne connaissent (apparemment) rien en médecine ? »

Le Rav lui répondit : « Je vais te répondre par une autre question : comment se fait-il qu’autrefois, les médecins comme le Rambam étaient aussi de brillants Rabbanim, alors que de nos jours, les médecins ne connaissent rien à la Torah ? »

Bonne étude…

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